Mathias Kiss, artiste contemporain : « Mon métier m’a élevé comme on élève un enfant »

Créativité, savoir-faire artisanal, transmission, des notions chères à Big média, à la French Touch et à l’artiste contemporain Mathias Kiss, que nous avons rencontré.  

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L’artiste contemporain Mathias Kiss dans son atelier à Paris
L’artiste contemporain Mathias Kiss dans son atelier à Paris.

Un travail disruptif digne des plus grandes innovations Deeptech, une pointe d’irrévérence mêlée à un amour sans faille du patrimoine, un patronyme comme pour embrasser les valeurs chères à Big média que sont la créativité, le savoir-faire d’excellence, la transmission. Il n’en fallait pas plus pour que nous souhaitions rencontrer Mathias Kiss, dont les propos parleront aux entrepreneurs des industries culturelles et créatives, et à nos lecteurs qui ont un jour souhaité sortir des sentiers battus. 

 

Big média : En tant qu’artiste, comment puisez-vous votre créativité au quotidien ? 

Mathias Kiss : Sûrement en réaction à mon passé d’ouvrier. A 14 ans j’ai commencé un apprentissage aux Compagnons (restauration et conservation des monuments historiques, ndlr) qui m’a mis beaucoup en colère, car on me demandait de faire des choses bêtes et méchantes. Ne pas créer, ne pas inventer, c’était ça la doctrine, à l’inverse de la créativité. Je trouvais ça génial de me former, de m’ancrer dans un savoir-faire traditionnel, d’apprendre le classicisme, la symétrie, de participer à conserver le patrimoine. Mais à un moment j’ai eu envie de faire autre chose que ce que je considérais parfois comme de la bêtise et un manque d’inventivité. Aujourd’hui je créé comme une révolte contre ce passé, comme un besoin de réparer cette colère. C’est de cette révolte que je puise ma créativité et que je créé mes œuvres avec impulsivité, sans forcément les penser ou les anticiper.  

 

« Je me considère avant tout comme un ouvrier en colère, comme un ouvrier libre ! » 

 

BM : Que vous a appris votre expérience aux Compagnons sur l’importance de la transmission du savoir-faire d’excellence, avant de devenir artiste indépendant ? 

MK : Artiste indépendant oui, mais pas seulement, j’ai un peu de mal avec ce terme. Je me considère avant tout comme un ouvrier en colère, comme un ouvrier libre ! Avec mon CAP de peintre en bâtiment, quand je vois les travailleurs en habit de travail qui vont chercher leur baguette à midi, je me reconnais. J’ai grandi là-dedans et on n’oublie pas de ce genre de chose. Je me sens moins touché par certains artistes contemporains qui peignent en fermant les yeux, ou qui se disent pénétrés par leur travail, je m’identifie plutôt aux valeurs de l’ouvrier, de l’artisan. Et je veux à mon tour transmettre ces valeurs en formant des jeunes qui sortent d’école d’art. 

Les Compagnons, j’aime autant leur taper dessus pour cet académisme rigide, que leur rendre hommage pour m’avoir tout appris ! A 16 ans je ne faisais pas de skateboard mais des corniches au Louvre, mes jouets c’étaient les doucines et les feuilles d’acanthe, ça je le dois aux Compagnons ! Mais le manque d’imagination m’ennuyait. Quand je voyais une corniche de 50 mètres, je me disais « pourquoi elle ne pourrait pas breaker de temps de temps, comme un mouvement de hip-hop ? ». Je voulais libérer l’académisme, le rendre plus joyeux, un peu moins sérieux. 

 

BM : Pouvez-vous nous parler de l’une de vos œuvres et de son processus de création ? 

MK : Le Miroir Froissé, c’est un exemple parlant sur ma manière de créer, toujours en réaction à l’académisme qui m’a enfermé dans un carcan technique et esthétique ! J’ai pris comme modèle une feuille de papier que j’ai froissé dans tous les sens avec spontanéité, sans réfléchir en termes de design, sans me dire « tiens, ce serait mieux de l’orienter de telle ou telle manière ». Un miroir, par définition est rigide, indéformable. J’ai voulu casser les codes et faire ce Miroir Froissé, SANS 90°, sans angles droits. 

 

BM : Qui sont vos rôles modèles ? 

MK : Toute personne qui ne vient de rien, ayant l’intelligence de se transformer et qui, avec sa passion et sa liberté, s’est affranchie des codes et des carcans qu’on lui a imposé. Tout individu qui commence quelque chose de totalement nouveau par pur rêve, pas pour être riche et passer à la télé. Ça, ça me touche énormément. Par exemple, Joey Starr m’a fait beaucoup rêver : c’était la fin du punk, le hip-hop n’existait pas en France, lui il arrive, il créé NTM et ça a tout changé !  

Je dis parfois à mes enfants d’essayer de sortir du train et de tenter de prendre un autre chemin, pas celui qui semble tout tracé. Parce que si on dit la même chose à tant de gens, à des millions de gens, à la fin on se retrouve avec tant de concurrents et on ne créé rien de nouveau. On peut aussi prendre des routes de libertés, des chemins de traverse. 

 

« L’artiste est déjà entrepreneur, c’est un métier pas du folklore ! » 

 

BM : Comment concilier l’artiste et l’entrepreneur ? 

MK : L’artiste est déjà entrepreneur, c’est un métier pas du folklore ! On ne plane pas, on a les pieds sur terre, on acquiert du matériel, on s’organise, on gagne sa vie, on innove, comme pour toute entreprise ou toute activité. Comme dans d’autres domaines, les grands discours font de petites journées ! 

 

BM : Comment faire pour mettre le savoir-faire artisanal au centre de la création ? 

MK : Quand on veut créer il faut un bagage. Technique, culturel, en tous cas il faut savoir ce qui s’est fait avant, ce qui se fait actuellement et comment on le fait. C’est d’autant plus le cas quand on veut nager à contre-courant, ou innover. Le Miroir Froissé, ou les Sky Painting, les ciels pixellisés, je n’aurais certainement pas pu les faire sans le savoir-faire artisanal appris aux Compagnons. 

Il faut aussi avoir conscience de la réalité du terrain, se sortir de l’image d’Epinal de l’artisanat ou des métiers manuels qu’on peut avoir aujourd’hui. Ce n’est pas parce que tu fais de la dorure que tu éviteras le bruit des marteaux piqueurs sur les chantiers, ou de bosser dehors dans le froid avec trois paires de gants. 

 

BM : Les Compagnons vous ont transmis un savoir-faire, que vous souhaitez à votre tour transmettre, notamment à aux jeunes ? 

MK : Mon métier m’a élevé, comme on élève un enfant. J’ai appris une technique, mais aussi à arriver à l’heure, à dire bonjour, à enlever les mains de mes poches. C’est important de transmettre le savoir-faire et tout ce qui va autour. Pas seulement sa passion car chacun à son regard. C’est ce que je souhaite transmettre aux jeunes que j’accompagne aujourd’hui, et que tout ça les aide à trouver un job. 

 

 

 

Qui est Mathias Kiss ? 
Mathias Kiss est un artiste et designer contemporain français d'origine hongroise né en 1972 à Poissy. Admis chez les Compagnons du Devoir en 1991, il a participé à la restauration de monuments historiques y compris le musée du Louvre. Son travail lie l’artisanat d’art à l’art contemporain à travers des installations monumentales, peintures, sculptures. 
Renommé pour son travail innovant et ses créations artistiques, il a gagné en notoriété grâce à ses créations de miroirs originales qui reflètent son style distinctif. Parmi ses œuvres les plus célèbres, le Miroir Froissé, Golden Snakes, Besoin d’air ? ou encore ses Sky Painting, ne cessent de surprendre.  
Sa compagne, l'actrice française Valérie Lemercier, a également contribué à mettre en lumière son talent artistique et à faire de lui une figure respectée dans le domaine de la création artistique en France. Exit l'appartement haussmannien du Marais, c'est dans un loft discret du 19e arrondissement parisien que Mathias Kiss se retire pour se concentrer sur ses projets artistiques. Son travail a été exposé dans diverses galeries et institutions artistiques et il a collaboré avec des personnalités du monde de l'art et du design. Mathias Kiss a notamment exposé au Palais de Tokyo, au Palais des Beaux-Arts de Lille, au Mobilier National, au Musée des Arts Décoratifs. Il se distingue en remportant le Wallpaper* Design Award en 2013 ou encore le Young International Art Fair Brussel en 2016. 

Jean baptiste Ganga
Jean Baptiste GANGA Rédacteur web