Le body positive : quelle est la réalité du marché derrière cette tendance mode ?

A l’occasion de la table ronde « Body Positive : fantasme ou réalité dans la mode ? », organisée par la rédaction du magazine Elle dans le cadre de l’évènement We Are French Touch, retour sur l’impact du mouvement body positive sur les marques de mode.  

 

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body positive

« C’est une aberration de laisser de côté un marché qui touche près de 25 % des femmes », déplore Ilaria Casati, journaliste pour le magazine Elle. En 2020, près de 25 % des Françaises s’habillaient en 46 - et plus - selon une étude menée par la marque de prêt-à-porter Kiabi. Une tendance qui ne date pas d’hier puisque déjà en 2006, une femme sur cinq portait du 40, et plus d'un tiers s'habillaient en 40 ou 42*.  Mais alors pourquoi est-il toujours aussi compliqué de retrouver cette diversité sur les cintres de nos griffes préférées ?  

Un problème de taille… 

La réponse qu’avance Lisa Gachet, présidente, fondatrice et directrice artistique de la marque Make My Lemonade, pour expliquer ce paradoxe tient en deux mots : encrage et rentabilité. « De nombreux clichés grossophobes du style ‘au-delà du 44, une femme ne montre pas ses bras’ persistent encore dans le secteur. C’est pour cette raison que certaines marques ne prennent pas le risque de proposer plus de tailles », explique l’entrepreneure. Des idéaux mensongers derrière lesquels se cache bien souvent une course effrénée à la rentabilité. En effet, pour les tailles supérieures au 44, la confection nécessite naturellement plus de tissu. Il faut alors adapter le modèle (en symétrie ou en découpe par exemple) ou faire produire un rouleau de tissu spécifique sur un rouleau plus large, ce qui n’est pas toujours possible. Cette adaptation des modèles implique également une main d’œuvre supplémentaire et des volumes de vente suffisants pour que cela soit rentable, ce qui n’est pas toujours possible pour une jeune marque. Et il faut ajouter à cela que la production ainsi que le stockage de vêtements grandes tailles présentent des coûts plus importants pour les enseignes puisqu’ils nécessitent plus d'espace.  

Pour les maisons de luxe, le blocage semble plus psychologique que pécunier... Si entre 2007 et 2015, la promulgation de plusieurs lois visant à interdire aux organismes de mode d’engager des jeunes femmes à l’indice de masse corporelle inférieur à 18,5 avait permis de faire émerger des modèles aux courbes plus assumées, tels que Paloma Elsesser, Precious Lee, ou Ashley Graham, moins de dix ans plus tard, les bonnes résolutions s’essoufflent. Sur les podiums de la saison automne-hiver 2023-2024, des quelques 219 shows proposés, seuls 3,8 % de mannequins de taille médium ont eu l’occasion de défiler. Un chiffre qui chute à 0,6 % lorsqu’on s’intéresse aux mannequins size plus selon le magazine Vogue Business. « Avec le retour de la taille basse ou des crop tops, les marques retombent dans leurs vieux travers », constate Ilaria Casati, journaliste pour le magazine Elle.  

Grandes tailles = grand potentiel 

Sous représentée sur les podiums ou dans les rayons, la mode curvy (que l’on traduit par « courbé » en français NDLR) ne s’est pourtant jamais aussi bien portée. Selon Future Market Insights, le marché devrait même atteindre plus de 1 000 milliards de dollars d'ici dix ans. Un potentiel de croissance qui n’a pas échappé aux enseignes de fast fashion, devenues leaders du secteur, faute de réelle concurrence de la part des marques de prêt-à-porter « classiques ». « Si je résume, aujourd’hui si je fais un 46 et que je veux trouver une marque sympa et éthique chez qui m’habiller, ça va être la galère et en plus je payerais mon article plus cher car c’est une size plus », scande Ilaria Casati, journaliste pour le magazine Elle. 

Pourtant, Lisa Gachet rappelle que ce schéma n’est pas obligatoire et qu’il ne tient qu’aux marques de changer la donne. « Aujourd’hui, il est possible de s’équiper d’IA qui vont nous aider à produire raisonnablement afin de ne pas rester avec trop d’invendus sur les bras. Chez Make My Lemonade on utilise par exemple des outils de pre-order qui nous permettent de créer des campagnes de préventes. On produit donc à la demande et on gère mieux nos stocks ». Et quand on lui fait remarquer que le prix d’un vêtement size plus (+ 5 euros en moyenne) peut également se justifier par un temps de confection plus long et des compétences plus aguerries, la jeune femme rétorque du tac au tac : « Si on sait faire un vêtement en 36, on saura le faire en 48 ».  

L’autre piste qui pourrait permettre une plus grande inclusivité du secteur se trouverait peut-être dans la formation des créateurs de demain. « En 2009, lorsque j’ai passé mon diplôme, la taille 36 était une norme pour nos modèles. C’était ancré. Il n’y avait que Jean-Paul Gaultier pour montrer des corps différents des canons de beauté imposés », rappelle Lisa Gachet, la fondatrice de Make My Lemonade. Un état de fait de plus en plus contesté par la génération Z, soucieuse de proposer une mode inclusive tant pour les personnes en surpoids que pour celles souffrant de handicaps physiques.  
Avec la participation d’une Miss Népal aux formes assumées sur la scène de Miss Univers 2024, des campagnes publicitaires mettant en avant des égéries curvy, et des maisons de couture plus enclines à proposer un panel de tailles davantage en accord avec les corps de leurs clientes, le monde de la mode semble enfin prendre conscience de ce besoin de changement. « Et j’ai envie de dire, il était temps ! », conclut Lisa Gachet.  

*Chiffres de la Campagne nationale de mensuration 2006 

 
 

 

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Mélanie Bruxer

Rédactrice web