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Pollution des data centers : Comment réduire leur empreinte carbone ?

  • Temps de lecture: 9 - 10 min
Pollution des data centers
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L’invisible peut-il polluer ? Le numérique en est la preuve : derrière nos ordinateurs, nos téléphones et notre connexion internet ultra rapide se cachent des serveurs fonctionnant à plein régime, et polluant parfois tout autant.

En 2022, une étude de l’ADEME sur l’évaluation de l’impact du numérique a montré que le numérique représente 2,5% de l’empreinte carbone en France et 3 à 4% des émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le monde. En effet, nos objets et outils numériques, essentiels au bureau et omniprésents dans notre vie personnelle, ne fonctionnent pas en tant que tels. Derrière nos smartphones et nos ordinateurs se trouvent des data centers, des infrastructures de stockage de données bien physiques, fonctionnant 24h/24, et extrêmement polluantes. À l’heure de la transition énergétique et alors que le numérique ne cesse de se développer, est-il possible de réduire l’impact environnemental de ces data centers et de développer un numérique durable ? Quelques éléments de réponse avec Big média.

Un data center, qu’est-ce que c’est et à quoi ça sert ?

D’après le site danois Data Center Map, on compte actuellement 5574 data centers (à la fois publics et privés) dans le monde. Parmi eux, 264 se trouvent en France (source : Statista, 2022). Les data centers sont essentiels au fonctionnement de nos appareils numériques : sans eux, il serait impossible de traiter nos recherches sur internet, de regarder nos photos de vacances de l’année dernière stockées sur le cloud ou d’enregistrer un mot de passe un peu compliqué. De plus en plus de  centres voient le jour pour répondre à la demande croissante de traitement de données, particulièrement avec l’essor de l’IA.

Quel est le rôle des data centers ?

Les data centers (littéralement, centres de données) ont été développés dans les années 1990 pour faire face à l’expansion d’Internet. Les premiers usagers de la toile avaient besoin de serveurs pour traiter leurs données et intégrer cette nouvelle technologie. Les data centers donc sont des infrastructures physiques sécurisées qui hébergent, traitent et partagent les données numériques de nos appareils et de nos actions digitales : paiement en ligne, e-mails, jeux en ligne, big data, intelligence artificielle… Sans eux, rien ne fonctionnerait !

Le fonctionnement des data centers

Un data center est composé de serveurs reliés à des processeurs et des disques durs, et fonctionne 24h sur 24, 7 jours sur 7, car l’activité numérique ne s’arrête jamais. Les serveurs sont alimentés par des réseaux électriques très puissants et sont simultanément refroidis pour éviter la surchauffe. Des systèmes de diffusion d’air froid sont disposés devant les racks des serveurs pour aspirer l’air (allée froide), puis l’évacuer à l’arrière des serveurs (allée chaude), et le tout est expulsé via des gaines d’aération connectées au plafond. Les plus grands centres combinent un système de traitement d’air et un autre d’eau réfrigéré pour refroidir la température ambiante plus rapidement : celle-ci doit être maintenue à 20° en permanence.

Il existe différents types de data centers qui ne s’adressent pas aux mêmes clients et n’offrent pas tous le même niveau de sécurité ou d’accès : 

  • sur site : l’infrastructure est sur le site de l’entreprise, cela permet plus de sécurité et de se conformer plus facilement aux réglementations ; 
  • cloud : il s’agit de centres qui hébergent des infrastructures utilisées par plusieurs clients, par exemple les clouds de Google, Apple, Amazon… ;
  • managé : ces installations clés en main sont particulièrement utiles pour les organisations qui n’ont pas l’espace ou l’expertise nécessaire pour avoir un data center sur site. La location des serveurs et du matériel s’effectue avec un fournisseur qui garantit au client un accès exclusif et sécurisé.

Comment les data centers polluent-ils ?

D’après des estimations récentes, les data centers consomment entre 2 et 3% de l’électricité mondiale, mais ce chiffre pourrait bien augmenter avec notre usage du numérique. Selon une étude de Huawei Technologies, la part des data centers dans la consommation électrique mondiale pourrait atteindre les 13% d’ici 2030. Les data centers sont des équipements particulièrement énergivores pendant leur cycle de vie et sans possibilité de recyclage une fois en fin de vie, en raison des matériaux utilisés dans les composants des serveurs.

Plus notre utilisation du numérique augmente, plus il faut de data centers, et plus le numérique consomme à l’échelle globale. Cette problématique concerne autant les particuliers que les entreprises, car tous les secteurs, mais aussi de nombreux aspects de la vie quotidienne, se digitalisent et l’essor de l’intelligence artificielle augmente notre consommation de données.

Bon à savoir : La pollution des data centers en France : quelques chiffres 
D’après des analyses de l’ADEME menées en 2022, le parc de data centers français consomme environ 6,85TWh (terawatt-heure), 1159m2 de fioul et 21 930 tonnes de batteries par an. Le numérique et la création d’équipements seraient également à l’origine de 20 millions de tonnes de déchets par an et utiliserait 62,5 millions de tonnes de ressources. Au total, 78% de l’impact du numérique sur l’environnement provient de la phase de fabrication. Les appareils sont composés de métaux et de terres rares venant pour la plupart de l’autre bout du globe, et dont l’extraction est extrêmement coûteuse, autant du point de vue énergétique que vis-à-vis de l’impact sur les écosystèmes.

Consommation thermique et électrique des data centers : des infrastructures énergivores

Les data centers sont alimentés jour et nuit grâce à des systèmes de climatisation et de refroidissement très énergivores. Ces derniers utilisent en effet de grandes quantités d’eau : en 2022 Microsoft a révélé dans son rapport environnemental avoir consommé 6,4 millions de m³ d’eau pour l’ensemble de ses data centers, tandis que Google déclarait avoir utilisé 15 milliards de litres en 2021.

Ces ressources consommées en grandes quantités ne sont, dans la majorité des cas, pas recyclées. La chaleur émise par les data centers est simplement évacuée, et pas récupérée pour chauffer des bâtiments alentour. Il existe cependant depuis quelques années plusieurs sites qui réinjectent cette chaleur dans le réseau à destination d’autres structures (maisons, piscines, serres…) : c’est la récupération de la “chaleur fatale”.

Bon à savoir - Mesurer le PUE d’un data center
Le PUE (Power Usage Effectiveness) est un indicateur qui permet de mesurer l’efficacité énergétique d’un data center. Établi par Green Grid, un consortium industriel, il repose sur un calcul simple : le total de l’énergie consommée par le data center, divisé par le total de l’énergie utilisé par les équipements informatiques. C’est actuellement le seul indicateur universellement reconnu. D’après cette formule, les data centers français ont un PUE de moyen de 1,5 : pour 1W consommé, il faut 1,5W à l’entrée du centre. Plus le PUE est proche de 1, plus la consommation d’énergie est minimisée.

Des data centers fondés sur des énergies non renouvelables

Qui dit data centers dit serveurs, disques durs et équipements informatiques en tout genre. Ces appareils, vitaux pour traiter toutes nos données numériques, sont des mines d’or de technologie… et de matériaux rares. Cobalt, gallium, lithium, autant de métaux non recyclables, provenant de régions lointaines (Congo, Argentine, Chine), extraits dans des conditions souvent peu respectueuses des droits de l’Homme et via des procédés polluants. 

Pourtant, sans ces matériaux, pas de numérique. En plus de l’impact social et environnemental de leur production, les composants informatiques qui les contiennent ne sont pas recyclables, ce qui mène à une production de déchets importante lorsqu’ils arrivent en fin de vie - comme c’est le cas pour nos ordinateurs, smartphones ou autres objets connectés. 

Une étude de Control Up (2018) a également démontré que 77% des data centers étaient suréquipés, et donc en surconsommation. De nombreux équipements informatiques ne sont donc pas utilisés, mais continuent de consommer des ressources précieuses et de produire des déchets toxiques.

Les data centers occupent également des portions de territoire non négligeables : aujourd’hui en Seine-Saint-Denis, sur le territoire de Plaine Commune, on recense une quinzaine de data centers, couvrant une surface totale de 180 000m2. Ces infrastructures, qui doivent répondre à l’usage croissant du numérique, poussent l’organisation urbaine des territoires à leur limite, et ont des impacts directs sur les écosystèmes locaux.

L’Intelligence Artificielle (IA), le nouveau défi des data centers

L’émergence de l’intelligence artificielle (IA) est un facteur supplémentaire dans la pollution des data centers. Cette technologie en plein essor demande une puissance de traitement supérieure à d’autres données et consomme beaucoup plus d’énergie. Le développement d’un IA s’effectue en plusieurs étapes : la collection et le tri des données qui l'alimentent, l’entraînement de l’IA pour effectuer une tâche et développer son intelligence, puis son opération réelle, qui la met face à des données inconnues. La deuxième phase, celle de l’entraînement, nécessite une collecte de données continue pour affiner l’IA et la perfectionner.

Certains data centers sont donc entièrement dédiés à l’IA, tandis que les anciens doivent s’adapter pour supporter cette nouvelle demande.

Comment réduire l’empreinte carbone des data centers ?

Le  numérique est omniprésent et la consommation de données ne cesse d’augmenter. Face à cette croissance, il est nécessaire de réduire l’empreinte carbone des data centers. Régulations, énergies renouvelables, petits gestes du quotidien… Il existe bien des manières de limiter l’impact environnemental de ces centres. 

Si les data centers existants peuvent être équipés pour limiter leur consommation, il est également possible de prévenir les nouvelles infrastructures de polluer autant. Des sites sont développés pour être durables de leur conception à leur utilisation : réutilisation des ressources, optimisation des flux d’air, transparence sur la consommation des ressources… Les pistes ne manquent pas pour améliorer la performance énergétique des data centers.

Le streaming, pas si polluant ?
Une étude de l’Agence Internationale de l'Énergie (AIE) en 2020 révèle qu’une heure de vidéo en streaming ne consomme que g36e (grammes-équivalent), bien loin des 1,6kg de CO2 pour 30 minutes de votre série préférée, évalués par d’autres sources. Pour réduire néanmoins son impact, mieux vaut privilégier des qualités vidéos plus faibles au lieu de la HD, et limiter son temps d’écran - tant pour l’environnement, que pour votre rétine !

Réduire l’impact environnemental des data centers grâce aux labels et réglementations

La réduction de l’impact environnemental des data centers est un enjeu majeur de la transition écologique et est soutenue par des réglementations et des labels qui visent à encourager les entreprises, et les particuliers, à œuvrer vers la sobriété numérique. Les data centers et, plus largement, le numérique, sont soumis à des régulations diverses afin de consommer moins et de s’engager vers une consommation des ressources plus responsable.

  • Le règlement UE 2019/424 : il s’agit des exigences européennes en matière d’éco-conception des serveurs d’entreprise et les produits de stockage de données (consommation maximale, informations sur la température de fonctionnement des produits, etc.), visant à limiter leur impact environnemental.
  • CEDaCI (Circular Economy for Data Center Industry) : ce projet européen, lancé en 2018, a pour but d’intégrer une économie circulaire pour l’industrie des data centers. Il regroupe différents objectifs : augmenter la réutilisation des matières premières critiques, prolonger la durée de vie des équipements, réduire les déchets et développer une économie sécurisée pour ces matières premières.
  • Label Numérique Responsable : créé en 2019, il s’adresse aux entreprises et aux collectivités. Il a pour but d’encourager et de reconnaître les organisations impliquées dans la mise en place de pratiques numériques durables. Le label s’applique entre autres aux équipements éco-conçus et aux services d’hébergement web écologiques. Il s’inscrit dans les enjeux de la loi REEN sur la réduction de l’empreinte environnementale du numérique.
  • EPEAT (Electronic Product Environmental Assessment Tool) = cet écolabel international évalue l’impact environnemental des équipements informatiques durant leur cycle de vie, sur la base de 51 critères écologiques.

Utiliser les énergies durables pour alimenter les data centers

Une des premières étapes pour limiter l’impact environnemental des data centers serait l’utilisation d’énergies renouvelables pour les alimenter ainsi que la récupération de l’énergie qu’ils produisent. Par exemple, deux tiers des data centers chinois fonctionnent à partir d’énergies fossiles, comme le gaz ou le charbon.

En France, près de Grenoble, le green data center d’Eolas, filière du groupe Orange Business Service, fonctionne grâce à des énergies renouvelables depuis 2011. Abritant environ 2000 serveurs, le centre puise de l’eau dans les nappes phréatiques du Drac pour refroidir ses installations (technique de “natural cooling”) et consomme ainsi trois fois moins d’énergie. Accompagné par ENGIE, le data center est également équipé de panneaux photovoltaïques sur le toit et la façade Sud, lui permettant de produire entre 80 000 et 100 000 kWh par an, revendus au réseau grenoblois.

En Seine-Saint-Denis, la chaleur fatale dégagée par le refroidissement du data center d’Equinix est récupérée et distribuée par un réseau qui permet de fournir de la chaleur et de l’eau chaude sanitaire à environ 60 000 logements. 

Adopter des éco-gestes pour réduire son impact numérique dans l’entreprise

En entreprise, la pollution numérique est dans tous vos clics. Un e-mail, une pièce jointe volumineuse, une visioconférence… Ces dernières sont particulièrement énergivores dans le cadre du travail : d’après une étude américaine menée en 2021, une heure de communication vidéo produit entre 150 et 1000 grammes de CO2, soit un trajet de 9 kilomètres en voiture à essence. 

Au bureau, beaucoup de petites actions génèrent des faibles quantités de CO2 qui, mises bout à bout, s'additionnent rapidement dans l'atmosphère - et dans le bilan carbone de l’entreprise. Une requête sur le plus célèbre des moteurs de recherche génère en moyenne 7 grammes de CO2, d’après Alex Wissner-Gross, physicien à Harvard. 

Si le numérique est une nécessité,  il existe des astuces pour verdir l’empreinte informatique de votre structure et de vos collaborateurs.

  • Sensibilisation : former ses équipes aux enjeux environnementaux du numérique en entreprise et construire une culture d’entreprise axée sur la durabilité.
  • Faire de la sobriété numérique un argument économique : les économies d’énergie sont aussi des économies d’argent pour l’entreprise, ce qui peut peser dans la balance pour investir dans d’autres projets ou attirer des investisseurs.
  • Adopter une politique d’achat responsable : privilégier le matériel reconditionné, réparer le matériel au lieu de jeter et investir dans des équipements informatiques durables.
  • Limiter la consommation énergétique : éteindre son ordinateur avant de partir en week-end, ou le mettre en veille pendant la pause déjeuner et activer le mode “économie d’énergie”.
  • Privilégier le stockage de données en ligne et mettre à jour les données régulièrement afin de ne pas stocker des données obsolètes, et supprimer ce qui n’a pas besoin d’être archivé.
Zoom sur - Le Green Computing : mettre le numérique au vert
Aussi appelé Green IT, il s’agit d’optimiser l’utilisation de ses équipements informatiques et de réduire l’impact environnemental du numérique en adoptant des pratiques éco-responsables. Le but est de réduire les émissions de GES et de favoriser un numérique durable et renouvelable. Le green computing s’articule en trois points : 
-Green IT 1.0 : prendre conscience de la notion de conception numérique responsable (CNR) et prendre en compte la performance environnementale des équipements informatiques ;
-Green IT 1.5 : pour les entreprises, inscrire l’usage responsable du numérique dans sa stratégie RSE ;
-Green IT 2.0 : intégrer des pratiques durables à tous les niveaux d’action de l’entreprise (approvisionnement, conception, production), avec pour but d’orienter le modèle économique de l’organisation autour de ces démarches.

Des initiatives qui vont encore plus loin pour limiter l’impact des data centers 

Pour aller encore plus loin et réduire la consommation  des data centers, des entreprises développent des initiatives pour limiter leur consommation et leur impact environnemental. 

Parmi elles, Qarnot Computing, pionnier du “cloud green” en France. L’entreprise fournit des infrastructures informatiques et propose une stratégie de valorisation de la chaleur perdue des serveurs informatiques pour chauffer d’autres bâtiments et les alimenter en eau chaude. Qarnot Computing a développé Qalway, sa marque d’équipements de chauffage numérique décentralisé, destinés aux propriétaires, bailleurs sociaux ou promoteurs, pour équiper des bâtiments.

De son côté, la start-up Kouten propose un logiciel qui mesure l’impact de l’usage du numérique en entreprise. Grâce à ses analyses, le logiciel propose à l’utilisateur des bonnes pratiques à adopter pour réduire la pollution numérique ainsi que des tutoriels pour l’aider à les appliquer. Il propose également un rapport de données afin de mesurer l’amélioration des performances de l’entreprise.

 

Article validé par Margaux Fremiot, Chargée de coordination, Direction Climat, Bpifrance

 

Sources : 
Data centers and data transmission networks - Agence Internationale de l’Énergie
Penser des data centers moins énergivores - CNRS 
Exigences en matières d’écoconception - Your Europe
Evaluation de l’impact environnemental du numérique en France - ADEME et arcep