Transition écologique : "L’Europe a l’opportunité de créer son propre modèle"

Haut fonctionnaire et essayiste, David Djaïz est l’auteur de La Révolution Obligée avec Xavier Desjardins (Allary, 2024). Spécialiste des questions de transition écologique, il revient sur les enjeux d’un changement radical de modèle en Europe et dans le monde au cours des 30 prochaines années.

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David Djaïz

Normalien, énarque et diplômé en philosophie politique à la Sorbonne, David Djaïz devient inspecteur des finances en 2017, puis directeur de la stratégie et de la formation de l’Agence nationale de la cohésion des territoires entre 2020 et 2021, où il crée notamment l’Académie des territoires. Également auteur, il co-signe en 2024 La Révolution Obligée, un essai qui exhorte l’Europe à favoriser un système écologiquement soutenable, à l’écart de toute dépendance économique à la Chine ou aux Etats-Unis. « L’Europe a oublié de penser la dimension de souveraineté industrielle et géopolitique d’un tel nouveau modèle. Résultat : elle se trouve prise en étau entre les États-Unis et la Chine qui ont fait le choix de miser sur une transformation industrielle plus basique », estime-t-il. C’est pourquoi il incite à créer une nouvelle étape du Green Deal Européen : « L’écologie doit donner une assise politique à l’Europe : un état providence social-écologique européen, une diversité territoriale et nationale respectée, une écologie contractuelle. » Et bien sûr, dans ce contexte, les entreprises ont un rôle considérable à jouer.

Big média : Nous avons trente ans pour réaliser la transformation écologique. Quels sont les grands chantiers de ce projet ambitieux dans lequel nombre d’acteurs sont déjà engagés ?

David Djaïz : En trente ans, nous devons opérer une révolution de la même ampleur que la révolution industrielle du 19e siècle. Mais cette fois, nous sommes sous contrainte. Énergétique tout d’abord, puisqu’il va s’agir de substituer à des sources d’énergies fossiles, des sources renouvelables. Des taux d’investissement ensuite, du fait des taux records d’endettement des Etats et des taux de retour sur investissement plus faibles que ceux de l’économie fossile. Des systèmes d’innovation enfin, alors que les gains de confort et de productivité ne sont pas des évidences dans le contexte de cette transformation. À l’échelle nationale et européenne, nous devons collectivement relever ce défi, qui est de taille. En 2022, 82 % de la consommation d’énergie primaire dans le monde était encore d’origine fossile, soit la même proportion qu’en 1982. Mais ce constat ne doit pas nous rendre pessimistes. Au niveau des entreprises et des états, des signaux faibles émergent, à commencer par la prise de conscience partout en Europe de la nécessité d’agir pour que cette transformation écologique advienne.

BM : Où en est l’Europe dans ce processus de transformation écologique ?

DD : Pionnière dans l’établissement de normes environnementales ambitieuses, l’Europe s’est engagée dans un Green Deal à partir de 2019, mélangeant réglementations et signaux-prix. Mais elle doit aussi faire face à des contestations qui finissent par faire reculer les gouvernements. Au Royaume-Uni sur les voitures, en Allemagne sur les chaudières à gaz ou au fioul, en France avec les gilets jaunes ou les zones à faibles émissions. L’Europe a par ailleurs oublié de penser la dimension de souveraineté industrielle et géopolitique d’un tel nouveau modèle. Résultat : elle se trouve prise en étau entre les États-Unis et la Chine qui ont fait le choix de miser sur une transformation industrielle plus basique. Leurs modèles reposent sur la décarbonation de l’électricité et l’électrification des usages, la maîtrise des technologies mais aussi des infrastructures et des approvisionnements. La conjugaison de ces éléments constitue deux systèmes différents qui ont pour point commun d’être mis au service des souverainetés et ambitions géopolitiques chinoises et américaines.

BM : Qu’en est-il au niveau des entreprises ?

DD : La transformation à l’œuvre concerne tout l’appareil productif, les entreprises ont donc un rôle considérable à jouer. Des initiatives prometteuses existent déjà. C’est le cas par exemple de la « Convention des entreprises pour le climat » (CEC) créée en 2020 par des cadres dirigeants et des entrepreneurs qui se sont engagés à réduire de 55 % leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, en respectant l’impératif de protection de la biodiversité et de la régénération du vivant. Cette convention réunit aujourd’hui près de 1 000 entreprises de toute taille : Crédit Mutuel Arkéa, Pierre & Vacances, Heineken… Elle ne se contente pas de sensibiliser les entrepreneurs à la crise climatique, elle leur donne des outils – stratégiques, financiers, comptables, humains – pour faire évoluer les modèles d’affaires et trouver des solutions concrètes. L’ambition écologique doit en particulier nous permettre de revoir notre système de valeur. Accepter par exemple qu’une voiture en autopartage crée plus de valeur qu’un véhicule avec une seule personne à bord. Plusieurs opérateurs de la distribution de l’eau expérimentent par exemple une tarification qui ne repose pas uniquement sur les volumes d’eau consommés, mais aussi sur les économies réalisées. Enfin, le développement des exigences de reporting ESG (environnemental, social et de gouvernance) a déjà des effets spectaculaires et la norme CSRD qui est entrée en vigueur au 1er janvier 2024 est une petite révolution en matière de suivi environnemental des activités des entreprises.

BM : Quelles sont les pistes que vous dressez pour permettre à l’Europe de réussir sa transition ?

DD : La Commission européenne s’est engagée à réduire ses émissions de 55 % d’ici à 2030, c’est une bonne chose. Nous devons maintenant inventer une nouvelle étape du Green Deal européen pour faire de la transformation écologique un élément clé du contrat social européen. L’écologie doit donner une assise politique à l’Europe : un état providence social-écologique européen, une diversité territoriale et nationale respectée, une écologie contractuelle. L’Europe a l’opportunité de créer son propre modèle, indépendant, écologique et démocratique. Ne passons pas à côté ! Dans notre livre, nous insistons par ailleurs sur la nécessité d’engager les citoyens et acteurs locaux au plus près des territoires. La transformation écologique doit être une manière pour les gens de mieux vivre, d’augmenter leur capacité d’agir. Dans la Drôme, la dynamique « Start-up de territoire » impulsée par la communauté d’agglomération Valence-Romans vise à susciter des projets d’alimentation locale, d’économie circulaire et d’énergie renouvelable. L’État a donné dix ans au projet pour aboutir avec des investissements qui peuvent aller jusqu’à 15 millions d’euros pour les entreprises accompagnées. C’est grâce à ce dispositif que l’entreprise « Ma bouteille s’appelle reviens » a eu l’idée de relancer le modèle de la consigne en verre. À Valence où l’entreprise est implantée, l’initiative a permis de créer dix emplois.

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Céline Tridon

Céline Tridon

Rédactrice en Chef