La Tech africaine : une terre d’opportunités pour le capital-risque

Le marché du capital-risque africain est né du besoin de soutenir l’émergence d’innovations technologiques répondant elles-mêmes à des besoins locaux dans la santé, l’inclusion financière, ou encore la souveraineté agroalimentaire. En 10 ans, 20 milliards de dollars ont été investis sur le continent, dont 68 % dans les 3 dernières années. Si 2023 a connu un ralentissement général du financement des startups dans le monde, dont le continent africain n’a pas été épargné, les économies en croissance, la pénétration des technologies et un vivier de talents de plus en plus aguerris font de l’Afrique un terrain stratégique pour les investisseurs sur le long terme.  

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L'Afrique, un continent attrayant pour investir 

Dans le paysage mondial de la Tech, l'Afrique se positionne de plus en plus comme une destination attractive pour les investissements. En moins d’une décennie, les financements annuels de cette zone en capital-risque (prise de participation par un ou des investisseurs, généralement minoritaire, au capital de startups non cotées), ou Venture Capital (VC) sont passés de 2 milliards de dollars en 2019 à 5 milliards en 2022. Malgré cette progression, les montants investis restent modestes par rapport à la population du continent (1,3 milliard de personnes).  

Pour répondre aux challenges du futur, exacerbés par une pression démographique forte (la population devrait atteindre 2 milliards d’individus d’ici 2050), les grands défis sociaux et économiques, comme le chômage et l’accès restreint aux services publiques (santé et éducation), le continent africain doit établir des reformes adaptées. Pour certains, les progrès technologiques, en tant que moteur d’inclusion financière, d’accès à la santé, à l’éducation et à d’autres services essentiels, sont clés afin d’amorcer une transformation sociétale et économique durable. 

Cette transformation pourrait avoir lieu rapidement, puisque malgré son jeune âge, le VC africain se structure très vite, comme le souligne Isadora Bigourdan, ex-Directrice Générale de Digital Africa. En outre, l’activité est soutenue par l’arrivée de nouveaux acteurs dont l'intention est d’accompagner financièrement les startups depuis l’amorçage jusqu'à la série A+, donc sur plusieurs années. Aussi, l’émergence de ces jeunes pousses en Afrique est rendue possible grâce à la multiplication de hubs technologiques. Il y en aurait environ 600 sur le continent, et trois d’entre eux sont déjà des locomotives de progrès technologique : le Nigeria, le Kenya et l’Afrique du Sud. Au sein de ces pôles d'effervescence, de nombreuses startups, des incubateurs, des parcs dédiés à la technologie et des centres d'innovation florissants constituent le tissu économique de l'avenir.  

La tech et le marché du capital-risque en Afrique : une opportunité sociétale et environnementale 

L’essor du VC africain est né de la capacité à résoudre les grands défis socio-économiques du continent, avec en tête le secteur financier, qui présente des lacunes significatives en termes d'accès et d'inclusion. Khaled Ben Jilani, Senior Partner et membre du comité exécutif d’AfricInvest, rappelle que “moins de 25 % des Africains ont accès au crédit, et moins de 50 % ont un compte bancaire formel”. L’opportunité d’accélérer l'inclusion digitale et financière sur le continent est saisie par des fintechs comme Djamo, une startup ivoirienne spécialisée dans les services bancaires en ligne et accompagnée par plusieurs fonds de VC. 

Par ailleurs, Fatoumata Ba, Fondatrice et Présidente Exécutive de Janngo capital, souligne que la technologie offre une opportunité considérable de création d'emplois. Les secteurs clés incluent l'accès mobile, le déploiement du Wi-Fi et le renforcement des infrastructures technologiques. En investissant dans ces domaines, l'Afrique pourrait stimuler sa croissance économique tout en offrant des opportunités d'emploi à sa population en expansion.  

De son coté, Khaled Ben Jilani, Senior Partner et membre du comité exécutif d’AfricInvest, met en évidence le fort potentiel de développement à l’international des startups africaines : ces dernières arrivent à répliquer leurs modèles d’affaires sur plusieurs régions de l’Afrique. “C’est le cas en particulier pour les startups du secteur de la tech qui mettent au cœur de leurs projets les problématiques sociétales et environnementales, et qui ont souvent pour objectif l’expansion sur toute l’étendue du continent”.  

Les réalités locales sur tout le continent placent les questions climatiques et d'inclusion au centre des enjeux. Janngo, en tant qu'acteur engagé, se distingue notamment par son soutien actif aux jeunes entrepreneuses. 

La tech et le marché du capital-risque en Afrique : une opportunité financière  

Avec une population de plus d’un milliard de personnes et un vivier de talents conséquent, l’Afrique représente une opportunité financière non négligeable, d’autant que le marché du capital-risque Africain est jeune. L’écosystème tech africain y connait une évolution rapide, avec des success stories fulgurantes, grâce aux investisseurs ou startup studios. Parmi ces belles histoires, on retient celle d’Expensya, une pépite spécialisée dans la digitalisation de la gestion des notes de frais et de divers types de dépenses, ou encore InstaDeep, la startup tunisienne spécialiste de l’intelligence artificielle qui a développé un système d’alerte sur les variants du Covid-19, en collaboration avec BioNTech. La startup a depuis levé 88 millions d’euros auprès de BioNTech, Google et d’autres. 

Enfin, Ben Marrel, PDG et co-fondateur de Breega, souligne que le succès de l’Afrique face aux défis du futur repose sur l’innovation technologique. En effet, compte tenu du contraste frappant entre l’Europe et l’Afrique, illustré par des trajectoires démographiques diamétralement opposées (vieillissement vs. explosion démographique), il semble que les technologies traditionnelles venues de l’étranger ne résoudront pas les futurs problèmes du continent. C'est pourquoi Breega, après quatre fonds dédiés aux startups européennes, a lancé en 2023 son premier véhicule africain : Breega Africa Seed I. 

Quelles sont les clés d’un succès durable pour la tech africaine ? 

Connaître la réalité des marchés africains et créer un rapport de confiance 

Afin de permettre la croissance et le développement des startups en Afrique, plusieurs fondements sont indispensables. Selon Isadora Bigourdan, ex-Directrice Générale de Digital Africa, il est nécessaire d'acquérir une connaissance approfondie et éclairée du marché africain, brisant tous les mythes et les préjugés qui peuvent fausser les perceptions extérieures, et offrant une perspective ancrée de la réalité du terrain. Autre fondement : établir un rapport de confiance au sein de ces écosystèmes en pleine croissance. Pour ce faire, la création de plateformes de mise en relation entre les startups et les investisseurs s’avère être une démarche efficace, car cela leur permet d'accéder directement à un réseau d'investisseurs et de renforcer la confiance mutuelle. A titre d’exemple, la plateforme EuroQuity de Bpifrance entend répondre à ce besoin de « match-making » efficace et ciblé entre des entrepreneurs en phase de levée de fonds et des investisseurs.  

Créer un écosystème soutenu par des acteurs et investisseurs locaux 

L'établissement d'une chaîne de valeur locale en matière de capital-risque apparaît nécessaire. Comme le souligne Fatoumata Ba, Fondatrice et Présidente Exécutive de Janngo capital, les Investissements Directs Étrangers en Afrique représentent actuellement environ 6 % du PIB du continent tandis que les actifs africains investis en dehors de l'Afrique s'élèvent à 26 % du PIB. Pour contrer cette situation, il est donc essentiel de promouvoir des initiatives qui encouragent les acteurs locaux à investir (e.g. fonds de pension), à l’image de la banque centrale égyptienne qui incite les banques nationales à investir dans le capital-investissement local.  

Encourager l’investissement et faire connaitre les fonds de capital-risque 

Pour Khaled Ben Jilani, Senior Partner et membre du comité exécutif d’AfricInvest, en plus des Institutions de Finance du Développement telle que Proparco, il est nécessaire de créer davantage de fonds de fonds (portefeuille dont la performance est liée à des fonds individuels sous-jacents) dédiés au continent. À l’image du programme Averroès de Bpifrance, ceux-ci apportent beaucoup à la structuration et la pérennisation des sociétés de gestion africaines.  

Au-delà des investissements directs classiques, il est nécessaire d’accompagner les entrepreneurs avec des approches novatrices pour surmonter les défis de liquidité à court terme, à l’instar des financements de type « bridge » (financement à court terme sollicité par une entreprise pour financer un besoin urgent de trésorerie), ayant émergé en réponse à la crise de Covid-19.  

Fatoumata Ba insiste sur l’accélération des investissements vers les marchés « underserved » comme l’Afrique francophone. Pour ce faire, il est important d’améliorer la perception du risque sur le continent en vulgarisant l’information sur les performances et les risques des fonds de VC. Les fonds africains n’apparaissaient pas tous dans des benchmarks internationaux comme Cambridge Associates (benchmark regroupant les performances des fonds au niveau mondial) ce qui empêche la connaissance des performances de ces classes d’actif en Afrique. 

Enfin, Ben Marrel, PDG et co-fondateur de Breega, soutient qu’il est important d’inciter les investisseurs, les grands bailleurs de fonds, les assureurs et les fonds de pension, à investir dans des projets à impact réel en Afrique, en assouplissant notamment certaines limitations à investir hors des pays de l’OCDE. Il est également crucial de mettre en œuvre des mesures visant à atténuer les risques liés aux investissements en Afrique et à optimiser la performance des fonds africains : la mise en place de mécanismes de first loss (garantie financière en première perte) constitue une approche pertinente pour atteindre cet objectif.  

En conclusion, le VC africain est né pour soutenir l'émergence de technologies innovantes, qui se veulent elles-mêmes les réponses à des besoins locaux urgents : santé, inclusion financière, souveraineté agroalimentaire, etc. Ainsi, le caractère prometteur de l’ensemble des startups africaines (Healthtech, Fintech, Agrotech, Edtech, etc.) et des innovations technologiques qu’elles permettent de faire émerger constitue un terrain très fertile pour les investissements en VC, tant du point de vue de la rentabilité financière que de celui de l’impact sociétal, qui doivent toujours aller de pair pour un développement pérenne du continent.  

1. Fonds de capital-risque africain qui cible des startups utilisant la technologie pour répondre aux défis du continent. 

2. Programme de 130 millions d'euros du groupe AFD qui soutient les startups dans le secteur digital. 

3. Société de gestion de capital-risque dédiée au financement de startups tech en Europe et en Afrique. 

4. Pionnier du capital-investissement en Afrique, AfricInvest a levé plus de 2 milliards d'euros et réalisé plus de 200 investissements dans 35 pays africains. 

Amélie Fonlupt
Amélie Fonlupt Rédactrice Web