Métaux critiques : pourquoi et comment réduire la pression ?

Alors que les métaux tels que le cuivre, le nickel, le lithium et le cobalt sont au cœur de la transformation des pays et des entreprises, focus sur les enjeux de leur utilisation intensive qui, à terme, pourrait engendrer des tensions d’approvisionnement pour certains d’entre eux. Rencontre avec Maud Lenfant et Marie-Anne Bechereau, expertes Bpifrance sur le sujet.  

  • Temps de lecture: 5 min
Métaux critiques pourquoi et comment réduire la pression
Camions de minerai dans une mine à ciel ouvert. Calama, désert d'Atacama. Nord du Chili

La croissance de la population mondiale et du PIB moyen par habitant a engendré une augmentation quasi-exponentielle de la consommation de métaux, en volume mais également en variétés utilisées. Les prévisions de l'évolution de ces tendances ainsi que les transitions numériques et énergétiques mènent à penser que la quantité cumulée de métaux à produire au cours des 35 prochaines années dépasserait la quantité produite depuis l’antiquité. 34 matières premières sont classées comme « critiques » par la Commission Européenne, comme l’explique Marie-Anne Bechereau, directrice adjointe climat au sein de Bpifrance. « On utilise cette appellation pour les matériaux qui sont à la fois stratégiques dans leurs usages et qui peuvent faire l’objet de tensions ou de restrictions d’approvisionnement ». 

Au centre de l’attention, quatre métaux critiques indispensables à la transition énergétique : le cuivre, le nickel, le lithium et le cobalt. « Ces trois derniers sont indispensables à la fabrication des batteries lithium-ion, les principales utilisées aujourd’hui dans le cadre du développement des véhicules électriques », partage Maud Lenfant, responsable sectorielle énergies chez Bpifrance. « Le cuivre fait quant à lui partie des métaux fondamentaux dans le développement industriel d’un pays. On le retrouve dans le transport, l’électricité, les équipements numériques, le BTP etc. », ajoute Marie-Anne Bechereau. Cependant, c’est bien la transition énergétique qui fait aujourd’hui bondir la demande. 

Cuivre, nickel, lithium et cobalt : des métaux indispensables à la transition énergétique 

Les prévisions d’offre et demande nous montrent que le cuivre présente un fort risque de tensions d’approvisionnement d’ici 2050. « Il faut en moyenne 15 ans pour ouvrir une mine de cuivre, donc en évaluant le portefeuille de nouveaux projets à venir, on peut vraisemblablement parier que l’offre primaire aura des difficultés à répondre à la croissance de la demande dans les 20 ans à venir », souligne Marie-Anne Béchereau. Alors que les expertes ne prédisent pas une pénurie soudaine, elles anticipent tout de même que le cours du cuivre aura tendance à augmenter, impactant ainsi de manière non négligeable les industries. Et là encore, c’est le véhicule électrique qui devrait représenter un tiers de cette croissance. 

Pour compléter ces tendances, les expertes partagent que le marché, bien que de plus en plus conscient du risque, ne semble pourtant pas encore se mobiliser pour l’éviter. « Bpifrance a un rôle en matière de conseil très important auprès des entrepreneurs, explique Maud Lenfant. Nous avons à cœur de faire comprendre aux dirigeants qu’il y a un risque sur l’approvisionnement du cuivre, notamment. Mais il arrive que ces derniers ne connaissent pas la totalité de leur chaîne d’approvisionnement. Bien souvent, ils ne connaissent que leurs fournisseurs de rang 1 et 2 ». Pourtant, une bonne connaissance de sa chaîne d’approvisionnement permet de mettre en place des mesures pour la sécuriser, en la diversifiant, notamment avec des fournisseurs issus de pays plus stables géopolitiquement. « Mieux connaitre sa chaîne de valeur sur la longueur permet de maîtriser sa demande en métaux les plus critiques », appuie Marie-Anne Bechereau.  

Sécuriser sa chaine d’approvisionnement, écoconcevoir et substituer : des solutions qui permettent de réduire sa consommation de métaux critiques 

Mais alors que l’Europe se révèle dépendante du reste du monde concernant l’extraction de métaux, notamment vis-à-vis d’états peu stables géopolitiquement, la solution résiderait d’après les expertes dans l’écoconception de produits, la substitution des matériaux les plus critiques ou encore dans l’allongement de la durée de vie des équipements. « Toutes ces clés nous permettraient de maitriser notre demande au niveau européen afin de renforcer in fine notre souveraineté », ajoute l'adjointe directrice climat de Bpifrance. « Nous souhaitons accompagner les changements de modèles d’affaires que ces solutions peuvent impliquer », assure Marie-Anne Bechereau. « Notre appel à projets dédié aux métaux critiques permet notamment d’accompagner les projets dédiés à la production ou au recyclage de métaux. En somme, tout ce qui va réduire la dépendance de la France aux métaux critiques identifiés », complète Maud Lenfant. Les expertes insistent sur la nécessité de la sobriété d’usage pour faire face à ce défi, en rappelant par exemple qu’avec une même quantité de métaux batterie, on peut fabriquer un S.U.V. électrique, deux citadines, ou seize mini-voitures. 

Bien que les choses n’aillent pas aussi rapidement qu’elles le devraient pour éviter les tensions d’approvisionnement en métaux critiques, les expertes notent une véritable prise de conscience ces deux dernières années. « Le sujet fait la une des journaux depuis quelques temps avec notamment les actions menées par le délégué interministériel qui coordonne les actions de l’Etat français sur le sujet », poursuit Maud Lenfant. La directive européenne (le CRM Act) va également permettre aux entreprises de réaliser des stress tests, afin d’évaluer comment elles seront impactées en cas de pénurie sur un métal. 

Repenser le modèle d’extraction des métaux pour limiter l’impact social et environnemental des mines  

« Nos convictions ne tournent pas seulement autour de la souveraineté de la France en matière de production de métaux. La pression exercée sur ces derniers entraine également une augmentation des ouvertures de mines ainsi que des problèmes liés à leur exploitation », partage Maud Lenfant, responsable sectorielle énergies au sein de Bpifrance. En effet, même si les métaux participent indirectement à la transition énergétique des pays et des industries, le secteur voit également son empreinte carbone se multiplier. « La mine verte n’existe pas, ajoute Marie-Anne Bechereau. L’exploitation des mines est fortement consommatrice en ressources notamment en eau et en énergie. De plus, leur ouverture entraîne des impacts sur la biodiversité locale ainsi que la santé des sols et de l’eau ». 

Si les impacts environnementaux sont largement soulignés par les expertes, les conséquences sociales sont également à prendre en compte. On observe depuis quelques années une dégradation de l’acceptabilité sociale des projets miniers par les populations locales, notamment. « Certains gouvernements ont dû faire face à des grèves des travailleurs comme dans les mines de cuivre au Chili. D’autres n’ont pas réussi à ouvrir pour le moment comme celle de lithium en Serbie », note l’experte.  

Alors que la seule solution viable sur le long terme réside dans la baisse de la demande en métaux critiques, il existe des pistes pour a minima améliorer les conditions sociales d'exploitation des mines. « On peut utiliser des robots pour se substituer aux mineurs, pour qui les conditions sont très dures. Il est également possible d’évaluer la composition du sous-sol avec des drones afin d’identifier les gisements. Des camions électriques peuvent aussi être adoptés afin de réduire l’empreinte carbone de l’exploitation des mines », conclut Marie Anne Bechereau. 

Julie Lepretre
Julie Lepretre Rédactrice web