Entre croyances et réalité, comment le greenwashing s’est immiscé dans notre société ?

Au fur et à mesure de la prise en compte généralisée des enjeux de développement durable, le greenwashing semble s’être invité de manière douce et pérenne dans la diffusion des messages de marque auprès du grand public. Big média s’est adressé à Valérie Martin (ADEME), et César Dugast (Carbone 4) pour analyser et reconnaître ce concept qui met à mal la communication environnementale.

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Greenwashing

« Avec nous, volez sans émission carbone ! » Vraiment ? Aguicheur et audacieux, ce slogan d’une célèbre compagnie aérienne a pourtant bel et bien fait l’objet d’une condamnation par le tribunal de Korneuburg (Autriche) en septembre 2023. La cour a estimé qu’il s’agissait « d’une publicité trompeuse », « laissant penser que prendre l’avion ne polluait pas la planète. » Une évidence, cela s’entend, le secteur ayant rejeté pas moins de 25 millions de tonnes de CO2 sur la seule année 2022 en France, soit plus de 85 % qu’en 1990 (source ADEME). Une quantité de carbone tellement importante qu’il serait vain de vouloir compenser… 

Le tribunal autrichien nous offre néanmoins un bel exemple de greenwashing, en somme. De quoi parle-t-on, ici ? De « tout message qui peut induire le public en erreur, sur la réelle qualité écologique d’un produit, d’un service, ou d’une organisation », nous éclaire Valérie Martin à propos de « l’écoblanchiment ». La cheffe du service mobilisation citoyenne et médias de l’ADEME (Agence de la transition écologique) est par ailleurs co-autrice du Guide de la communication responsable – aux côtés du chercheur Mathieu Jahnich. Dans une société animée par les débats sur la question climatique, le greenwashing semble désormais aller de pair avec la communication environnementale. Comment l’appréhender, le comprendre, et s’en prémunir ? Réponses. 

Introduction au greenwashing : cadre et définition 

Accords de Paris, COP, Loi climat et résilience, European Green Deal… L’écologie semblait pourtant avoir trouvé de puissants outils dans sa lutte pour préserver une « planète habitable ». Peu à peu, les entreprises, gouvernements et citoyens ont pris conscience du risque climatique auxquels ils s’étaient exposés. Les dispositifs règlementaires en matière de développement durable n’ont eu de cesse de se développer, et nul n’y échappera ! C’est ainsi, entre autres, que l’obligation de publier un rapport RSE pour les sociétés de plus de 500 salariés a vu le jour en 2017 (Loi Grenelle II). De la même manière, la France s’est engagée à atteindre la neutralité carbone à horizon 2050, et les bâtiments tertiaires ont des objectifs drastiques de réduction de consommation énergétique

Autant d’actions qui ont – forcément – engendré de la part des entreprises, des campagnes massives de communication destinées à prouver leur engagement auprès des consommateurs… Hélas, nombreuses sont celles qui se sont brûlées les ailes en chemin, en témoigne Valérie Martin : « le risque de greenwashing existe dès que vous traitez des enjeux, des réalisations, ou des projets en lien avec la transition écologique, bien que cela ne signifie pas pour autant qu’il faille arrêter de communiquer sur ces sujets ».  

Pour la cheffe du service mobilisation citoyenne et médias de l’ADEME, cela fait plusieurs années que l’on assiste à des évolutions. « Avec le greenwashing en progression, la question de la communication responsable, est aujourd'hui un véritable enjeu structurel. » En outre, la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) a estimé que plus d’un quart des entreprises auditées entre 2021 et 2022 présentaient des « anomalies ». « Je pense que ce n’est pas essentiellement volontaire, révèle l’experte. Cela montre néanmoins qu'il faut être vigilants, et repenser la manière dont sont inclues ces problématiques dans l’ensemble des actions de communication tout au long de notre réflexion».

Peinture verte employée à dessein, ou pas ?  

Intentionnel ou non, l’écoblanchiment demeure un frein à la transition écologique, et « sème la confusion dans l’esprit du public sur la réalité des efforts à entreprendre », affirme Valérie Martin. Avec le martellement de mots nouveaux comme « bio », « naturel », ou encore « zéro carbone », la confusion est de mise côtés annonceur comme récepteur. De fait, le CNC (Conseil National de la Consommation) publiait en 2023 son Guide des allégations environnementales, un outil de référence pour les professionnels et les particuliers, qui entend bien livrer des clés de compréhension à toutes les parties prenantes. 

D’après César Dugast, responsable du pôle neutralité carbone chez Carbone 4 (un cabinet de conseils spécialisé en transition écologique, NDLR), le greenwashing découle d’une problématique plus structurelle. « Aujourd’hui, de plus en plus de produits ou services se revendiquent neutres en carbone. Cette allégation est fondée sur des mécanismes de marchés, basés sur la compensation carbone. Mais cela ne veut pas dire que l’entreprise est alignée avec le net zéro planétaire (objectif des Nations Unies de réduire les émissions de gaz à effet de serre aussi proche que possible de zéro, NDLR) », déclare le jeune homme, qui s’intéresse de près à cette notion avec son équipe. « Notre objectif est d’analyser la manière dont une organisation peut être sérieuse vis-à-vis de ces questions de zéro émission nette, sans greenwashing, et en essayant d’être le plus intègre et ambitieux possible dans sa démarche ». 

Pour le jeune homme, il existerait ainsi deux volets de greenwashing que l’on peut distinguer. Le premier, et le plus solvable, vient de la méconnaissance des communicants s’agissant de certaines notions écologiques. Du manque d’échanges avec les départements concernés : RSE, climat, R&D, … Le second, plus problématique, serait le cynisme des entreprises. « Elles se disent probablement que la polémique engendrée vis-à-vis des retombées économiques potentielles en vaut la peine, qu’il faut prendre ce risque », déplore César Dugast. Mais au fait, quel(s) risque(s) ? 

Pris en (green) flag 

Affirmation trompeuse, occultation des pratiques polluantes, prise en compte d’une infime partie d’un produit… L’utilisation abusive de l’argument écologique fait apparaître son lot de menaces, à quiconque aurait usé de cette « liberté ». « Nous assistons à une montée en puissance d’une certaine forme de résistance. Elle s’organise avec les particuliers, les ONG, et surtout les collectifs de citoyens, à l’instar de « Pour un Réveil écologique », qui vont dénoncer ces publications », observe l’experte en communication de l’ADEME, Valérie Martin. De fait, plusieurs organisations ont déjà vu leur image se ternir à la suite d’un « bad buzz » sur les réseaux sociaux…  

D’après le baromètre 2023 GreenFlex-ADEME de la consommation responsable, seuls 34 % des consommateurs déclarent faire confiance aux entreprises. « Nous sommes dans un contexte de défiance du citoyen vis-à-vis des marques, ajoute la cheffe de service. Cela a aussi une répercussion sur la marque employeur ». Un propos confirmé par le consultant chez Carbone 4, César Dugast : « le greenwashing a de très mauvais jours devant lui. La société civile est de plus en plus méfiante ».  

Et le risques ne sont pas que réputationnels. « Aujourd’hui, le greenwashing expose aussi les entreprises à des menaces financières et juridiques », affirme Valérie Martin. En outre, dans le cadre de la loi du 22 août 2021, « Climat et résilience », l’adoption de nouvelles mesures permettant des « sanctions renforcées » a bel et bien vu le jour : des peines pouvant aller jusqu’à 2 ans d’emprisonnement, 300 000 euros d’amende et un pourcentage du chiffre d’affaires annuel (article L.132-2 du code de la consommation). «Le secteur financier est très regardant sur le sujet. Les investisseurs n’ont pas envie de placer leur capital dans des sociétés qui ne tiendront pas la transition », abonde César Dugast. Une raison – parmi tant d’autres – pour se préparer efficacement avant de lancer sa campagne de pub. Comment bien s’y prendre, alors ?  

Eviter le greenwashing, quand la sincérité paye 

Avec un renforcement des pouvoirs attribués au régulateur – au niveau national et européen – et l’abondance d’outils à disposition des communicants, « aucune direction ne pourra passer à côté de ces enjeux », assure Valérie Martin. La cheffe du service mobilisation citoyenne et médias de l’ADEME compte sur les quatre piliers de la communication responsable : l’engagement sur les messages dans le respect des enjeux environnementaux, l’éco-conception, l’écoute de toutes les parties prenantes, et l’analyse des actions mises en place. « Les communicants ont besoin d’être formés pour être en pleine responsabilité des messages qu’ils vont porter », poursuit-elle. 

Plus que la transparence, les deux experts prêchent avant tout une réflexion profonde sur l’essence même de nos organisations. « Passer d’une société qui baigne dans un imaginaire consumériste, à une société des sobriétés désirables, ça s’accompagne », soutient Valérie Martin. « Il faut penser les politiques publiques de manière cohérente avec la règlementation. Parvenir à la neutralité carbone européenne prônée par le Green Deal, nécessitera d’assister les entreprises dans leur changement de modèle économique afin de laisser tomber le superflu au profit de l’utile », complète César Dugast. Un changement de paradigme au niveau sociétal ? « Il faudra redonner sa place au citoyen », conclut la responsable. 

elc
Emma-Louise Chaudron Rédactrice Web