La révolution digitale en Afrique : quels enjeux pour les entreprises ?

Une révolution digitale est en cours en Afrique, et est en train de changer la façon dont les entreprises fonctionnent. Plusieurs experts sont revenus sur les opportunités et limites de cette digitalisation au cours d'un atelier à Big 8 en octobre dernier.

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CampusAfrique

Les entreprises africaines se tournent de plus en plus vers les technologies digitales pour améliorer leur productivité, leur rentabilité et leur compétitivité. Aujourd’hui, le secteur de la Tech y est très actif, même s’il est important de souligner que la révolution digitale prend du terrain plus rapidement en zone anglophone qu’en zone francophone. En effet, pas moins « de 80% des financements des startups vont vers des startups d’Afrique anglophones. », assure Stéphan-Eloise Gras, directrice générale de Digital Africa.

Des opportunités à saisir pour et par les entreprises africaines

D’après Vincent Di Betta, directeur des affaires internationales et européennes chez Bpifrance, le « digital, c’est le mot à la mode, la panacée. Il va révolutionner tout et va apporter des solutions ». En outre, il réforme le monde de l’entrepreneuriat en produisant une croissance « inclusive ». Lorsqu’il interroge Stephan-Eloise Gras, directrice générale de Digitale Africa, sur les piliers nécessaires à une transformation digitale et une économie numérique soutenable en Afrique, celle-ci en énonce trois. Premièrement, elle évoque des compétences, celles qui servent à développer la “technologie au service de l'économie ». Ensuite, elle aborde la question du financement « de nouveaux services et produits qui servent l’économie réelle et à créer de l’emploi ». Enfin, elle parle de régulation et d’accompagnement des marchés pour qu’ils soient propices à une innovation et à une technologie “made in africa.”  

A travers son rôle chez Digital Africa, Stephan Eloise accompagne des startups et grands groupes africains et français dans leurs stratégies et politiques d'investissement en matière d'innovation. Selon elle, le continent nous montre la voie d’une « métamorphose digitale ». En développant le marché africain de la future licorne française Openclassroom, elle a pu observer que de plus en plus de jeunes mesurent les opportunités qu’offrent la digitalisation. La plateforme d’éducation permet aux plus de 600 000 étudiants africains qui s’y connectent chaque mois de se former aux métiers du numérique. Elle souligne que les cours qu’ils choisissent de suivre sont « techniquement plus sophistiqués et avancés que ceux qui étaient suivis par des étudiants français ». Une preuve selon Stéphan-Eloise que « l'Afrique regorge de talents numériques », des compétences à renforcer pour accompagner la transformation digitale du continent et participer à l'émergence d'un marché ».

“La révolution digitale est à voir comme un tremplin, non une fin”

« Ne faudrait-il pas penser la révolution digitale non pas comme une fin en soi mais comme un outil au service des enjeux globaux et stratégiques de ces entrepreneurs ? », s’interroge Kadiatou Traoré. Celle qui est à la tête de la communauté Lionstech Invest met en garde sur la digitalisation des processus. « On parle souvent de la révolution digitale comme un sujet à part entière, un objectif.» Pour cela, il faudra avant tout, proposer de nouveaux outils, des nouvelles solutions, des nouveaux business ou encore, placer l’humain et ses besoins à la base de toutes réflexions. 

Il est aussi de mise pour le digital d’être en accord avec les aspects structurels du pays dans lequel il s’impose et en phase avec le particularisme culturel et civilisationnel. « Aujourd'hui, on place le digital en ayant une vision très mondialisée où Internet est accessible partout mais, il faut faire attention aux spécificités locales et régionales qui nous amènent à voir que l’accès à Internet reste cher et n’est pas forcément uniformisé. “, déclare Kadiatou Traoré. Par ailleurs, certaines volontés gouvernementales vont dans le sens de la numérisation, c’est le cas du Sénégal par exemple qui, dans le cadre du « Plan Sénégal Emergent » (PSE), tend vers un développement social économique durable et donc étroitement, vers plus d’infrastructures connectées. Mais « le Sénégal, ce n’est pas que Dakar », rappelle-t-elle. “Il faudrait déjà être certain que tout le monde a réellement accès à Internet pour ensuite imaginer un certain nombre d'opportunités business. »  

Une digitalisation nécessaire mais qui coûte cher  

Au-delà de l'accès à Internet, la digitalisation du continent africain est confrontée à d'autres obstacles. Notamment aux menaces de cybercriminalité. Franck Kié, spécialisé en cybersécurité affirme la nécessité d'éduquer à ces enjeux. "Il y a un très gros travail à faire au niveau des utilisateurs qui sont les premières personnes touchées et concernées par tous ces outils numériques ». Du côté des entreprises, il y a ce concept de “Security by design, cette sécurité qu'il faut prendre en compte et intégrer dès le départ pour pouvoir assurer la protection des données personnelles des différentes parties prenantes avec lesquelles on travaille ».  

Une protection qui a un prix. Comme le rappelle Sandra Locoh-Dounou, directrice générale de Finlo., " la digitalisation coûte chère". Les pays occidentaux comme la France n’ont pas eu d’autres choix que d’accélérer leur digitalisation depuis le Covid-19 mais « demander à une TPE, avec des ressources très faibles, d’optimiser un programme de digitalisation même si c'est deux ou trois mille dollars, c'est deux ou trois mille dollars qu'elle peut mettre dans sa force de vente ou dans son recrutement ». 

L’heure est donc à la standardisation et au partage équitable de l’information quels que soient les obstacles géographiques, « désenclaver une zone grâce à une connexion Internet, c’est révolutionnaire », ajoute-t-elle. Proposer à la jeunesse africaine des plateformes innovantes comme il en existe déjà quelques-unes, lui permet de « challenger une économie mondiale dont elle était exclue”. 

Sofia Ben Dhaya
Sofia Ben Dhaya Rédactrice web