Franck Annese (So Press) : « Je suis un peu comme Indiana Jones, j’ai placé ma vie sous le signe de l’aventure ! »

Le fondateur de So Press nous a reçu dans ses bureaux du XVIIIe arrondissement de Paris. L’occasion pour l’entrepreneur de dérouler l’histoire du groupe qui a remis la presse écrite au goût du jour, de parler IA et de nous expliquer comment il réinvente sa marque grâce à quelques « coups » bien sentis. Interview sans protège tibias.
 

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Franck Annese, fondateur de So Press, interviewé par Simon Napierala (Big média)
Franck Annese, fondateur de So Press

2002, une année charnière pour la France. Après le choc du 21 avril et la débandade des Bleus, pourtant en route vers une seconde étoile, trois potes d’école décident de lancer un nouveau magazine de foot. La presse écrite, en PLS depuis quelques années, accueille la nouvelle les bras fermés. Les conseillers d’orientation de l’époque dissuadent même les apprentis rédacteurs de viser le métier de journaliste.

Pourtant, contre toute attente et avec seulement 450 euros en poche, le premier numéro du mensuel So Foot paraît le 31 mars 2003. 1 500 ventes à la clé. Dix ans plus tard, il s’en écoulera 50 000. La recette ? Un magazine mêlant sport, culture et société « pas créé par des journalistes sportifs », doté d’une ligne éditoriale qui fait la part belle aux 3H : humour, humain, histoire.

Depuis, So Foot a fait des bébés (Society, So Good, L’Étiquette) et l’entreprise s’est structurée avec la création de So Press, qui englobe entre autres une société de production (AllSo et Sovage pour la pub, So In Love pour la fiction et les documentaires, AllSound pour les podcasts), un label de musique (Vietnam), une salle de concert (Trabendo)… Mais la méthode perdure et le succès est au rendez-vous, en témoigne la folie entourant la sortie des deux Society consacrés à Xavier Dupont de Ligonnès à l’été 2020 (450 000 exemplaires vendus). « On est sur ses traces, je compte aller le dénicher dans très peu de temps », plaisante en off Franck Annese, l’entrepreneur à l’origine de l’aventure « So ». Lorsqu’on lui demande de définir sa société So Press, il lance : « C’est une petite PME familiale qui existe depuis 20 ans et qui se porte plutôt très bien. » Rencontre avec un atypique qui se voit avant tout comme un journaliste.

So Press, une aventure collective entre potes

Franck Annese a la fibre entrepreneuriale chevillée au corps. « Très tôt, étudiant à l’ESSEC, j’ai monté des associations, des radios, des fanzines… je n’ai jamais vraiment travaillé dans des boîtes classiques », confirme-t-il. Hormis des passages express dans un cabinet d’audit puis au sein de l’émission Culture Pub, il revient à ses premiers amours. « J’aime les aventures collectives et l’entrepreneuriat en est une grande. Je suis un peu comme Indiana Jones, j’ai placé ma vie sous le signe de l’aventure (rires). »

Si le lancement de So Foot se fait dans la joie et la bonne humeur, le natif de Bourges va déchanter au bout de quelques mois. « Si je revenais en arrière, je dirais au Franck Annese de 2003 de s’associer avec des gens qui s’impliquent dans la boîte (rires). Sinon par la suite tu dois faire des gros chèques à des personnes qui n’ont pas fait grand-chose, c’est toujours un peu pénible. » Une mauvaise expérience qui lui fait prendre conscience de choisir avec soin ses collaborateurs, la force de So Press aujourd’hui. « J’ai la chance désormais de travailler avec des individus qui sont devenus des amis, en lesquels j’ai énormément confiance, et qui ont confiance en moi aussi », assure l’homme à la casquette. « C’est facile de travailler avec ses potes car tout le monde se bat et tire dans le même sens. Ça permet de gagner beaucoup de temps à plein d’étapes de la vie d’une entreprise. Ça fait 20 ans que ça dure et on ne s’est toujours pas brouillés, c’est bon signe ! »

La recette du succès

L’exigence, le sur-mesure et le côté artisanal sont les ingrédients de la réussite de So Press. Sans oublier le principal : élaborer des récits à hauteur d’Hommes, que ce soit à l’écrit, en vidéo ou en podcast. « Notre force, c’est la façon dont nous racontons ces histoires », précise Franck Annese. « Elles sont générationnelles et correspondent au ton des 25-45 ans je pense. »

Si le lancement de So Foot en 2003, le tout premier magazine, a permis à la boîte de décoller, la mise en place d’un pôle de production dès 2005 a marqué un virage décisif dans le développement de la startup. « À l’époque on produisait uniquement des pubs pour Nike », confie l’entrepreneur. « Mais très vite on s’est mis à réaliser des clips et des pubs pour la terre entière. » Comprendre des annonceurs friands de la patte So Press à raconter ces fameuses histoires hors des sentiers battus. Sous les bannières AllSo et Sovage, les sociétés de production sont rapidement devenues les poumons économiques de l’entreprise. Permettant de prendre parfois quelques risques éditoriaux.

Comme ce jour de 2014 où les responsables de So Press, avec l’accord des salariés, n’hésitent pas à placer une grosse partie de l’argent du groupe, avec la possibilité de tout perdre en trois semaines, pour lancer un quinzomadaire du nom de Society. « La première publication de Society en 2015 est clairement un moment clé dans notre histoire », abonde le boss de So Press. « Le magazine représente aujourd’hui la vitrine du groupe en termes de visibilité. » Un coup de poker à faire pâlir Neymar, Patrick Bruel et Joey Starr réunis.

Réinventer sans cesse les marques du groupe So Press

« Le nerf de la guerre, quand tu fais un média, c’est de savoir se réinventer et de créer l’événement », enchaîne Franck Annese. « Aujourd’hui la consommation de média se fait dans une logique événementielle. Si tu ne fais pas des « coups », les gens t’oublient très vite car ils sont sollicités partout, notamment sur les réseaux sociaux. » Alors comment créer l’événement ? « C’est à la fois éditorial avec des couvertures, en tant que média papier. Mais c’est aussi de réaliser des évènements en dehors, comme ce que l’on a fait lors de la dernière Coupe du monde de foot au Qatar », poursuit-il. So Food, le restaurant éphémère créé pour les gens qui souhaitaient boycotter le Mondial, avait régalé l’assistance fin 2022.

Ce petit temps d’avance, c’est ce qui leur permet d’être « encore debout, solide et d’avancer », explique Franck Annese. « C’est ce qui nous excite aussi car c’est marrant à faire, on ne se contente pas de juste faire des magazines. Comme on a la chance d’être un groupe pluridisciplinaire avec de la production, du podcast, de la musique également, on se sert de chaque pan de la boîte pour créer de beaux concepts. »

L’intelligence artificielle, une menace pour la presse ?

L’IA est-elle plus artificielle qu’intelligente ? À cette question digne du prochain Bac de philo, Franck Annese répond pourtant en moins de quatre heures. « L’intelligence artificielle est un outil hyper intéressant, mais c’est aussi un sujet sensible pour nous », ajoute-t-il. « Une de nos activités principales est le journalisme, donc il faut prendre garde à retranscrire la vérité, d’être le plus objectif possible et de délivrer de l’information. Le problème de l’IA, c’est qu’elle a la fâcheuse tendance à être utilisée pour truquer des données, en l’occurrence créer des images qui n’existent pas. »

Si la tentation est parfois grande de concevoir des couvertures de magazine à l’aide de l’IA, le fondateur de So Press préfère tempérer les ardeurs de ses équipes. « Il y a quelques semaines, on réalisait une couverture de So Foot et on souhaitait y faire figurer Emmanuel Macron en supporter. Si tu demandes à une IA de créer l’image pour toi, ce qui en ressort est assez bluffant. Finalement, on a décidé de faire de l’anti IA et de réaliser un montage un peu foireux afin de ne pas pervertir la réalité. » Pour ce qui est du déploiement de l’intelligence artificielle dans le futur, l’entrepreneur n’y voit « pas vraiment une menace pour la survie de leurs métiers. »

Que nous réservent-ils en 2024 ?  « So Foot et Society vont se mettre au parfum des Jeux olympiques, c’est certain », confirme le fondateur des deux revues. « Nous allons également sortir So 2024, un magazine éphémère spécial JO. On vous promet de belles surprises. »

Simon NAPIERALA
Simon Napierala Redacteur web