Pourquoi les startups de la e-santé et de la biotech intéressent les investisseurs ?

Alors que les startups de la e-santé et de la biotech ont le vent en poupe, Béatrice De Keukeleire, responsable sectorielle santé chez Bpifrance, revient sur la manière dont ces structures innovantes ont pris de plus en plus de place dans le secteur pharmaceutique français et quelles sont les tendances d’investissement.

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Sanofi

« Depuis 1800 et jusque dans les années 2000, le secteur pharmaceutique français était très conservateur et innovait en interne. Mais dans les années 90, le système pharmaceutique classique ne fonctionnait plus. On était à la recherche de médicaments plus ciblés et avec moins d’effets secondaires », partage Béatrice de Keukeleire, responsable sectorielle santé chez Bpifrance. En parallèle, les biotechs, des entreprises qui appliquent la technologie à la biologie, fleurissent aux Etats-Unis. Issues de laboratoires publics, ces structures ont peu à peu prouvé qu’elles étaient capables de challenger les grands leaders historiques du domaine. « Pour innover, on observe que les groupes ont préféré aller chercher l’innovation de rupture chez les petites entreprises montantes plutôt que d’internaliser et prendre un risque », ajoute l’experte.  

Dans les années 2000 une vague de rachats et de collaborations entre les biotechs et les acteurs historiques fait son apparition. « Cela a permis aux entreprises innovantes d’atteindre un nouveau stade de maturité », souligne Béatrice De Keukeleire. Il faudra cependant attendre les années 2010 pour que ce modèle se généralise au sein de grands groupes, qui gardent tout de même en interne le développement clinique, la production et la commercialisation. « Les acteurs se tournent désormais vers les biotechs plus en amont sur leur chaine de valeur. Ces dernières se sont par ailleurs diversifiées afin de proposer non plus une ou deux molécules mais des plateformes technologiques permettant le développement de multiples médicaments », complète-t-elle. On peut mentionner par exemple Aqemia, qui a récemment signé un deal avec Sanofi, leur fournissant une plateforme digitale destinée à identifier de nouvelles molécules pour des cibles non adressées avec les médicaments déjà présents sur le marché. 

Une mutation du secteur pharmaceutique  

« Ce modèle est celui que les investisseurs poussent depuis longtemps », assure Béatrice de Keukeleire. S’il est risqué de financer une entreprise développant une seule molécule, notamment en cas d’échec, les fonds et investisseurs privés sont plus enclins à participer au financement d’entreprises ayant plusieurs projets en cours grâce à une plateforme technologique de pointe. « Ici, les investisseurs notent le potentiel de la plateforme et non pas uniquement le médicament ou les deux molécules créées. Ils veulent investir dans des biotechs qui peuvent dealer avec plusieurs pharmas, et non plus une seule », assure la responsable sectorielle santé de Bpifrance. De plus, ce modèle créé également plus d’emplois et de valeur sur le territoire français.   

Startups de la e-santé : un modèle plus récent avec des mises sur le marché plus rapides mais une compétitivité croissante 

« Pour la e-santé, c’est très différent. Les temps de développement sont plus courts que pour les médicaments. Ça coute également moins cher », poursuit l’experte. Cependant, les acteurs doivent faire face à d’autres enjeux comme l’accès à des données de santé pour valider leur solution. Il faut sortir le produit, le protéger et conquérir le marché le plus vite possible. Une opportunité existe pour ces acteurs de proposer leurs solutions aux industriels. « Pour les grands groupes pharmaceutiques, ces innovations notamment en matière d’intelligence artificielle représentent une véritable opportunité car elles leur font gagner du temps. » Les acteurs de la pharma peuvent alors intégrer des solutions digitales lors des étapes de développement de leurs médicaments. Par ce bais, elles gagnent du temps ainsi que de la précision sur les résultats. « Par exemple, lors des essais cliniques, au lieu de faire venir le patient toutes les deux semaines, on l’équipe d’objets connectés et on le suit à distance. Les données remontent en temps réel et sont plus précises et proches de la réalité. C’est une véritable clé pour mieux anticiper la mise sur le marché », complète Béatrice De Keukeleire.  

Une tendance d’investissement stagnante  

Alors que le numérique est en vogue coté investisseurs, de nombreux fonds sont apparus, destinés à financer les startups de ce secteur. « Le fonds digital venture représente bien cet engouement. Des fonds historiquement numériques s’intéressent également à la e-santé car ils voient le retour sur investissement possible, explique l’experte. En France, nous avons des vraies pépites en mathématiques et en intelligence artificielle, avec une structure académique très puissante. Nous sommes reconnus à l’international. » De plus, le tissu de biotechs françaises arrive également à maturité, avec de belles entreprises en phases d’essais cliniques. « On observe des deals qui fonctionnent bien et le succès entraine le succès. C’est un cercle vertueux donc il faut continuer à les financer », partage la responsable sectorielle santé de Bpifrance. En effet, parallèlement, plus ces entreprises sont matures, plus elles ont besoin de fonds pour se financer et avancer dans le développement de leurs solutions et produits. « La France a investi beaucoup d’argent via des fonds d’investissements et des projets tels qu’i-Lab, pour faire sortir les innovations des laboratoires académiques », complète l’experte. 

Si les startups de la e-santé et de la biotech bénéficient de l’intérêt croissant des fonds d’investissement, les tendances stagnent cependant ces derniers mois. « L’année 2023 a été compliquée. Elle a profité aux entreprises qui étaient déjà investies. On observe également que les investisseurs ont été quand même capables de réaliser quelques tours de table de plusieurs dizaines de millions d’euros, signes que les projets sont matures et ont déjà fait leurs preuves », note Béatrice de Keukeleire. Cette tendance sous-entend cependant que les startups essayant de lever des fonds pour la première fois ou sur des petits montants ont du mal à se financer.  

Le conseil de Béatrice de Keukeleire, responsable sectorielle santé chez Bpifrance 

« Je conseille aux entreprises de se faire accompagner dans leurs premières démarches de levées de fonds. N’hésitez également pas à aller frapper à la porte des réseaux d’accompagnement ou spécialisés comme les réseaux French Tech etc. L’idée est de se faire connaitre, de créer des liens et de développer son carnet d’adresses.  
Il faut aussi se remettre en question pour savoir si le chercheur qui a mis au point l’innovation est le bon ambassadeur pour l’entreprise. Il est nécessaire d’accepter, même si c’est son bébé, que l’on n’est pas forcément la meilleure personne pour représenter le projet. » 

  

Julie Lepretre

Julie Lepretre

Rédactrice web