Lutter contre l’exclusion à Mayotte, tout en faisant face au dérèglement climatique : la mission d’Habit’Âme

Startup basée sur l’île de Mayotte, Habit’Âme a choisi de relever le défi du recyclage et de l’insertion sociale dans un département d'outre-mer qui fait face à de nombreuses épreuves, tant sur le plan social qu’écologique. Rencontre avec sa fondatrice, Hannah Dominique.

Les fondateurs d’Habit'Âme, startup de l’économie sociale et solidaire
Les fondateurs d’Habit'Âme, startup de l’économie sociale et solidaire

Bâtir des logements à moindre coût à Mayotte, en recyclant le plastique usagé de l’île et en permettant aux personnes exclues de retrouver un emploi, tel est l'objectif ultime d’Habit'Âme. Cette jeune pousse de l’économie sociale et solidaire (ESS), toute récente lauréate du prix Talents des Cités, a été lancée en 2022 par cinq porteurs de projets, dont Hannah Dominique, avec qui nous avons pu échanger.

Créer son entreprise pour faire bouger les choses

Nous sommes en 2016 et, à tout juste 25 ans, Hannah Dominique est en pleine quête de sens à l’issue de ses études. Elle décide rapidement de quitter la métropole et de partir pour un service civique à Mayotte, en s’engageant en faveur de la rescolarisation des enfants des rues. Elle s’attache rapidement à l’île et à sa culture, tout en découvrant un nouveau domaine d’action qui lui plaît.

De retour dans l'Hexagone, Hannah Dominique passe un Master de gestion des structures de l’économie sociale et solidaire, tout en travaillant en parallèle comme accompagnatrice dans un lieu de vie pour adolescents en difficulté. « J’ai décidé de retourner à Mayotte en 2021 avec l’envie de me mettre à nouveau au service du territoire. J’ai commencé par travailler dans un réseau d’accompagnement à la création d’entreprise, spécifiquement dans l’économie sociale et solidaire, et j’ai voulu lancer la mienne, pour faire bouger les choses », explique la fondatrice d’Habit’Âme. « Je n’avais pas du tout les connaissances techniques, de construction et du territoire pour lancer ma startup. Mais c’est en faisant la connaissance de quatre autres porteurs de projets que mon souhait a pu se réaliser. » 

Œuvrer pour une économie circulaire et plus inclusive à Mayotte

Le projet Habit’Âme est donc né de la collaboration de trois architectes, d’un enseignant et d’Hannah Dominique, sans compter la cinquantaine d'associés apporteurs de capital au lancement. Habit’Âme est issue d'une volonté d'agir sur trois sujets : la prolifération des déchets plastiques à Mayotte, l’absence de matériaux de construction locaux ne répondant pas aux besoins urgents de logements sur l’île, mais également l’insertion, le taux de chômage fleurtant avec les 30 % dans le département d’outre-mer. « Nous avons commencé à réfléchir à une solution pour permettre de répondre, au moins partiellement, à ces problématiques », ajoute Hannah Dominique. « C'est là qu’Habit'Âme est née. »
 
Le cœur du projet est avant tout de trouver des solutions pour lutter contre l’insalubrité globale de l’île, la précarité et l’isolement des habitants en leur permettant de s'insérer et de se former aux métiers du recyclage. « Pour répondre à ce projet social, une dimension économique est nécessaire afin de le rendre viable », confie l’entrepreneure. « Chez nous, elle passe par la transformation des déchets plastiques en matériaux de construction. »

La recherche de fonds, une nécessité pour les low-tech

Dans le cadre du programme Entrepreneuriat Quartiers 2030, porté par Bpifrance, le concours annuel Talents des Cités, qui valorise les porteurs de projets des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), a permis de mettre en lumière l’ambition d’Habit’Âme. « Ce prix nous a fait gagner en notoriété », se réjouit Hannah Dominique. « Le fait de prouver que Mayotte pouvait remporter un prix, j’espère sincèrement que ça a inspiré d’autres entrepreneurs mahorais, que ça leur a donné confiance en eux pour se lancer dans la création d’entreprise. » 
 
La jeune pousse est dorénavant davantage crédible auprès des banques et des assureurs. Pas inutile puisqu’elle devra lever 800 000 euros dans les prochains mois pour être en mesure d’entrer en phase de production et d’industrialisation de ses premiers matériaux de construction en plastique recyclé : des faïences étanches pour orner, dans un premier temps, les murs des salles de bains locales.

D’ici à 2027, leur objectif est de fournir des logements temporaires, en plastique recyclé, accessibles à tous, en remplaçant le tout béton par du matériel de construction bioclimatique et local. L’équipe des cofondateurs vise également la construction de bâtiments publics et d’établissements scolaires. Et pour la matière première ? « Nous organisons régulièrement des collectes de plastique et tentons de contribuer à notre manière à la crise de l’eau qui touche l’île actuellement, en recyclant les bouchons des bouteilles distribuées », explique Hannah Dominique. « Nous savons également qu’il existe des gisements de PVC sur l’île, un plastique possédant des propriétés très intéressantes mais méritant des aménagements spécifiques. Reste à savoir en quelle quantité, mais cela pourrait nous permettre d’avancer plus vite dans notre projet. »

À moyen terme, Hannah Dominique et son équipe parient sur ce modèle low-tech et open source permettant la réplicabilité de leur solution, que ce soit sous forme de franchise ou de formation. « On n’en est pas encore là, mais on aimerait que ça se développe ailleurs », conclut-elle.

Simon NAPIERALA
Simon Napierala Redacteur web