L’osmotique, énergie renouvelable d’avenir et potentielle industrie sur le territoire français ?

Connue depuis plusieurs décennies, l’énergie osmotique reste sous-exploitée, pour cause de moyens de production peu efficaces et de coûts encore prohibitifs. Mais de nouvelles avancées technologiques pourraient permettre une mise à l’échelle industrielle et potentiellement faire de l’osmotique la source d’électricité propre de demain.

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energie osmotique
Crédit : Vendée Tourisme

En vue d'une décarbonation de son énergie d'ici 2050, la France mise sur les énergies renouvelables pour atteindre son indépendance énergétique. Le gouvernement encourage la recherche pour le développement de plusieurs modèles de production de ces dernières afin de compenser les lacunes de chaque filière, notamment l'intermittence de l'énergie éolienne et solaire. Parmi ces solutions, l'osmotique est capable de produire de l'électricité grâce à l'interaction entre l'eau douce et l'eau salée. Cette dernière est une énergie renouvelable, au même titre que les énergies hydraulique, biomasse, marémotrice, houlomotrice ou la géothermie.  

L’énergie osmotique : une source d’électricité générée par l’eau douce et l’eau salée

Tous les jours, dans les deltas et les estuaires, l’eau douce des fleuves et des rivières rencontre l’eau salée de la mer, provoquant un phénomène particulier : l’osmose. Cette interaction conduit à un phénomène connu sous le nom de pression osmotique, où l'eau tend à migrer à travers une membrane semi-perméable de la zone de moindre concentration vers celle de plus grande concentration. La mise en contact et le mélange entre ces deux flux aux niveaux de salinité différents produit également un certain type d’énergie, à la suite d’une réaction chimique, appelée « osmotique » ou « énergie bleue ».

Découverte dans les années 1950, cette énergie renouvelable dont « le potentiel est immense, en théorie » est restée inexploitée à grande échelle dû à un « manque de maturité de la technologie », comme l’explique Philippe Sergent, ingénieur et chercheur au sein du CEREMA (Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement) : « Le procédé qui a été développé pour récupérer cette énergie consiste à utiliser des membranes semi-perméables. Or celles-ci sont très onéreuses, avec un rendement très faible d’environ 0,5 watts par mètre carré. »

Mais dans le contexte global de la transition énergétique et des objectifs de décarbonation, l’énergie osmotique, qui présente des avantages certains, connaît depuis quelques années un regain d’intérêt à travers le monde. « Contrairement aux énergies renouvelables qui sont intermittentes, une centrale osmotique peut fonctionner quasiment en continu. De plus, son impact paysager et environnemental est moindre comparé à une usine marémotrice, par exemple », précise Philippe Sergent.

Un nouveau type de membrane plus performant

En France, c’est la climate-tech Sweetch Energy qui a récemment remis l’osmotique sur le devant de la scène. Son point de départ : la publication en 2013 des travaux en nano-fluidique de Lydéric Bocquet, physicien et Directeur de Recherche au CNRS. L’entrepreneur Nicolas Heuzé voit alors dans cette étude « une vraie rupture scientifique capable de rendre cette énergie déployable à grande échelle ». En 2015, avec ses associés Bruno Mottet et Pascal Le Melinaire, il s’inspire de cette nouvelle approche pour fonder Sweetch Energy, qui reste aujourd’hui la seule entreprise spécialisée dans le déploiement de l’osmotique en France.

« Ces travaux nous ont permis de mettre au point un nouveau type de membrane plus performant et abordable, mais également facilement industrialisable, résolvant ainsi l’un des principaux problèmes de l’exploitation de l’osmotique », détaille Nicolas Heuzé, PDG de la start-up basée à Rennes. Après 5 ans de travail, Sweetch Energy a breveté sa solution baptisée INOD®, qui repose sur des membranes à l'échelle nanométrique fabriquées à partir de matériaux biosourcés, tenus secrets. Son objectif depuis 2021 : passer à l’échelle industrielle.

Une première station osmotique sur le Rhône

La start-up, qui emploie une quarantaine de collaborateurs, travaille actuellement à la mise en œuvre de son premier site pilote sur l’écluse de Barcarin à Port-Saint-Louis-du-Rhône, en partenariat avec la Compagnie Nationale du Rhône. « Il faut imaginer non pas un barrage, mais une installation au bord de l’eau, où seront agencées de grandes armoires contenant les membranes », explique Nicolas Heuzé. « Les eaux salées et douces circuleront dans celles-ci avant de retourner dans leur milieu naturel, limitant ainsi l’impact sur l’environnement », ajoute-t-il.

Ce site vitrine, qui devrait être opérationnel d’ici d’ici début 2024, pourrait produire à terme jusqu’à 500 MW de puissance, soit « l’équivalent d’une demi centrale nucléaire » selon le cofondateur de Sweetch Energy. « L’autre avantage de notre technologie, c’est qu’elle est très modulaire. Nous pouvons la déployer progressivement, avec différents types de configurations », précise Nicolas Heuzé. L’entreprise, soutenue par Bpifrance et l’ADEME, vise ainsi plus loin : elle s’est associée à EDF Hydro pour développer d’autres sites à travers la France mais également à l’étranger, avec comme horizon d’installer au moins 3 GW dans les dix prochaines années.

Quant à la question du coût de production, le Directeur général de la climate-tech se montre plutôt confiant : « Notre seul et unique objectif, c’est que l’osmotique soit, à terme, compétitive avec les autres formes d’énergies renouvelables. La première unité sera forcément plus chère, mais comme pour le solaire ou l’éolien, nous nous attendons à une baisse significative des coûts grâce à l’amélioration de la performance, la fabrication en grande série, etc. »

L'énergie osmotique : une nouvelle industrie souveraine pour la France ?

Sweetch Energy œuvre par ailleurs pour structurer une filière autour du déploiement de l’énergie osmotique, à la fois en amont et en aval, en France et en Europe. La start-up s’appuie ainsi sur l’expertise de centres techniques pour optimiser ses installations, et s’associe avec des industriels pour la fabrication de ses membranes et l’assemblage de ses générateurs osmotiques. Pour Nicolas Heuzé, cofondateur de l’entreprise, il y a un « vrai enjeu de souveraineté et de sécurisation de l’approvisionnement énergétique » pour la France autour de l’exploitation de cette énergie verte : « Nous n’avons pas réussi à créer ou garder des grandes industries dans le renouvelable ; or avec l’osmotique, nous avons la chance d’avoir à disposition une technologie qui sort des laboratoires français, et les moyens de la déployer. »

D’autant plus que le potentiel osmotique de la France est immense. « Le pays dispose de grands estuaires, dont la Gironde, qui est le plus grand d’Europe occidental, et contrairement aux pays très urbanisés du nord du continent comme la Belgique ou les Pays-Bas par exemple, la France a la chance de posséder des espaces côtiers estuariens assez sauvages, où il y a de la place pour installer des centrales », affirme Philippe Sergent, ingénieur et chercheur au CEREMA.

Reste maintenant à accroître le soutien à cette filière naissante, et ce, assez rapidement, prévient Nicolas Heuzé, car cette énergie verte est étudiée de très près ailleurs dans le monde, y compris aux Etats-Unis : « Nous avons de l’avance, mais il s’agit maintenant de mettre les moyens nécessaires en œuvre pour la conserver. » 

L’énergie osmotique : quels avantages et inconvénients ?  

Il est difficile d'anticiper la place de l’énergie osmotique parmi les énergies renouvelables du futur mais cette dernière affiche tout de même des avantages certains, notamment à travers la création d’une centrale osmotique. En effet, les matières premières pour produire l’électricité, l'eau douce et l'eau salée, sont facilement accessibles dans chaque estuaire et la production d'électricité osmotique ne génère aucun rejet de CO2, de gaz polluants ou de matières radioactives, produisant uniquement de l'eau saumâtre (composé d'un mélange d'eau douce et d'eau de mer, et présente un degré de salinité intermédiaire) .

De plus, grâce à l'osmose, la production d'électricité peut être continue indépendamment des conditions météorologiques et les usines osmotiques nécessitent peu d'aménagements estuariens, contrairement à un barrage, et fonctionnent silencieusement.  

Toutefois, le développement de l'énergie osmotique connaît certaines limites. Entre autres, l'incapacité actuelle à produire des membranes assez grandes, poreuses et robustes pour une production d'électricité à grande échelle. De plus, les zones favorables à l'implantation de centrales osmotiques sont déjà fortement urbanisées et/ou industrialisées. Autre limite affichée, le rendement de l'énergie osmotique demeure actuellement très faible, ce qui limite l'attrait des investisseurs. En outre, le rejet d'eau saumâtre près des côtes peut entraîner des perturbations dans les écosystèmes locaux. 

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