La Fourche : l’e-commerçant bio qui démocratise la consommation responsable

Co-fondé en 2018 par trois anciens camarades de promotion d’HEC, La Fourche réinvente le modèle du magasin bio en ligne à travers un système d’adhésion mettant le consommateur au centre du jeu. Nathan Labat, PDG de la jeune pousse, s’est confié à Big média sur sa vision de l’entrepreneuriat et nous a livré les clés du modèle à impact développé par La Fourche.  

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Les trois co-fondateurs de La Fourche.

Une entreprise qui ne connaît pas la crise. C’est le cas de La Fourche, start-up fondée en 2018 par Lucas Lefebvre, Boris Meton et Nathan Labat, trois amis de longue date qui, après des trajectoires professionnelles sensiblement différentes, se sont réunis autour d’une même volonté d’entreprendre et de répondre aux enjeux de transition écologique et alimentaire. Mais le trio aurait-il misé sur le mauvais cheval ? Crise sanitaire, inflation : depuis deux ans, c’est toute la filière du bio qui est victime de la conjoncture actuelle – 1 Français sur 5 déclare ne pas avoir consommé de produit bio en 2023. Malgré tout, La Fourche trace sa route : avec 53 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2023, la start-up francilienne, qui a réalisé un nouveau tour de table de 24 millions d’euros en début d’année, est en pleine essor et ne semble pas faire les frais de la crise. Cela tient peut-être au modèle innovant et positif développé par l’entreprise – c’est en tout cas l’intime conviction de son PDG, Nathan Labat.

La Fourche démocratise la consommation responsable de produits bio  

« S’il n’y a que les CSP+ et la classe aisée pour accéder à des produits sains, ça va être compliqué d’opérer une forte transition, aussi bien pour la planète que pour la santé. » Cette lucidité affichée par Nathan Labat est au cœur du projet La Fourche. La jeune société, qui propose sur sa plateforme plus de 4 000 produits biologiques (alimentaire, hygiène, etc.) à des prix attractifs, répond à une double exigence : agir sur la transition écologique et alimentaire, mais avec pour condition sine qua non de « démocratiser la consommation responsable ». Un désir de démocratisation qui se vérifie dans le fonctionnement même de La Fourche : l’entreprise est parvenue, en quelque années, à fédérer une importante communauté d’adhérents – environ 100 000 à ce jour – proactifs dans l’évolution de l’entreprise. Plus récemment, La Fourche a levé 2,5 millions d’euros, sous forme d’obligations, via une campagne de crowdfunding, dont 70 % des participants viennent de sa communauté d’adhérents. « On avait vraiment à cœur de les inclure dans l’aventure », confie Nathan Labat.  

A travers cette campagne, les adhérents ont ainsi pu se muer en investisseurs impliqués dans le développement de La Fourche. La start-up pousse la démarche plus loin : « On cocrée les produits de notre marque propre avec eux, sur chaque catégorie, explique le cofondateur. Ça passe par exemple par des questionnaires à deux variables – le prix et l’impact carbone, pour qu’ils puissent décider en fonction de ce qui leur importe le plus. » Que ce soit via ses réseaux sociaux ou sa « tribu » (un groupe Facebook qui réunit plus de 10 000 membres), La Fourche peut compter sur la participation active de ses adhérents. « Ils nous font remonter des erreurs, expriment leurs désaccords, etc. On a vraiment une relation très forte avec eux. C’est avec un feedback constant de la communauté que l’on pourra amplifier notre impact », affirme l’ancien d’HEC.  

Des consommateurs au budget limité mais engagés dans la transition 

« Une jeune famille, de classe moyenne au niveau de ses revenus, adepte de notre solution parce qu’elle planifie », tel est le profil type de la clientèle de La Fourche. « Elle ne réside pas forcément en ville, puisque 40 % de nos adhérents vivent en zones rurales (au sens de l’Insee). C’est souvent un changement de consommation à l’aube des 30 ans », détaille le PDG. Autre profil : « Ce sont des consommateurs plus urbains, CSP+, des couples mais sans enfants. Ils n’ont pas forcément d’énormes revenus, mais ont la volonté de mieux consommer. » En proposant donc des produits pouvant aller jusqu’à -50 % en dessous des prix du marché, La Fourche s’assure de pouvoir répondre aux besoins de ménages engagés, mais au budget serré. « Ils savent que les produits ont été sélectionnés et bien sourcés par La Fourche, ce qui leur permet d’avoir une certaine tranquillité d’esprit », confie Nathan Labat. Made in France, bio, commerce équitable, éco-score, les exigences sont nombreuses selon les catégories de produits. Un travail de curation qui est au cœur du modèle de La Fourche.  

A ce jour, la start-up ne livre de produits frais qu’en Île-de-France, mais compte bien étendre l’intégralité de ses services à l’ensemble du territoire et au-delà. « Les produits secs sont des produits que l'on peut envoyer partout en France, tandis que le frais implique une logistique plus complexe, inscrite dans un tissu local, explique-t-il. Dans cette logique, on a commencé par les courses du placard. Les conserves de tomates, l'huile d'olive, les couches, etc. sont nos top produits et pour cause : c'est ce qui nous a permis de digitaliser et d'apporter une valeur forte sur le prix à l'ensemble des Français. Si on veut démocratiser la consommation responsable, il faut toucher tout le monde et donc pouvoir livrer partout en France. » 

Un modèle économique innovant qui préserve la filière du bio 

La réussite de La Fourche tient également à l’originalité et à la force de son modèle. « Échanger du pouvoir d’achat contre de la fidélité », résume Nathan Labat lorsqu’on l’interroge sur le système d’adhésion propre à sa start-up. « Personne ne peut accéder à notre catalogue de produits sans être membre, détaille-t-il. Cette fidélité permet de réduire nos marges sur les produits et d’avoir un catalogue où l’on opère plus de sélection que la moyenne. On donne nécessairement plus de place à certaines marques et cette équation fait que l’on peut également réduire nos prix par rapport à des magasins bio classiques. » Un autre facteur de pérennité du modèle tient aux économies en marketing en comparaison à un site d’e-commerce classique. « On paye un coût d’acquisition pour un nouvel adhérent, mais vu qu’on a une rétention très forte derrière, on dépense beaucoup moins en marketing sur la vie d’un client », fait remarquer le jeune dirigeant.  

Moyennant 59,90 euros par an, l’adhésion à la Fourche permet ainsi à ses membres de faire environ 400 euros d’économies sur leurs achats à l’année... Une solution innovante qui, dans un premier temps, a pu inquiéter les acteurs de la filière du bio. « On leur a très vite démontré qu’on étendait le marché, note le cofondateur. La plupart ont compris que nos consommateurs n’étaient pas tout à fait les mêmes et qu’on allait aussi sur les terres de Carrefour ou de Leclerc. 80 % de nos adhérents ont augmenté leur consommation, on ne fait pas que prendre de la part de marché », précise-t-il. Convaincues qu’elles pourraient toucher des personnes ne fréquentant pas forcément des magasins bio plus classiques, les marques ont commencé à suivre. « On est sur une occasion d’achat qui n’est pas la même qu’en magasin bio (…) ce sont souvent des petites courses occasionnelles, ce n’est pas le principal canal d’achat », soulève Nathan Labat, tandis qu’à La Fourche le panier moyen varie autour de 120 euros, tous les 30-40 jours. « L’idée c’est de pouvoir massifier ces courses engagées. C’est comme ça qu’on a réussi à convaincre la plupart de nos fournisseurs », note-t-il.  

 

Idem du côté des producteurs bio, pourtant lourdement touchés par la crise. « Ils sont plutôt contents car notre modèle n’est pas d’aller chercher un meilleur prix de leur côté (…) et suppose de repenser le modèle de distribution sans rajouter de pression sur l’amont agricole ». Grâce à ses économies en marketing, l’entreprise peut ainsi maintenir des prix bas sans écraser ses fournisseurs. Cette stratégie « permet précisément, à long terme, de garantir des meilleurs prix pour les agriculteurs, remarque le cofondateur. Le tout basé sur une confiance mutuelle. C’est de là que vient son efficacité. » 

Un trio d’entrepreneurs qui cherche à avoir de l’impact 

« L’envie d’entreprendre m’a taraudé assez rapidement, confie Nathan Labat. Ayant pas mal travaillé en grande consommation, j’ai pu voir de l’intérieur les marges, la qualité des produits, et j’avais envie de proposer une alternative plus vertueuse. » Avec ses deux futurs associés rencontrés une quinzaine d’années plus tôt sur le campus d’HEC, la volonté d’entreprendre et d’avoir un impact se fait très vite sentir. Pour Nathan Labat, qui a notamment fait ses armes chez le cabinet de conseil McKinsey, le point de bascule survient personnellement après deux ans passés outre-Atlantique. « En Europe, il y a une surconsommation évidente, mais aux Etats-Unis c’est à un tout autre niveau : on mesure à l’œil nu l’étendue des dégâts pour la planète, constate-t-il amèrement. J’ai donc rapidement voulu entreprendre dans ce secteur et consacrer toute mon énergie à avoir de l’impact. » 

Résilience et flexibilité, tels sont les maîtres-mots du cofondateur de La Fourche, qui reconnaît que la vie d'entrepreneur peut parfois prendre des airs de montagnes russes. « Pour l’entrepreneur, il y a un enjeu de se ’’scaler’’ en même temps que sa boîte, reconnaît-il. Lâcher des choses, pouvoir déléguer : si tout repose sur lui, la machine finit par s’enrayer ». De fait l’entreprise a grandi à une vitesse phénoménale et compte aujourd’hui près de 300 salariés. « Comment faire pour pousser une autonomie et un ’’ownership’’ au sein des équipes ? », s’interroge Nathan Labat, pour qui les valeurs de confiance et d’impact occupent un rôle central dans le fonctionnement de l’entreprise. « On est tous alignés en termes de mission. C’est donc un gros enjeu que de conserver cet alignement et que les collaborateurs le ressentent quotidiennement, affirme le dirigeant. On est tous dans le même bateau, il faut qu’on pousse tous dans la même direction. » 

Les prochains défis de La Fourche  

Pour la jeune société, le but actuel est de dépasser les 100 millions d’euros de chiffre d’affaires. « D’ici 3-4 ans, on aimerait aller au-delà des 100-150 millions, avec un objectif de 250 000 adhérents », précise Nathan Labat, dont l’un des objectifs est également d’améliorer la notoriété de son entreprise. Dans cet état d’esprit, La Fourche ambitionne d’étendre le frais en régions dès 2025, ainsi qu’en Allemagne – où la start-up est d’ores et déjà implantée – et de développer sa marque propre. « On ne sera jamais exclusivement marque propre, ce n’est pas l’idée. Mais il y a des catégories que l'on n’a pas encore lancées », détaille Nathan Labat.  

L’internationalisation est bel et bien en ligne de mire, en tout cas à l’échelle européenne. « On pourrait potentiellement s’étendre à la région D-A-CH (Allemagne-Suisse-Autriche). Avec la France, c’est déjà 65 % du marché bio en Europe : notre objectif est ainsi de devenir le leader européen du e-grocery, note le PDG. On vise un seuil de rentabilité pour fin 2024, ce qui devra passer à la fois par de la croissance et des transformations, comme l’automatisation de notre entrepôt. » La Fourche continue ainsi d’innover et de déployer sa solution pour pouvoir entériner son passage à l’échelle. Et il n’y a pas de raison de s’inquiéter, au vu des résultats de cette jeune pousse qui n’en est déjà plus vraiment une. 

Felix Tardieu

Felix Tardieu

Rédacteur Web