Les green skills bouleversent-elles réellement le monde du travail ? 

En enclenchant leur transition écologique pour répondre à l’urgence climatique, les entreprises sont de plus en plus friandes de green skills. Mais si l’offre et la demande de ces compétences vertes explosent, leur mise en œuvre en entreprise s’avère moins rapide que prévu.

Green skills
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Après les hard, les soft et même les mad skills, les directions des ressources humaines sont en demande constante de green skills. Définies comme les compétences vertes assurant la durabilité environnementale des activités économiques, elles doivent permettre aux entreprises d’assurer au mieux leur transition écologique et énergétique (TEE). Entre 2015 et 2021, la part des salariés possédant des green skills est passée de 9,6 à 13,3 %, soit un taux de croissance de 38,5 %, d’après un rapport LinkedIn de 2022. Qu’en est-il concrètement sur le terrain ? On fait le point. 

Une demande constante de green skills

Le verdissement de l’activité économique est devenu une nécessité et les chefs d’entreprise en sont conscients. La dernière étude Bpifrance Le Lab nous apprend à ce sujet que 67 % des dirigeants de PME et ETI françaises se préoccupent des enjeux environnementaux. Cela se traduit par une demande exponentielle en green skills. « Depuis 2017, nous plaçons un nombre croissant d’étudiants aux compétences vertes dans les entreprises », confie Anne Payen, directrice du pôle carrières et relations entreprises à l’ESI Business School. « La demande est aujourd’hui très forte. Chaque jour, nous recevons de nombreuses offres de stage, d’alternances et d’emplois verts, émanant d’entreprises classiques ou issues de l’économie circulaire. »

Lancée il y a six ans, cette école de commerce spécialisée dans le développement durable voit affluer chaque année de plus en plus d’étudiants désireux d’acquérir des compétences leur permettant de s’installer comme les référents TEE dans les entreprises. « Notre offre pédagogique a été construite avec des professionnels et couvre l’ensemble des thématiques du développement durable », ajoute Anne Payen. « Les entreprises sont demandeuses de profils verts, surtout au niveau des soft skills et du savoir être. La dimension sociale est très importante pour nous, c’est pourquoi nous poussons nos élèves à s’engager dans des missions civiques ou humanitaires. »  
 
Bilan carbone, analyse du cycle de vie des produits, gestion des déchets, analyse des données, mise en place de politiques RSE (responsabilité sociétale des entreprises) et QHSE (qualité, hygiène, sécurité et environnement) … Si les connaissances des salariés possédant des green skills sont vastes, les entreprises hexagonales sous-utilisent encore les compétences vertes au sein de leurs structures. Pourquoi ? Par manque de moyens mais également en raison de la lourdeur administrative française. 

Un usage modéré en entreprise

Ces dernières années, l’installation de l’allumage automatique de la lumière et la mise en place du tri des déchets figurent parmi les leviers de verdissement les plus utilisés par les PME et ETI françaises, d’après l’étude Bpifrance Le Lab. Pourtant, les postes d’émission de CO2 les plus importants sont liés aux achats de marchandise et de matières premières, à l’usage de produits finaux, à la non-rénovation thermique des bâtiments, au fret et à la mobilité. Cette stratégie des petits gestes s’apparente à une entrée en matière avant l’instauration de projets plus ambitieux ou la mise en place d’un éventuel virage stratégique. 

Formée à l’Institut Supérieur de l’Environnement et aujourd’hui responsable d’études environnementales chez WPD, Fanny Prigent confirme : « La transformation verte n’est pas encore véritablement inscrite dans les mœurs de la plupart des entreprises, comme j’ai pu le constater depuis plusieurs années. Des initiatives sont prises mais nous ne sommes qu’aux prémices d’un changement plus profond. Cette transition verte se fait de façon assez lente. » Les raisons ? Le manque de moyens des entreprises qui considèrent la décarbonation comme risquée et de désavantages face à une concurrence moins verte. Les trois-quarts des dirigeants de PME et ETI françaises estiment qu’il est difficile d’investir dans la décarbonation car la rentabilité de ces investissements reste incertaine. 75 % de ces mêmes chefs d’entreprise pensent également qu’il n’existe pas, à l’heure actuelle, de véritable reconnaissance client envers les produits plus respectueux de l’environnement. 
 
Si les intentions sont bonnes, les jeunes diplômés ou alternants se retrouvent encore dans des situations ne leur permettant pas de s’épanouir pleinement, ni de changer en profondeur les habitudes des entreprises. Anne Payen, directrice du pôle carrières et relations entreprises à l’ESI Business School, confirme la tendance : « De nombreuses entreprises sont demandeuses de profils verts mais il leur reste beaucoup de travail à accomplir pour que nos étudiants soient en mesure de développer leurs connaissances sur le sujet. » 

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Il apparaît impératif de donner des gages aux dirigeants français afin d’atténuer ces différents aléas, valoriser leur engagement climatique et favoriser le passage à l’action. Cela passera avant tout par l’allègement d’un système administratif plombant les différentes initiatives. 

Le système administratif, principal frein à la mise en œuvre des green skills

Hormis l’insuffisance de moyens financiers et le manque de temps, la lourdeur des services administratifs constitue le principal obstacle à la décarbonation de la majorité des sociétés hexagonales. Toujours selon la dernière étude Bpifrance Le Lab, 76 % des répondants à l’enquête affirment être contraints par la lenteur et la complexité des procédures. Les chefs d’entreprise rencontrent notamment des difficultés à trouver les bons interlocuteurs publics afin de bâtir leurs projets, obtenir des subventions ou des permis de construction dans un délai convenable.

Une complexité administrative, empêchant de nombreux projets verts de voir le jour, que confirme Fanny Prigent. « Nous attendions beaucoup de la récente loi sur l’accélération des énergies renouvelables, mais dans les faits, rien ne va vraiment changer. En France, obtenir un permis de construire répondant aux normes environnementales relève du chemin de croix. Un projet solaire met cinq ans à être développé et pour l’éolien, il faut compter une dizaine d’années. » 
 
Les dirigeants d’entreprise regrettent la multiplication de règlements parfois contradictoires (normes de sécurité pas en adéquation avec le protocole climatique), freinant leurs velléités de transition écologique. « Lors d’une de mes alternances au sein d’un grand groupe, j’étais en charge de sensibiliser les salariés au tri des déchets, à la gestion du gaspillage alimentaire et de l’éclairage en entreprise », explique Eléonore Bons, étudiante en Master 2 communication marketing, responsable RSE et engagement à l’INSEEC. « Mais ça n’allait pas plus loin. J’ai senti qu’il faudrait des années pour qu’une véritable politique RSE soit mise en place au sein de cette structure. »  

Faire de la transition verte une réalité pour tous demandera de l’investissement et quelques compromis. L’objectif de la neutralité carbone à l’horizon 2050 est à ce prix.

Simon NAPIERALA
Simon Napierala Redacteur web