Bout’ à Bout’ : l’entreprise qui relance la consigne du verre

Créée en 2016, la PME nantaise œuvre à relancer une filière disparue en France, celle du réemploi des contenants en verre. Un défi de taille qu’elle a su relever malgré de nombreux freins, comme l’explique sa fondatrice et présidente, Célie Couché. 

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bout' a bout'

Longtemps ancrée dans les habitudes des Français, elle a pourtant fini par disparaître dans les années 90. La consigne de réemploi – qui en un mot consiste à faire payer à l'acheteur d'un produit dans un contenant en verre une petite somme supplémentaire qui lui est remboursée lorsqu'il rapporte sa bouteille ou son bocal pour qu’ils soient réutilisés – s’est effacée au profit du plastique et du verre à usage unique, plus économiques. Or, si le recyclage de ce dernier peut être considéré aujourd’hui comme satisfaisant en France (88 % en 2021 selon l’éco-organisme CITEO), il reste moins avantageux pour l’environnement que le réemploi. En effet, fabriquer du verre à partir de bris requiert de les faire fondre à une température de 1 500°C pendant 24 heures, opération qui consomme beaucoup d’eau (production d'électricité nucléaire ou autre pour les fours, refroidissement des matières, etc.). En comparaison, réutiliser une bouteille permet d’économiser 79 % d'énergie, 77 % de CO2 et 51 % d'eau.  La consigne devient intéressante d'un point de vue environnemental dès le premier emploi du contenant si celui-ci est plus léger que son prédécesseur. Quand on sait qu'un objet en dispositif optimisé de consigne est réutilisé 25 fois en moyenne, on est vite tenté d'y avoir recours. 

C’est dans le but de réintroduire cette pratique dans nos habitudes que Célie Couché a fondé Bout’ à Bout’ en 2016 à Nantes. Son idée prend d’abord la forme d’une association réunissant des citoyens motivés pour relancer et développer cette filière à l’échelle régionale. « Ce projet était très en avance sur le marché et il était difficile de savoir si cela allait vraiment fonctionner, se souvient-elle. Tout était à refaire et il fallait lever beaucoup de freins, avec peu de moyens. » 

Standardiser les contenants et structurer le réseau national 

Poids, taille, forme, enlevabilité des étiquettes… Le marché de la bouteille en verre est aujourd’hui riche en déclinaisons, ce qui constitue un véritable frein au déploiement du réemploi. L’un des premiers enjeux identifiés par Bout’ à Bout’ a donc été la nécessité de standardiser ces fameux contenants afin de réduire au possible les coûts logistiques (transport, stockage et lavage) et faciliter leur circulation. Dès 2017, Célie Couché lance ainsi le premier projet de standardisation des contenants pour le réemploi à l’échelle régionale, qui sera par la suite élargie au niveau national. 

En parallèle, l’association expérimente son système de réemploi auprès de producteurs locaux et de distributeurs bio et vrac engagés, puis met en place des partenariats avec des transporteurs. Pour le lavage des contenants, elle s’adjoint les services de Boutin Distribution à Clisson (Loire-Atlantique), spécialisée dans le processus d’activité mobile à la propriété, le négoce de bouteilles vides et les services associés, et l’une des dernières laveuses – mais vieillissante – du territoire en prestation externe. « Il a fallu optimiser la logistique mais aussi développer et structurer un réseau national pour permettre le réemploi sur tout le territoire », explique la présidente de Bout’ à Bout’ qui participe alors à la formalisation de Réseau Consigne, association fédérant les professionnels du réemploi des emballages en France.  

Une solution clé en main pour le réemploi 

Si la consigne s’impose comme une évidence d’un point de vue environnemental, elle reste perçue comme contraignante, voire coûteuse, pour les producteurs et distributeurs qui craignent de devoir en assurer la logistique. C’est pourquoi Bout’ à Bout’ propose une prise en charge de A à Z, d’un bout à l’autre de la chaîne, comme le détaille la fondatrice : « D’un côté, nous accompagnons les producteurs de boissons dans leur transition vers le réemploi, de l’adaptation de la bouteille et de l’étiquette à l’intégration dans un système de collecte. De l’autre côté, nous agissons auprès des distributeurs en mettant à disposition des contenants de collecte que l’on organise et dont nous assurons le tri puis le lavage. » Au sein des magasins, la PME se charge également de tout ce qui concerne le parcours client et la communication, pour que le consommateur soit informé de l’offre consignée et que le retour des contenants vides soit facilité.  

Le mouvement prend progressivement de l’élan permettant ainsi à Bout’ à Bout’ de comptabiliser plus de 500 références de produits réemployés (vin, bière, jus, lait, etc.) et 200 points de collecte, essentiellement répartis en Pays de la Loire. Pourtant, le modèle associatif finit par atteindre sa limite… tout comme la laveuse. En 2021, près de six ans après sa création, la structure créée par Célie Couché se mue en entreprise et fait le choix d’investir dans un outil industriel en réalisant une levée de fonds. 

Un changement d’échelle pour industrialiser le réemploi 

Des fonds d’investissements à impact, des industriels, tels que Verallia, plus grand verrier français et 3e mondial, des distributeurs de boissons, et des citoyens engagés via la plateforme lita.co répondent à ce premier tour de table. Grâce à ce financement, Bout’ à Bout’ lance l’installation de la plus grande usine de lavage des contenants en verre de France, à Carquefou, dans d’anciens locaux de la Biscuiterie nantaise. Réception des contenants, tri, lavage, inspection, contrôle, palettisation – cette usine, dont la mise en service est prévue pour septembre, va permettre à l’entreprise de passer à la vitesse supérieure. « Au début, la cadence de traitement sera de 10 000 bouteilles par heure mais à terme, l’objectif est de doubler ce chiffre, grâce à de nouveaux investissements sur la ligne, pour atteindre les 60 millions de bouteilles par an », précise Célie Couché.  

En plus d’une capacité record, le site sera doté d’un système de traçabilité des bouteilles unique ainsi que d’un outil d’inspection électronique renforcé, capable de détecter les microfissures, restes d’étiquette et autres défauts après lavage pour une qualité optimale. De nouveaux collaborateurs vont venir grossir les rangs de la société qui comptera 30 personnes d’ici la fin de l’année. Si l’inauguration de l’usine représente une étape importante pour Bout’ à Bout’, celle-ci compte bien poursuivre sa mission de développement géographique et de renforcement d’une filière, dont le rôle est de plus en plus mis en avant par les pouvoirs politiques.  

En complément de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC, qui fixe l’objectif de 10 % d’emballages réemployés en France en 2027), Bérangère Couillard, alors secrétaire d’État chargée de l’Écologie, a annoncé en juin dernier la généralisation de la consigne et l’obligation des supermarchés et hypermarchés de reprendre les emballages en verre vides d’ici deux ans. « Les choses avancent dans le bon sens et s’accélèrent, dans un contexte très favorable », note la présidente de l’entreprise, en rappelant que les économies que permet le réemploi ne se font pas qu’au niveau de la matière première ou de l’énergie. Pour un producteur viticole, l’emballage à usage unique, et donc le verre majoritairement, peut représenter environ 40 % de son empreinte carbone.   

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