Recyclage et éco-conception - les enjeux du secteur aéronautique

Entre recyclage et éco-conception, le secteur aéronautique se réinvente pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Rasika Fernando, responsable sectoriel aéronautique et spatial chez Bpifrance nous en dit plus.

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Recyclage avion
Démantèlement d'un avion sur le site de Tarbes (Tarmac Aerosave). ©DR L'Usine Nouvelle

« Au cours des 20 prochaines années, plus de 12 000 avions devraient être retirés du service. », d’après Airbus, notamment en raison du renouvellement déjà entamé, recyclagedes flottes vieillissantes des compagnies aériennes et des loueurs. En 2007, Airbus, Safran et Suez ont créé Tarmac Aerosave, une Joint-Venture (entreprise créée par le regroupement de plusieurs entreprises ou coentreprises, ndlr) basée dans les Hautes-Pyrénées, qui réalise les activités de stockage, maintenance et recyclage d’aéronefs. En février dernier c’est cette fois-ci en Chine que Airbus a ouvert un centre de recyclage. Rasika Fernando, responsable sectoriel aéronautique et spatial chez Bpifrance, nous éclaire sur cette tendance de fond et sur les autres démarches de réduction de l’empreinte environnementale de la filière aéronautique. 

Big média : Pourquoi Airbus a-t-il choisi la Chine pour l’ouverture de ce premier centre de recyclage à l’étranger ?    

Rasika Fernando : C’est une suite naturelle dans le développement des activités d’Airbus en Chine. Il y a déjà de fortes relations entre l’avionneur européen et la République populaire depuis la fin du 20ème siècle. Celles-ci se sont d’abord concrétisées en 2008 par l’ouverture, dans la ville de Tianjin, d’une ligne d’assemblage pour les Airbus A320, dans le cadre d’une Joint-Venture entre Airbus, le constructeur aéronautique chinois AVIC et la Tianjin Free Trade Zone. En 2017, un centre d’aménagement de cabine et de livraison des A330 a ensuite vu le jour dans cette même ville. Après l’assemblage et la livraison, ce centre de maintenance et de démantèlement, qui verra le jour fin 2023 à Chengdu, s’occupera de la fin de vie des avions, grâce notamment au savoir-faire de Tarmac Aerosave, partenaire du projet. Airbus et ses partenaires anticipent des opportunités de marché intéressantes. Près de 600 avions seront retirés des flottes en Chine et dans la région Asie Pacifique d’ici 2030, dont 75 % remis en service après une modernisation (pour du fret par exemple) et les 25 % restants seront valorisés en pièces détachées.  

BM : Quelles sont les différentes étapes de la fin de vie d’un avion jusqu’à son recyclage ?   

   
RF : Il faut savoir qu’un avion retiré du service peut avoir plusieurs destinations. Il peut être dans un premier temps, stocké à plus ou moins long terme dans un cimetière, comme celui de l’US Air Force à Tucson dans l’Arizona ou plus près de chez nous, sur l’aéroport de Châteauroux-Centre, qui a eu, dès 2006, le soutien de l’avionneur américain Boeing pour réaliser cette activité sur un terrain de 15 000 m². Un avion peut aussi être remis en état de voler après une maintenance des moteurs et du reste de l’appareil avec un certificat libératoire, comme le fait Tarmac Aerosave, et avoir une autre vie dans le transport de marchandises par exemple. Une des autres solutions est le démantèlement et la cannibalisation pour récupérer certains composants de ses moteurs par exemple, qui pourraient être réutilisés comme pièces de rechange, si toutefois elles répondent aux critères stricts de sécurité et qu’elles sont considérées comme étant encore bonnes pour être avionnées.

Parmi les activités de démantèlement et de recyclage, cette activité de récupération et de revente des pièces d’occasion est celle qui dégage le plus de valeur, alors qu’elle ne concerne qu’une portion minoritaire de l’avion d’environ 10 % de sa masse totale. Pour le reste, 60 à 90 % d’un avion peut être recyclé. Toutes ces opérations de revalorisation en pièces détachées ou en matière recyclée contribuent à la réduction de l’empreinte environnementale du secteur aéronautique.   
   

BM : Tous les matériaux d’un avion sont recyclables ?    

   
RF : Non, il en reste 10 à 40 % qui ne le sont pas encore. Par exemple, les matériaux composites à matrice organique (CMO), introduits dans les moteurs de dernière génération, ne le sont pas encore complètement. Les enjeux portent notamment sur la récupération des fibres de carbone, sans les détériorer, afin de leur donner une nouvelle vie dans des secteurs autres que l’aéronautique. L’utilisation de ce matériau, dont est constituée la soufflante par exemple (« hélice » vue à l’avant du moteur ndlr) qui, sur la génération précédente était dans un matériau métallique, a fait l’objet de nombreuses années de recherche, qui continuent encore, pour mettre au point le procédé de fabrication, afin de produire des pièces aux formes tridimensionnelles compliquées. Ces investissements ont toutefois été nécessaires et ont contribué à rendre ces moteurs bien plus sobres énergétiquement que leurs prédécesseurs, avec une empreinte environnementale réduite, non seulement en termes d’émissions de CO2 mais également de bruit.      

Le surcyclage peut aussi être une alternative intéressante au recyclage. Cela consiste à détourner des pièces d’avions et de moteur à d’autres fins, généralement pour du mobilier ou de la décoration intérieure, par exemple pour convertir une aile d’avion en table de salle à manger !   

Les startups ont un rôle à jouer dans le recyclage des avions

BM : On parle souvent des grandes entreprises comme Airbus, Boeing et Safran, qu'en est-il des startups ?   

RF : Il est vrai que les leaders du secteur aéronautique sont principalement les grandes entreprises. Certes, l’activité de construction aéronautique est très capitalistique, mais aujourd’hui de plus en plus de startups émergent, et proposent notamment des appareils plus petits qui sont nativement bas-carbone, car équipées de systèmes de propulsion électriques ou hybrides. Pour ce qui est du recyclage, les startups ont aussi un rôle important à jouer. Elles pourraient par exemple proposer des nouveaux procédés de revalorisation des matériaux, que ce soit pour recycler des composants d’avions retirés du service ou pour recycler les chutes de matière lors de leur production et ainsi, réduire l’impact environnemental sur le cycle de vie des appareils.   
  
Ces acteurs émergeants pourraient aussi contribuer à la décarbonation du secteur aéronautique, en développant des procédés de production de carburants durables (Sustainable Aviation Fuel ou SAF ndlr), tels que les biocarburants issus de la biomasse ou les carburants de synthèse produits par combinaison du CO2 capté dans l’atmosphère et de l’hydrogène.  

BM : Il reste donc de la place pour les nouvelles entreprises du secteur qui souhaiteraient contribuer à sa décarbonation ? 

RF : Bien sûr ! Les sujets sur lesquels ces nouvelles entreprises pourraient se développer sont nombreux. Dans tous les cas, elles devront travailler étroitement avec les acteurs établis de la filière, les grandes entreprises comme les PME, afin de répondre à leurs besoins, et pourront aussi être aidées financièrement dans le développement et l’industrialisation de leurs procédés par le volet avion bas-carbone du plan France 2030.  

BM :  L’éco-conception peut-elle entrer en compte dès la construction des avions ?   

RF : Oui bien sûr. Le secteur de la construction aéronautique a toujours eu le souci de concevoir des appareils consommant moins de carburant, tant pour des considérations économiques qu’écologiques. Parmi les principaux leviers d’efficience des avions et des moteurs, figurent l’optimisation des formes pour les rendre plus « aérodynamiques », ainsi que l’allègement des pièces. Sur ce dernier point, les nouveaux procédés de fabrication additive (impression 3D ndlr) en partie utilisés dans ces industries, permettront de fabriquer des pièces plus légères, avec juste la quantité de matière qu’il faut, par rapport aux moyens conventionnels tels que l’usinage, qui génèrent plus de rebus. Ils permettront aussi d’améliorer les capacités de réparation de pièces, afin de réduire les besoins en pièces de remplacement neuves. Une filiale de Safran entièrement dédiée au sujet a vu le jour l’année dernière en région Nouvelle-Aquitaine.   

BM : Y a-t-il des programmes déjà mis en place ?  

RF : Airbus et Safran ont initié de grands programmes de recherche portant sur le développement de nouveaux avions et de moteurs compatibles avec des énergies défossilisées, remplaçant ainsi le kérosène à moyen et long terme.   

Pour aller plus loin encore, les industries de la construction aéronautique œuvrent à réduire la consommation énergétique de leurs sites de production. Safran par exemple, a engagé en 2018 un plan constitué d’actions comme la mise en place d’un moyen de récupération de la chaleur dégagée pour réchauffer les ateliers sur leur site de production de Gennevilliers, dédié à des activités de forge et de fonderie.  

En résumé le secteur de la construction aéronautique et le transport aérien ont encore beaucoup de leviers à actionner. Il est nécessaire qu’ils s’entourent des PME établies et les acteurs émergeants pour poursuivre leur développement tout en réduisant leur empreinte environnementale, jusqu’à atteindre la neutralité carbone vers le milieu du siècle.