Comment le secteur de la restauration rapide enclenche sa transition écologique ?

Quel est l’avenir des fast foods à l’heure du dérèglement climatique ? Caroline Gilabert, responsable de dossiers projecteurs chez Bpifrance Création, Bernard Boutboul, expert en restauration rapide et Isabelle Yung, la dirigeante d’enseigne de fast food végane Hank reviennent sur les solutions mises en place dans l’Hexagone pour s’adapter aux exigences des instances gouvernementales et des consommateurs.

  • Temps de lecture: 5 - 6 min
fast food

Exit le jambon-beurre-cornichon, la galette-saucisse ou le kebab. Il semblerait qu'en matière de fast-food, le cœur des Français penche plus pour un steak haché soigneusement disposé entre du cheddar, quelques feuilles de laitue, trois rondelles de tomate et deux petits pains dorés… Le hamburger, ce célèbre sandwich américain d’origine allemande. Selon le cabinet CHD Expert, les Français en ont consommé plus de 2,6 milliards en 2020. Un record qui s’accompagne d’une croissance des ventes en livraison de 171 % en quatre ans.
Pourtant, derrière cette success story à l’américaine, se cache un secteur loin de faire l’unanimité à l’heure du changement climatique. Grand contributeur des émissions de gaz à effet de serre (GES), l’élevage industriel produisait 83,1 Mt de CO2 en 2019 selon une étude menée par le Ministère de la Transition écologique, soit 19,1 % des émissions nationales. Très gourmand en eau, et principal producteur d’emballages et déchets plastiques pendant des années, le secteur doit désormais rendre des comptes et accélérer sa transition. Mais quelles solutions a-t-il mises en place pour s’adapter ?

Retour en arrière. Nous sommes alors dans les années 90 et le modèle des fast foods américains est à son apogée. Problème… victime de leur succès, les chaines de restauration rapide ne parviennent plus à répondre à la demande croissante de burgers, nuggets et autres produits emblématiques. Elles vont donc multiplier les partenariats avec des éleveurs de bétail pour s’assurer un stock de viande constant. Sur son site internet, l’enseigne McDonald’s revendique contribuer « à l'activité de plus de 42 000 éleveurs » en France, soit 670 000 bêtes pour cette seule enseigne. Si certains saluent les opportunités que ce secteur offre aux agriculteurs, l’opinion publique et les ONG ne tardent pas à pointer du doigt les effets néfastes qu’engendre l’élevage intensif, notamment de bovins, sur la planète et le bien-être animal. Principal responsable du réchauffement climatique, le méthane produit par ces animaux est 28 fois plus puissant que le dioxyde de carbone. S’ajoute à cela la consommation d’eau que nécessite cet élevage intensif.
Et qui dit plus de commandes de burgers dit plus de besoins en matière première donc plus d’émission carbone et de gaspillage d’eau. Un schéma sans fin auquel le secteur compte aujourd’hui mettre fin en proposant des alternatives végétariennes mais également véganes.

40 % des Français veulent consommer davantage de produits végétaux

En 2021, 49 % des foyers français comprennent au moins une personne flexitarienne, (NDLR : régime végétarien qui autorise une consommation occasionnelle de viande), contre 25 % il y a six ans, selon Kantar World Panel. Une étude IFOP réalisée dans le cadre de l’Observatoire des cuisines populaires annonce quant à elle que 40 % des personnes sondées veulent manger davantage des produits végétaux. « L’autre indice qui montre que cette tendance va s'installer est la part des jeunes "sur-consommateurs" de produits végétariens ou végans. Les chiffres de NPD Group montrent que 52 % des 18-34 ans en sont friands alors qu’ils comptent pour seulement 40 % des consommations totales du marché », affirme Caroline Gilabert, responsable des dossiers projecteurs chez Bpifrance Création et chargée de la rédaction d’« Entreprendre dans la restauration rapide ».
En ce sens, des entreprises spécialisées dans la viande végétale telles que Beyond Meat, Memphis Meats, Impossible Foods aux États-Unis ou La Vie et Vital Meat en France, fournissent désormais de nombreux professionnels de la restauration rapide. C’est notamment le cas de KFC, Pizza Hut et McDonald’s qui se sont faits accompagner par Beyond Meat pour créer des produits tels que des nuggets à base de protéines végétales ou des burgers végans.

En France, Isabelle Yung, dirigeante de la chaine de fast food végan Hank, a quant à elle décidé de valoriser des entreprises tricolores, de plus en plus nombreuses à se développer dans le secteur de la viande végétale ou de synthèse. « C’est avant tout un engagement personnel afin de favoriser le savoir-faire et l’innovation de nos startups mais c’est aussi un moyen d’asseoir notre concept et nos valeurs en ne proposant que des produits 100 % français dans nos restaurants ». Aujourd’hui ce sont les produits de la marque française Next Food que l’on retrouve dans les burgers de Hank. « Dans la même veine, nous allons prochainement lancer une nouvelle collaboration avec une startup bretonne qui élabore des steaks à base d’algues marines imitant le gout de poisson ». Et si le bio tient une place de choix dans les engagements de la marque, il n’est pas une fin en soi. « Je pense que ce qui fait la différence, c’est aussi la cohérence dans l’histoire que l’on propose à nos clients. Proposer des produits bio c’est bien, mais devoir les importer du Pérou ça l’est beaucoup moins ». C’est pourquoi, prochainement, Hank ne proposera plus aucune recette à base d’avocat, un légume très gourmand en eau et qui ne pousse pas en France.  

Si la viande végétale a déjà été adoptée par le marché américain (malgré une un léger recul des ventes en 2021 selon le Financial Times), « le secteur n'a pas encore fait sa place », rappelle Bernard Boutboul, expert en restauration rapide et président de l'entreprise Gira avant de poursuivre : « En France, cette tendance gagne progressivement la capitale, mais elle est encore loin d'être acceptée en région ». Une notion que les professionnels du secteur implantés dans les territoires doivent prendre en compte afin d’adapter leur offre à la demande des clients. En valeur, selon le cabinet Xerfi, le marché n'a généré que 28 millions d'euros de chiffre d’affaires en 2020 contre 300 millions en Allemagne. La question est donc de savoir si l'intensification de l'offre et une certaine baisse des prix peuvent doper la demande de façon égale sur tout le territoire.

Exit le plastique et place au photovoltaïque

Le second volet sur lequel le secteur est très attendu, c’est sa réduction de déchets. Un sujet que les géants de la restauration rapide ont longtemps négligé comme l’affirmait Brune Poirson au Parisien. « Ils ne font que très peu d'efforts alors que chaque année ils génèrent 183 000 tonnes d'emballages et 60 000 tonnes de déchets alimentaires ». En ce sens, l’ancienne secrétaire d’Etat à la Transition écologique et solidaire recevait en 2019 les patrons des principales chaînes de restauration rapide afin de leur rappeler leurs nombreux manquements en matière de tri des déchets. Le 15 février 2021, 19 acteurs de la livraison de repas à domicile ont signé une charte d’engagement avec le Ministère de la Transition écologique, fixant des objectifs pour réduire les contenants et les emballages en plastique à usage unique, développer leur réemploi et mieux les recycler. Parmi les mesures phares, la charte fixe depuis le 1er janvier 2022 l'objectif de 50 % d'emballages livrés sans plastique à usage unique, puis 70 % au 1er janvier 2023.
Depuis le 1er mars 2021, les professionnels ont l’obligation de mettre fin à la livraison systématique de couverts et de sauces et doivent désormais atteindre un objectif de 100 % d’emballages recyclables. En France, l’ambition des restaurants français du clown Ronald est de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 35 % d'ici 2030. Plus récemment, l’enseigne s’est également engagée à supprimer les jouets en plastique de ses menus Happy Meal au profit de coloriages ou de jouets en carton.

De son côté, la dirigeante de Hank a fait le choix de l’innovation en déployant dans ses quatre restaurants un concept appelé “la fabrique à boissons”. « Cela prend la forme d’une colonne reliée au réseau d’eau proposant différents types d’eaux et sirops sans sucre afin que chacun puisse venir se servir. En restaurant, on est en train de remplacer nos gobelets en carton par des verres en verre. L’objectif est de n’utiliser le carton que pour les commandes à emporter, et là encore nous travaillons avec des fournisseurs spécialisés afin de trouver des matériaux innovants et plus vertueux que le carton traditionnel ». Prochaine étape pour l’enseigne française, la mise en place dans tous ses restaurants de vaisselle en dur afin de ne plus avoir recourt au jetable.

Et en ce qui concerne l’énergie, là encore l’innovation semble au rendez-vous pour accompagner le secteur dans sa transition. A Strasbourg, le gérant du food truck végétal et bio "L'essentiel chez Raphaël” a décidé d’opter pour des panneaux solaires afin de faire tourner l’éclairage, les réfrigérateurs, l’extracteur de jus, et le petit équipement de cuisine de son camion. Mais il ne s’arrête pas là. « Nous utilisons des récipients et couverts réutilisables avec un système de consigne (barquettes, bocaux, bouteilles en verre…) ou compostables (couverts en bois). Et en parallèle, une société nous aide trier puis composter tous nos déchets organiques », ajoute Raphael Miquël, aux commandes de cette initiative. Si les éco-gestes peuvent être un bon point de départ, établir un vrai diagnostic énergétique, tel que le diagnostic Eco-Flux, peut permettre aux professionnels de la restauration d’être formés et accompagnés afin de mieux suivre les indicateurs énergétiques, et l’identification des plus gros postes de consommation. « Un suivi régulier de la consommation d’un restaurant permet également d’évaluer l’impact des actions mises en place par l’établissement, tout en permettant d’identifier de potentielles dérives dans les usages, comme les fuites d’eau, ou le fait de laisser allumer des appareils en dehors des heures de service », rappelle le cabinet de conseil et études pour la transition environnementale ECO2 Initiative.

mélanie
Mélanie Bruxer Rédactrice web