Clinatec développe une neuroprothèse pour actionner par la pensée un exosquelette

Au croisement de la microélectronique et de la neurologie, on retrouve Clinatec, une branche du CEA (centre de l’énergie atomique) qui mène des recherches de pointe sur les interfaces cerveau-machine. Avec son projet WIMAGINE®, le centre de recherche pourrait bien révolutionner le quotidien de nombreux patients paraplégiques.  

  • Temps de lecture: 4 - 5 min
Clinatec essai clinique
dr/ Clinatec

Permettre à des personnes paralysées de se mouvoir grâce à une neuroprothèse reliée à un exosquelette ? C’est le pari fou que s’est fixé Clinatec avec le dispositif implantable WIMAGINE®. En pointe sur les sujets de BCI (Brain Computer Interface, ou interface cerveau machine), ce centre de recherche hybride a été fondé par le professeur en neurochirurgie Alim-Louis Benabid avec l’aide de Jean Therme, conseiller spécial du directeur CEA Tech. Depuis une quinzaine d’années, Clinatec fait avancer la recherche biomédicale notamment au travers de programmes portant sur les interfaces cerveau-machine. Une application bien spécifique qui nécessite d’associer dans le même bâtiment les travaux des équipes de recherches technologiques, avec ceux de biologistes et de médecins. Une multidisciplinarité qui demeure rare en France, mais qui est largement encouragée par la localisation du centre au cœur de la vallée technologique Grenobloise (lieu où est également implanté le CEA).  

En charge du projet d’interface cerveau-machine pour Clinatec, Guillaume Charvet revient pour Big média sur cette innovation porteuse de nombreuses promesses pour les personnes para et tétraplégiques.   

« Des algorithmes capables d'interpréter l’activité électrique cérébrale »

Big média : Comment est née votre neuroprothèse WIMAGINE® ?  

Guillaume Charvet : Depuis 2008 on développe une prothèse assez unique. Il s’agit d’un dispositif implantable, composé de 64 électrodes capables de détecter l’activité à la surface du cortex moteur de l’utilisateur. Concrètement, suite à une craniotomie, on remplace le morceau d’os manquant par la neuroprothèse disposée sur la dure mère (feuillet le plus externes des méninges tapissant la boîte crânienne, ndlr) pour limiter l’invasibilité du système. Ensuite, la deuxième phase, c’est de mettre au point des algorithmes capables d’interpréter l’activité électrique cérébrale détectée par le dispositif. Concrètement, on demande au patient de s’imaginer en train de réaliser un mouvement en particulier, ce qui cérébralement se traduit par une activité spécifique. Nos programmes sont alors entraînés pour reconnaître en temps réel ces signaux particuliers et transmettre des prédictions de mouvements.  

Au cours d’un essai clinique réalisé en 2019, on a réussi à employer cette technologie pour animer un exosquelette. Fin mai, lors d’un autre essai, nos chercheurs ont ajouté un stimulateur placé au niveau de la moelle épinière qui a permis à un patient paraplégique de remarcher pour la première fois - toujours en employant un exosquelette.  

BM : Mener à bien ce genre de projet nécessite de concilier de nombreux savoir-faire bien différents. Cette multidisciplinarité était-elle une difficulté ? 

GC : Notre force, c’est que l’interdisciplinarité est vraiment dans l’ADN de Clinatec. Lors de sa création, il y avait déjà cette volonté de monter un centre de recherche biomédicale qui travaille main dans la main, dans le même bâtiment, avec des corps de recherches totalement différents. Quand on a deux équipes qui sont séparées, c’est beaucoup plus compliqué. Pour un projet comme WIMAGINE®, on mêle développements d'ingénierie, circuits intégrés, des mécanismes complexes, mais aussi l’expérience du neurochirurgien et des biologistes qui doivent notamment permettre la biocompatibilité de l’implant pour que le patient le supporte à long terme, etc.  

BM : D’autant que les besoins ne sont pas uniquement technologiques …  

GC : Effectivement, au-delà de tout l’aspect technique, il y a logiquement sur ce type de projet un volet réglementaire plutôt contraignant. On doit respecter de nombreuses normes de sécurité, issues de la réglementation européenne, puisque notre neuroprothèse est un dispositif médical. Tout cela nécessite la collaboration avec d’autres corps de métiers, ce qui insiste encore plus sur l’importance de la multidisciplinarité sur ce genre de projet.  

« WIMAGINE® est suffisamment simple pour un usage domestique autonome de l’utilisateur »

BM : À quel stade de maturité le dispositif en est-il ?  

GC : Pour le moment, on en est aux essais cliniques de preuve de concept. Concrètement, la faisabilité technique du dispositif a été prouvée. Notre implant, couplé à des algorithmes d'intelligence artificielle, permet d’actionner un exosquelette. Par le passé, il y a déjà eu des dispositifs de ce type permettant d’actionner des bras. Mais aujourd'hui, on a pu montrer que le patient était capable de contrôler ses jambes, en maîtrisant également l'amplitude de son mouvement ce qui lui permet d’effectuer des actions telles que marcher ou même monter un escalier. WIMAGINE® est suffisamment simple pour un usage domestique autonome de l’utilisateur. C’est très encourageant.  

Evidemment, la marge de progression reste énorme. On voit bien que les mouvements restent plutôt lents, la précision pourrait être améliorée, l’autonomie mériterait d’être augmentée, et cetera. Mais c’est sur la portabilité du système que les plus grands progrès restent à faire. Dans sa configuration actuelle, le dispositif comprend un ordinateur très puissant intégré à un déambulateur. Des programmes européens portent notamment sur la réduction de la taille des composantes, ce qui pourrait permettre de passer à une simple puce électronique. On imagine dans les prochaines années pouvoir troquer le déambulateur avec une ceinture qui transporterait le système ! 

BM : Au-delà du contrôle moteur, quelles sont les autres perspectives ouvertes par les neuroprothèses ?  

GC : On a démarré au mois d’août un nouvel essai clinique, stimulant la moelle épinière, non plus sur les lombaires d’un patient paraplégique pour lui permettre de se mouvoir, mais cette fois sur les cervicales d’un individu tétraplégique pour lui permettre de contrôler ses bras. En dehors de Clinatec, le champ des possibles avec cette technologie est large, mais l’idée est toujours de détecter une intention de la part du patient pour la traduire avec un algorithme. Une application intéressante sur laquelle se penchent deux équipes américaines de l’Université de Stamford porte notamment sur le décodage de la parole chez des patients aphasiques.  

« Nos résultats sont déterminants pour convaincre les industriels d’acquérir des licences d’exploitations de nos technologies »

BM : La question éthique semble prédominante quand on aborde les interfaces cerveau-machine … Clinatec cadre-t-il ses recherches autour de certaines règles ?  

GC : Notre premier critère, c’est de se cantonner à des applications médicales. Cela implique que nos essais cliniques soient validés par les autorités. Et notamment d'avoir l’aval de comités d'éthique comme le CPP (comité de protection des personnes). En plus, Clinatec travaillant beaucoup avec la Suisse, on doit aussi être approuvé par Swiss Ethic, l’organisme helvétique compétent.  

Ensuite en préparant l’essai clinique, comme pour d’autres formes de traitements médicaux, on fait état d’un rapport bénéfice-risque. On pèse alors ce qu’apporterait le dispositif au patient face aux risques qu’impliquent une opération de ce type.  

BM : Comment Clinatec s’intègre à l’écosystème industriel de la santé pour financer ses recherches ? 

GC : Pour un centre comme le nôtre, la question du financement est évidemment centrale. Quand on pense à un projet de recherche, la question du transfert technologique que ce soit vers une startup, ou une entreprise déjà existante, arrive très vite. La conception d’un dispositif, passe nécessairement par une réflexion en amont sur “qui pourrait l’exploiter”. D’un point vue opérationnel, cela passe par la protection de nos innovations. Avec un projet comme WIMAGINE®, le CEA a déposé environ 25 brevets autour de cette technologie, c’est considérable.  

On est en pleine phase de preuves de concept. C’est une étape d’autant plus cruciale que nos résultats sont déterminants pour convaincre d’éventuels industriels d’acquérir des licences d’exploitations de nos technologies. L’enjeu est donc économique pour notre centre de recherche, mais la distribution de notre savoir est aussi indispensable pour que notre dispositif puisse être distribué à grande échelle.  

Martin Ferron
Martin Ferron Rédacteur Web