Fondatrice de Music Tomorrow, Julie Knibbe met l’IA au service des labels musicaux

Le streaming constitue l’essentiel des revenus de l’industrie musicale, chiffres à l’appui : selon le Global Music Report 2024 de l’IFPI, il 67,3 % du marché mondial de la musique, contre seulement 17,8 % pour les supports physiques. S’ensuit une bataille de la donnée et de la recommandation dans laquelle sont pleinement engagés maisons de disques et artistes, soucieux de valoriser et de récolter les fruits de leur travail malgré l’opacité de certaines plateformes. C’est pour répondre à ce besoin que Julie Knibbe a fondé Music Tomorrow en 2020, société de conseil qui « démystifie les IA pour les labels musicaux » en proposant ses algorithmes spécialement conçus pour décrypter ceux des plateformes d’écoute. 

D’ingénieure en informatique à entrepreneure dans la Music Tech française 

Ingénieure en informatique, Julie Knibbe a travaillé pendant dix ans à bâtir des solutions data pour l’industrie musicale avant de lancer son entreprise. Elle œuvre notamment à la personnalisation du service chez Deezer, « en lançant des fonctionnalités comme Flow, les radios interactives ou la recommandation de playlists. » Elle rejoint ensuite Soundcharts – créée en 2017, la plateforme permet aux professionnels de la musique d’accéder à un tableau de bord agrégeant en temps réel les données de l’industrie musicale et ainsi de repérer plus aisément de futurs talents – où elle a la charge de concevoir des solutions d’analyse de données. Passée également par Microsoft au début de sa carrière, Julie Knibbe est constamment au contact de personnalités différentes de son univers de départ. 

« Il a toujours fallu que j’adapte mon discours et que je le vulgarise, confie la PDG de Music Tomorrow. Ce qui m’a motivée quand je me suis lancée à mon compte, c’était cette mission de démystification. Je ne trouvais pas ça plaisant qu’il y ait des ingénieurs d’un côté et des artistes de l’autre, que les univers ne communiquent pas. » C’est de ce désir de vulgarisation que Julie Knibbe tire alors la motivation pour créer sa société de conseil. « S’il y a une incompréhension entre ces deux mondes, c’est peut-être parce qu’on n’explique pas assez comment les choses fonctionnent. L’idée était de créer des ponts et de montrer qu’on parle peut-être le même langage, avance-t-elle. Je suis partie du principe qu’une IA, aussi complexe soit-elle, peut être expliquée si on fait l’effort de vulgariser. » 

Une solution inspirée par sa passion des livres 

Julie Kniffe est aussi férue de littérature. « L’écriture est une façon de clarifier ma pensée et de structurer ma connaissance, confie-t-elle, tandis que la lecture est une façon de m’immerger dans des univers. » Sur sa table de chevet, on trouve aussi bien des ouvrages abordant ses sujets de prédilection, les algorithmes et des IA, que des œuvres stimulant l’imaginaire à l’instar de Dune de Frank Herbert. Les livres sont, pour elle, à l’opposé de la tendance actuelle de création de contenus, rapide et immédiate. « C’est long et ça demande parfois de l’effort pour rentrer dedans », à l’image des débuts de Music Tomorrow, qui propose alors des décryptages approfondis des algorithmes de recommandation de Spotify, Deezer et autres plateformes. « Ça va à l’encontre de ce qu’on trouve sur le web. Ce sont de longs articles, presque académiques, avec beaucoup de recherche, précise Julie Knibbe. C’était un pari, je n’étais pas sûre que les gens finissent de lire les articles. Mais au moins je suis allée au bout de mon effort. »  

Des efforts qui ont fini par payer. « J’ai eu une réponse que je n’imaginais pas », se rappelle la fondatrice de Music Tomorrow, qui cumule aujourd’hui plus d’1 million d’impressions sur son site. Les acteurs du secteur musical n’ont en effet pas tardé à s’enquérir de ses précieux conseils. « C’est fou, quand tu décris le fonctionnement des algorithmes et la façon de les influencer, je m’aperçois qu’on a une vision commune du développement de l’artiste », lui confiera la directrice marketing d’un label après avoir découvert ses articles sur les algorithmes de Spotify. « C’est un peu comme du SEO, de la même façon que vous avez des outils pour rendre vos articles plus visibles sur Google, on aide les artistes à être mieux référencés sur les plateformes », fait remarquer l’entrepreneure.  

Introduire de l’innovation dans l’industrie musicale 

Pour le compte de ce label, Julie Knibbe a conduit une analyse manuelle sur une collaboration entre un grand rappeur et une chanteuse émergente sur TikTok. Quelques années après, l’entrepreneure a l’idée d’automatiser son analyse : « On a alors développé nos algorithmes et ce sont ces solutions qu’on vend maintenant, révèle-t-elle. Music Tomorrow est née de ce besoin que j’avais de partager nos connaissances sur le sujet. » Sa solution a rapidement convaincu l’industrie musicale et a ainsi remporté, en 2023, le prix de l’innovation dans la musique, décerné par le CNM (Centre national de la musique).  

 « On imagine souvent que l’innovation part de zéro, d’un éclair de génie sous la douche, remarque Julie Knibbe, qui défend pour sa part une tout autre vision de l’innovation. C’est en accumulant des connaissances sur un domaine que j’ai fini par pouvoir l’expliquer, que j’ai pu faire des rencontres, lesquelles m’ont donné des idées qui ont fini par aboutir à un produit. » La fondatrice de Music Tomorrow a ainsi développé une solution innovante non plus seulement destinée aux grandes entreprises, mais également aux artistes et aux labels indépendants. « L’innovation provient de la connaissance, conclut-elle, et du fait de pouvoir repousser cette connaissance en créant quelque chose de nouveau. »