Les lunetiers du Jura : quand tradition et innovation vont de paire

Activité emblématique du Jura depuis le XIXe siècle, la lunetterie et son savoir-faire traditionnel ont su se réinventer au fil du temps. Et ce, grâce à des acteurs dynamiques qui se sont adaptés aux nouvelles tendances et technologies, tout en continuant à proposer des produits Made in France de qualité.

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lunettes france
L'animateur de radio et de télévision, humoriste, critique gastronomique, écrivain et chef-cuisinier Jean-Pierre Coffe, toujours paré de ses célèbres lunettes rondes

« La lunetterie française en quelques mots ? Je dirais : la garantie de la qualité, dans le respect du savoir-faire et de la tradition », résume Joël Thierry, président du Syndicat professionnel des Lunetiers du Jura. Si cette région n’a pas inventé les lunettes (un honneur qui reviendrait à la Toscane italienne), c’est bien elle qui a été le fer de lance de l’industrialisation de leur production, dès le XIXe siècle. C’est précisément dans la vallée de la Bienne, sur le site de Morez, que le travail du métal a permis une évolution progressive vers la création de montures légères dites « lunettes fils ». La production s’est perfectionnée, synonyme d’une ascension fulgurante : en 1882, ce sont quelque 11 millions de pièces qui sortent des ateliers moréziens au cours de l’année.

Depuis, si elle a été fragilisée par les mouvements de délocalisation à la fin des années 1990, la filière perdure néanmoins, portée par une vingtaine d’entreprises sur toute la chaîne de valeur – de l’outillage à la production de composants, en passant par la décoration. Des entreprises qui s’appuient tant sur leur savoir-faire, transmis depuis plus de deux siècles, que sur les nouvelles technologies pour continuer à offrir des produits qualitatifs et originaux. « Le secteur se concentre aujourd’hui sur la fabrication de lunettes haut de gamme, pour la plupart labellisées Origine France Garantie, ce qui est très recherché par les créateurs et marques françaises et étrangères, y compris des acteurs du luxe », note Joël Thierry.

Entre automatisation et travail manuel…

Les lunetiers du bassin jurassien ont su prendre le virage de la digitalisation et de l’automatisation pour optimiser leur production. « La chaîne numérique est complète, de la commande à l’impression 3D pour le prototype, jusqu’à la distribution. Tout est informatisé et très rationalisé », précise le président du Syndicat professionnel des Lunetiers du Jura. C’est également le cas au sein d’entreprises historiques, comme Morel. Fondée en 1880, l’affaire familiale – aujourd’hui menée par la quatrième génération, Jérôme, Francis et Amélie, – a investi dans des nouveaux outils de production, des machines-outils à commande numérique 5 axes, pour son site de Morbier. Résultat : 900 000 montures vendues par an.

Pour autant, le savoir-faire humain reste primordial. Dès leur conception, toutes les montures du lunetier passent par les mains expertes de Valérie Prillard, prototypiste et première femme à avoir obtenu le titre prestigieux de Meilleur Ouvrier de France en lunetterie. « Il y a beaucoup de travail manuel sur les pièces, par exemple lors de l’étape finale de montage qui s’appelle le rhabillage, c’est-à-dire lorsqu’on vient donner sa forme à la monture. Les lunettes, ce sont comme des chaussures, il faut qu’elles soient confortables dès le premier essai ! C’est donc une opération cruciale qui nécessite des compétences clés », détaille Amélie Morel Martin, directrice communication à la tête de l’entreprise aux côtés de ses frères Jérôme et Francis. 

… innovation et éco-responsabilité

Symbole de ce mariage entre tradition et modernité : la collection Marius Morel, qui réédite les montures iconiques du lunetier des années 50 et 60 en utilisant les techniques d’aujourd’hui. Car l’entreprise réinvente aussi les produits eux-mêmes via la création de nouveaux matériaux, tels que l’acétate recyclé (produit en circuit court par un fournisseur local à partir de rebuts) ou de nouvelles technologies, comme sa charnière brevetée, sans vis ni soudure, nommée Lightec MOREL. Le tout, sans oublier la créativité et l’éco-responsabilité : l'entreprise a ainsi été la première à développer des verres de présentation 100 % recyclés et recyclables pour ses montures et a fait le choix d’utiliser un sachet biodégradable plus vertueux pour emballer ses produits. Une démarche RSE dans laquelle se sont engagés de nombreux acteurs de la filière, qui travaillent également sur les enjeux de transition énergétique pour leurs entreprises.

L’avenir entre transmission et ventes à l’export

Réglementation stricte en matière de produits de santé, concurrence internationale accrue, difficulté de la transmission du savoir-faire, désaffection des métiers techniques… La filière fait face à de nombreux défis. Toutefois, les perspectives d’avenir pour le secteur restent encourageantes, y compris en termes de main d'œuvre, comme l’affirme le président du Syndicat professionnel des Lunetiers du Jura : « Nous avons la chance d’avoir un établissement d’excellence, le lycée Victor Bérard de Morez, spécialisé dans les métiers de l’Optique et des Microtechniques. C’est à nous d’intéresser ces jeunes et de les former pour garantir l’avenir de la filière. »

Le marché de l’export reste également porteur pour les lunetiers du Jura, avec des acheteurs qui apprécient « la qualité, l’originalité, le service après-vente et la stabilité des infrastructures » des entreprises françaises, comme le souligne Joël Thierry. Morel réalise ainsi 75 % de son chiffre d’affaires à l’international, en s’appuyant sur ses 17 filières réparties à travers le monde. « Nous avons changé de modèle après la pandémie de Covid-19 pour être au plus près de nos clients et plus réactifs, et nous prévoyons d’ailleurs l’ouverture d’une 18e filiale en ce début d’année », annonce Amélie Morel Martin. La directrice communication de Morel porte un regard optimiste sur l’horizon : « Le marché a beaucoup évolué mais le bassin du Jura a su prendre le virage de la créativité et de l’innovation, ce qui nous démarque des grands groupes ». Pour le président du Syndicat professionnel des Lunetiers du Jura, l’avenir de la filière se jouera sur sa capacité à « ne pas perdre de maillon de la chaîne ». « Notre mission première doit être de conserver l’intégralité du savoir-faire », conclut Joël Thierry.

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