Marion Carrette : La passion d’entreprendre en fil (bleu blanc) rouge

Fondatrice de Zilok, puis de OuiCar, Marion Carrette s’est lancée en 2019 dans une nouvelle aventure avec la reprise de la marque de tricot Anny Blatt. Un changement de cap qui n’a pas été de tout repos mais qui la fait vibrer aujourd’hui. Entretien.

Marion Carrette

Du virtuel au réel, du service numérique au produit physique : une transition qui s’est peu à peu imposée pour Marion Carrette après de nombreuses années dans le web. En 1997, elle intègre le secteur en rejoignant dans un premier temps une agence de contenus digitaux, suite à ses études de commerce à l’ESSEC. Dès 2000, elle choisit de se lancer dans l’entrepreneuriat et crée sa propre structure, Ecrito. Quelques années après la revente de cette dernière, elle concrétise un nouveau projet avec Zilok, un site de location entre particuliers qui rencontre un franc succès. Très vite, elle lance en complément de Zilok, le site OuiCar dédié, lui à la location de véhicules. Le début d’une aventure passionnante de 11 ans pour la dirigeante.

En 2018, toutefois, l’envie de poursuivre sa carrière à Marseille, où elle s’est installée avec sa famille quatre ans plus tôt, prend le dessus. Elle confie les rênes de OuiCar au directeur général de l’époque, en se donnant pour ambition de trouver dans le Sud « un projet à la hauteur » de sa précédente entreprise, explique-t-elle. La barre est placée, le ton est donné – mais la suite se fait désirer. Après huit mois de réflexion et de recherche : toujours rien. C’est finalement le chemin du repreneuriat que Marion Carrette va choisir, après avoir eu vent du dépôt de bilan de la filature détenant Anny Blatt.

Un saut à pieds joints dans l’industrie et le secteur de la mode

Portée et rendue iconique par Anne Sinclair, chantée par Gainsbourg : la marque spécialisée dans l’angora est une référence pour quiconque a grandi dans les années 80 et 90. « Ma grand-mère m’a appris à tricoter avec des laines Anny Blatt, se souvient Marion Carrette. Il m’était impensable de voir une telle entreprise disparaître. Et elle cochait pour moi beaucoup de cases telles que le savoir-faire français, l’industrie… » Le milieu de la mode a beau être à mille lieues de son domaine de prédilection qu’était le web, elle engage une procédure de rachat. Pendant plusieurs mois, elle se rend régulièrement dans l’usine afin d’en comprendre le fonctionnement, ainsi que les enjeux de cette filière industrielle et son échec. Une démarche qui ne sera malheureusement pas suffisante : la filature entre en liquidation en 2019. 

Qu’à cela ne tienne, il en faut plus pour décourager Marion Carrette. Elle s’associe à Anne Molineau, directrice artistique d’Anny Blatt pendant 20 ans, et fait une offre de reprise, validée en 2020. Les deux nouvelles propriétaires héritent du nom de la maison et de ses précieuses archives. Le chantier commence. « Il a fallu tout relancer, explique-t-elle. Nous n’avions plus d’outil industriel alors nous avons dû ressourcer tous les filateurs pour nos laines, au plus près et selon les valeurs que nous souhaitions instaurer pour la marque. » En s’inspirant des archives, elles conçoivent de nouveaux modèles, imprégnés de l’identité 80’s d’Anny Blatt – mais modernisés. Afin de compléter son offre de pelotes et de patrons à tricoter à la main, et toucher un public qui ne manie pas les aiguilles, les dirigeantes imaginent une collection de prêt-à-porter, limitée, avec des pièces réalisées à la demande pour éviter la surproduction. Pour cette partie aussi, le défi est de taille, les ateliers étant généralement peu enclins à élaborer de très petites productions par à-coups. 

La renaissance d’une marque culte

C’est avec une offre bien maillée, un solide réseau de filateurs (en France pour l’angora, et en Italie Afrique du Sud, au plus près de la production de laine mohair éco-responsable), un atelier de tricotage partenaire en Mayenne, un teinturier et, évidemment, un site web, qu’Anny Blatt est officiellement relancée en mars 2021. Les amatrices et amateurs de la marque saluent ce retour. « J’ai réalisé que ce souvenir familial que j’avais, avec cette laine, beaucoup l’avaient aussi. C’est une madeleine de Proust pour de nombreuses personnes ! » À cette clientèle vient s’ajouter un public plus jeune que le tricot a attiré pendant la crise du COVID-19 et le confinement. 

Le succès est au rendez-vous : l’entreprise enregistre une croissance de + de 50% chaque année depuis sa création. De quoi conforter Marion Carrette, novice de l’industrie textile, dans son choix audacieux. « J’ai appris sur le tas mais je pense que ma naïveté a finalement été un atout, considère-t-elle. Je suis partie sans a priori sur des sujets qui auraient été bloquants, d’office, pour des personnes du secteur. Et ça m’a permis d’obtenir des choses car j’ai osé demander et trouver des solutions avec une perspective nouvelle. » Après un recrutement tout frais, l’équipe compte aujourd’hui six collaborateurs et l’objectif est d’étoffer encore les effectifs afin de consolider les deux activités de la marque.

Privilégier le « made in France » à tout prix

Le chant des sirènes est pourtant puissant et il vient résonner à son oreille. « Régulièrement, je reçois un message de fabricants à l’étranger qui propose de produire nos pulls, soupire la dirigeante. Toujours avec des prix défiants toute concurrence. Avec de tels tarifs, on peut honnêtement comprendre pourquoi les marques cèdent à la tentation. » Marion Carrette tient bon malgré tout, portée par la volonté inébranlable de préserver le savoir-faire tricolore et de maintenir la marque historique sur le sol français. . 

Dans cette optique, elle cherche actuellement à réimporter une partie de sa production (et donc, la filature) de laine mohair en se rapprochant d’éleveurs capables de fournir la quantité de matière nécessaire au stock de l’enseigne. L’export des produits à l’international, en revanche, est un point de développement. Anny Blatt compte déjà des clientes hors Hexagone et Marion Carrette souhaite leur proposer une communication adaptée avec, notamment, un site traduit. Enfin, elle désire multiplier les rencontres avec les tricoteuses pour que le label et ses modèles répondent à leurs attentes. Et pourquoi pas – alors que les laines sont pour le moment uniquement disponible sur l’e-shop – un magasin physique pour permettre aux clients et clientes de découvrir et apprécier la qualité des fils. Mais chaque chose en son temps : « La priorité est de prendre le temps de bien organiser chaque étape de notre développement », conclut Marion Carrette.

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