Ameublement et décoration : « Pratiquement toutes les marques en Europe nous ont dit avoir fait des croissances à deux chiffres »

Entre digitalisation et relocalisation, le secteur de l’ameublement et du design français n’en finit pas de s’adapter pour coller aux attentes des consommateurs. Décryptage d’un marché dans lequel il fait bon se blottir.

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déco
©The Socialite Family

« Je ne peux plus voir mon canapé… j’ai besoin de changement !». Combien sommes-nous à avoir pris d’assaut les enseignes d’ameublement et de bricolage pour revoir notre décoration d’intérieur suite aux longues semaines de confinement, sans vacances ni perspectives d’évasion ? 
Selon le philosophe Henri Lefebvre, habiter revient à « s’approprier quelque chose, […] en faire son œuvre, […] y mettre son empreinte, le modeler, le façonner ». Pas étonnant donc que plus de 89 % des Français accorde beaucoup d’importance à leur décoration d’intérieur, comme le révèle une étude menée par le site internet « Rencontre un archi ». Déjà en 2020, l’institut de prospective et d'études de l'ameublement (IPEA) enregistrait une hausse des ventes de meubles et de décorations d’intérieur de 35,8 % au mois de juin, puis respectivement 13,7 % et 12,8 % en août et octobre de la même année. 

En tout, les Français ont ainsi dépensé 60 milliards d’euros dans leur ameublement en 2020, soit près de 5 % de leur budget total. Une tendance qui devrait se maintenir puisque ce secteur gagne chaque année 3 à 6 points et peut se targuer d’une santé florissante comme le note Caroline Biros, directrice marketing de Maison & Objet, une marque et un écosystème dédié à la mise en relation de l’ensemble des acteurs internationaux de la décoration, du design et de l’art de vivre. « Aujourd’hui la dynamique est plutôt positive et l’a surtout été pendant les deux périodes de confinement. Pratiquement toutes les marques en Europe nous ont dit avoir fait des croissances à deux chiffres ». Des entreprises comme Slean ont même “surfé” sur cette tendance de fond. Il y a deux ans, en pleine pandémie, la marque vosgienne développe une gamme entièrement dédiée au télétravail en partenariat avec Doctolib. Au moment du lancement de la collaboration, la licorne spécialisée dans la prise de rendez-vous médicaux en ligne recrutait en masse en raison de l’explosion des demandes sur son site et souhaitait équiper ses salariés de bons fauteuils et bureaux pensés pour le travail à domicile. 

Décoration et design, un marché en pleine digitalisation

Le budget qui était d’ordinaire réservé aux vacances, aux loisirs ou aux restaurants a été dépensé dans l’achat de meubles plus adaptés au télétravail ou au rafraichissement des certains espaces qui n’étaient jusque-là pas une priorité pour leurs propriétaires. « Mais niveau digitalisation, le marché était très en retard par rapport à d’autres secteurs », note Marianne Gosset, co-fondatrice de The Socialite Family, media en ligne et marque de décoration qui édite et vend en direct ses propres créations de mobilier, luminaires et accessoires. Avec l’évolution des modes de consommation et le recours grandissant au e-commerce, les entreprises ont dû repenser leur présence en ligne. « Acheter un canapé en ligne ce n’est pas évident, on a du mal à évaluer le confort, le toucher ou l’espace qu’il prendra. Les marques ont donc dû s’adapter et aider leurs clients à se projeter en ligne grâce à la création de visuels inspirants par exemple », ajoute Marianne Gosset. 

Jusqu’ici, 56 % des Français trouvaient leurs inspirations déco en magasins selon une étude d’IPSOS. Le défi pour les marques a donc été de proposer une autre expérience d’achat en passant par un développement massif de leur image et de leurs produits sur les réseaux sociaux. Des enseignes telles que Maisons du Monde, The Socialite Family ou encore Alinéa, comptabilisent aujourd’hui entre 383 000 et 2,5 millions d’abonnés sur Instagram, un réseau social qui répond parfaitement au besoin de valorisation des produits. On vient y chercher des contenus « instagrammables » qui nous changeront les idées, nous inspireront et nous pousseront parfois à l’achat grâce à des mises en scène léchées. Selon une seconde étude menée par YouGouv en 2020, 31 % des Français ont déjà acheté un produit via un réseau social, et 50 % d’entre eux dépensaient alors entre 20 et 50 euros. 
« L’accompagnement du client via du conseil et de la réassurance est essentiel lors des ventes sur internet » indique la co-fondatrice de The Socialite Family. Application de réalité augmentée, expérience utilisateur soignée et conseils en ligne personnalisés fleurissent désormais sur de nombreux sites. 

Consommation locale et retour aux savoir-faire artisanaux

« Depuis la fin de l’année dernière, la croissance stagne un peu. C’est notamment dû au fait que les gens se sont équipés et que le secteur pâti de gros problèmes logistiques comme la hausse du prix des transports. Certains containers ont vu leur prix quintupler, notamment pour des produits venus d’Asie », rapporte Caroline Biros, directrice marketing de Maison & Objet. Avec des hausses et des ruptures de matières premières ou encore des ralentissements de la production et des projets de développement, le secteur a mesuré l’importance de la relocalisation de sa production. « En plus, c’est beaucoup plus facile de travailler avec des artisans locaux. On peut se déplacer plus facilement, et cela nous permet d’être plus agile dans nos process et notre création », affirme Marianne Gosset, co-fondatrice de The Socialite Family dont 95 % des produits sont conçus entre la France, l’Italie et le Portugal. 
« On a une industrie de la fabrication qui est en train de se relancer, d’autant plus avec les enjeux stratégiques de relocalisation. On a également toute l’industrie du Craft, les artisans d’art, qui est extrêmement reconnue à l’international. Des savoir-faire qui sont de plus en plus protégés et valorisés. Ce sont d'ailleurs des métiers vers lesquels beaucoup se tournent aujourd’hui, lassés des métiers de bureau », ajoute la directrice marketing de Maison & Objet. 

Les consommateurs, de plus en plus sensibles au “geste de la main” des artisans, apprécient de connaitre l’histoire de l’entrepreneur, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un artisan d’art. Une tendance qui a des conséquences sur l’approvisionnement car, qui dit fait-main dit petites séries, produits uniques et temps d’attente plus important. Dans un monde où l’instantané est roi, les marques vont donc devoir user d’un peu de pédagogie pour faire prendre conscience aux consommateurs que l’artisanat n’a pas la même chronologie que la fabrication industrielle. « Si la clientèle est intéressée et réceptive au message, le prix reste encore un point bloquant. Il y a encore pas mal de travail à faire de ce côté-là pour expliquer la valeur d’une pièce. Un prix juste au vu du savoir-faire qui se cache derrière », ajoute Marianne Gosset. « En France, on est plus importateurs qu’exportateurs alors qu’on a des savoir-faire de dingue ! Mais on souffre d’un manque de talents qui souhaitent se former et reprendre le flambeau ». 
Pour la directrice marketing de Maison & Objet, la clé du succès pour qu’une marque s’impose est le story telling. « Aujourd’hui, la clientèle a besoin de connaitre les partis pris de l’entreprise, son positionnement, ses valeurs ». Et le tout ce n’est pas simplement de le dire, il faut aussi y croire et le faire transparaitre dans sa marque.

La seconde main, un marché parallèle ? 

Brocantes, antiquaires, vides greniers, le secteur du mobilier et du design est un familier de l’économie circulaire depuis de nombreuses années. Porté par une prise de conscience écologique, le mobilier de seconde main séduit à la fois consommateurs, créateurs, éditeurs et distributeurs. Selency, la marketplace de référence qui digitalise la brocante compte depuis sa création en 2014 plus de 2 500 vendeurs professionnels partenaires et revendique un catalogue de plus de 100 000 pièces uniques, enrichi chaque jour de plus de 500 nouveautés. Initialement réservée aux professionnels, la plateforme s’est ouverte aux particuliers qui ont désormais l’opportunité de vendre directement un meuble ou un objet déco dont ils veulent se séparer. Déjà en 2017, Emmaüs Alternatives lançait le studio de design Les Résilientes afin de mêler design, récupération et réinsertion professionnelle. Tapis, tables d’appoint et lampes sont ainsi créés à partir de matériaux issus de dons. Le secteur s’installe rapidement chez de grands groupes tels que Made In Design (Groupe Printemps) qui lance à l’été 2020 « Produits de seconde vie », un e-shop dont les pièces « quasi-neuves » proviennent de retours de livraison. Et à l’image de solutions développées dans le prêt-à-porter, des sites tels que Yourse proposent aujourd’hui à ses utilisateurs de louer des meubles ou des luminaires haut de gamme, avec option d’achat à la fin du bail. 

« Évidemment, c’est un phénomène qui s’impose, mais la seconde main, dans le secteur du mobilier et du design, reste encore un marché qui a du mal à se structurer dans un magasin physique » remarque Caroline Biros, directrice marketing de Maison & Objet. Si on prend l’exemple de Selency, le business model de l’entreprise réside dans le fait qu’elle ne stocke aucun de ses produits et qu’elle ne les achète pas elle-même pour ensuite les revendre. Un peu à la manière de la plateforme Le Bon Coin. Selon la directrice marketing de Maison & Objet, si Selency souhaitait développer une boutique physique, l’entreprise devrait trouver des grossistes ou des personnes qui sourcent les produits pour elle. « Des profils très rares à l’heure actuelle », ajoute-t-elle. « Je ne sais pas dans quelle mesure le marché de la seconde main s’imposera à terme, c’est-à-dire qu’il supplantera le reste du marché. En tout cas, ce qui est sûr, c’est qu’on voit émerger de plus en plus d’enseignes qui proposent des collections inédites et des meubles d’occasion issus de leurs anciennes collections ou des produits restaurés qui ont été chinés », conclut Caroline Biros.

 

Du 20 janvier au 21 février 2022, se déroule la deuxième édition du French Design 100, un festival numérique qui fait rayonner le design français dans monde. Sa mission : sélectionner 100 projets de design d’objets (mobilier, décoration…) et d’espaces (hôtels, boutiques, restaurants…) qui font rayonner La French Touch dans le monde.  
Chaque jour, 5 lauréats sont révélés par les membres du jury international et des personnalités partenaires de l’événement.  Rendez-vous le 17 fevrier sur le compte instagram @LefrenchDesign pour découvrir la sélection de Nicolas Parpex, directeur du pôle ICC et pilote du plan Touch de Bpifrance.  

mélanie
Mélanie Bruxer Rédactrice web