Kinéis prévoit d’envoyer 25 satellites pour révolutionner l’IoT

Créée en 2018 avec l’ambition de révolutionner l’Internet des Objets (IoT) par satellite, la startup du New Space, Kinéis, est rentrée en phase d’industrialisation et a prévu de lancer 25 nouveaux satellites à partir de l'été 2024. Rencontre avec le dirigeant de la pépite française.

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Kinéis prévoit d’envoyer 25 satellites pour révolutionner l’IoT
Essais mécaniques du satellite modèle de vol Kinéis Crédit : ©Kinéis_ThierrydePrada2023

Lancer une constellation de satellites 100 % « made in France », voici le pari fou de Kinéis. Fondée en 2018 et soutenue par CLS et le CNES, la startup toulousaine a pour ambition de révolutionner l’Internet des Objets par satellite. C’est après avoir travaillé auprès de la ministre chargée du numérique en tant que directeur adjoint de cabinet, puis rejoint Toulouse et son secteur spatial, que l’ingénieur se lance dans la création de la startup. 

Kinéis, startup française du New Space et spécialiste du nanosatellite

Opératrice du système de balises ARGOS créé dans les années 80, notamment utilisé par les scientifiques et les skippers, Kinéis travaille désormais au déploiement de sa propre constellation de 25 satellites. « ARGOS comprend neuf satellites réalisés, entre autres, par le CNES (Centre national d’études spatiales). C’est déjà bien, mais ce n’est pas suffisant pour les besoins qu’on a aujourd’hui », assure le dirigeant de la startup. Pour Big média, il décrypte les enjeux de l’IoT et dévoile les dessous de l’industrialisation d’un projet d’ampleur comme celui de la nouvelle constellation.

L’IoT, grâce aux nanosatellites, répond aux enjeux de connectivité 

Big média : En quoi l’Internet des Objets par satellite est-il révolutionnaire ? 

Alexandre Tisserant : Alors que seulement 15 % de la planète est connecté par les réseaux terrestres, les satellites sont capables, quant à eux, de recouvrir toute la surface de la planète, zones blanches et maritimes comprises. Ainsi, tout l’enjeu de l’Internet des Objets est de suivre, localiser ou monitorer des installations, des biens ou des animaux se trouvant sur des zones difficiles d’accès. Les exemples de l’utilisation de l’Internet des Objets sont multiples. Dans le domaine maritime, on s’en sert pour la pêche, la plaisance ou encore les compétitions sportives. Les applications industrielles peuvent comprendre le monitoring de lignes à haute tension ou encore le forage. Les petits capteurs remontent des informations sur l’état de vétusté par exemple, ce qui permet de faire de la maintenance préventive. On a également des applications dans l’agriculture pour suivre du bétail en élevage extensif en Australie ou au Canada. Enfin, l’Internet des Objets par satellite se révèle pertinent pour protéger l’environnement avec la détection de feux de forêts rendue possible grâce à des capteurs qui repèrent très vite des taux de CO2 trop élevés. 

BM : Vous êtes déjà opérateur du système ARGOS, en quoi la nouvelle constellation de 25 satellites va changer la donne ?  

AT : Le système ARGOS a été créé dans les années 80. Il s’agit de neuf satellites qui ont été montés par le CNES et d’autres institutions telles que la NASA, l’agence spatiale indienne ou l’agence météo européenne. Ce système a été exploité durant des décennies avec en moyenne cinq à sept satellites en vol. Aujourd’hui, on en compte neuf, ce qui est très bien, mais pas assez pour les besoins de nos clients. De plus, avec ce dispositif, on reçoit la donnée en deux à trois heures, ce qui n’est pas gênant si l’on observe une tortue sur des années, mais qui ne suffit pas si l’on souhaite suivre des feux de forêts. En lançant ces 25 satellites, nous allons réduire à une dizaine de minutes le temps d’attente, et ce, en tout point du globe. 

Kinéis envisage la rentabilité de ses nanosatellites d’ici deux à trois ans

BM : Quelles sont les difficultés auxquelles vous devez faire face pour ce lancement prévu d’ici juillet 2024 ? 

AT : Nous avons dû faire face à de nombreux défis car un tel lancement demande de nombreux calculs. C’est en 2023 que l’on a terminé les tests électroniques, mécaniques et thermiques du premier satellite.  Dans le domaine spatial, tout prend du temps, car une fois que l’on a envoyé un satellite, on ne peut plus y toucher. On n’a pas le droit à l’erreur, mais le risque zéro n’existe pas. On a donc décidé de se lancer en phase d’industrialisation lorsqu’on a atteint un taux de sûreté de 99,9 %. Ça a été compliqué de se dire « ok on arrête et on avance ». Nous avons confié à Hemeria, une entreprise toulousaine, la fabrication des 25 satellites. 

La seconde difficulté réside dans le fait que ce qu’on s’apprête à faire est tout nouveau. Le CNES n’a jamais envoyé autant de satellites de toute son histoire, depuis le début du programme spatial opéré par Charles De Gaulle dans les années 60. Donc ce déploiement, qu'il s'agisse de la production des 25 satellites ou de leur opérabilité, représente un challenge technique important pour lequel il a fallu apporter des méthodes d’autres secteurs. Nous nous sommes donc inspirés de la production en série industrielle du secteur automobile. 

BM : Comment le CNES vous accompagne-t-il dans votre projet de lancement des 25 nanosatellites ?

AT : Nous avons toujours été historiquement très proches du CNES. Kinéis dispose d’ingénieurs spatiaux qui ont réalisé toute leur carrière au sein du centre d’études et qui sont venus chez nous pour vivre une nouvelle aventure. Le CNES a également investi à notre capital, mais au-delà de l’aspect financier, les ingénieurs nous apportent surtout un accompagnement dans l’expertise technique. Nous leur avons fait développer le centre de contrôle, la partie qui permet de piloter les satellites et de les faire bouger. Ils nous assistent au début des opérations, dans les phases un peu critiques de lancement, ainsi que dans la mise à poste. 

C’est dur de lancer des satellites, encore aujourd’hui on en perd. Que ce soit au moment du lancement ou lors de la mise en orbite. Elon Musk a déjà perdu 200 satellites par exemple. Ça reste des opérations critiques pour lesquelles il est bon d’avoir des experts et le CNES est évidemment un pilier en la matière. 

BM : Comment imaginez-vous la suite pour Kinéis ?

AT : L’objectif est de réaliser les cinq lancements consécutifs afin que les 25 satellites de la constellation soient opérationnels d’ici l’année prochaine. On envisage la rentabilité d’ici deux à trois ans. Mais en parallèle, on réfléchit déjà à la suite car la constellation que l’on va envoyer a une durée de vie de huit ans environ et les technologies évoluent vite dans le monde du spatial et des télécoms. D’autre part, on souhaite encore améliorer notre service pour fournir une prestation de qualité au meilleur prix et au plus grand nombre.

 

Julie Lepretre
Julie Lepretre Rédactrice web