Jeremy Maxwell Wintrebert, souffleur de verre : « Le verre en fusion est la source de toutes mes inspirations ».

Jeremy Maxwell Wintrebert puise son inspiration dans la matière pour souffler le verre. Pour Big media, il revient sur son parcours qui l’a conduit à devenir tour à tour artiste, artisan puis entrepreneur.

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Jeremy Maxwell Wintrebert
Credit : Marion Saupin

Dans son atelier de 500 m2 à Paris, Jeremy Maxwell Wintrebert entre en communication avec le verre qu’il souffle sans outil ni moule, afin de s’exprimer sans la moindre contrainte. Création, savoir-faire, transmission, sont au cœur de sa démarche artistique et font de lui un artiste, un artisan et un entrepreneur aguerri. Voyage dans l’univers de Jeremy Maxwell Wintrebert. 

Big média : Vous parlez d’un véritable langage du verre, matériau avec lequel vous semblez entrer en communication. D’où vous viennent cette passion et cette volonté d’être souffleur de verre ? Et plus largement d’être un artisan indépendant ? 

Jeremy Maxwell Wintrebert : J’ai grandi dans un environnement où il y avait beaucoup d’artisans, car mes parents en étaient fans. De mon côté, plus jeune, j’ai testé différentes matières : peinture, bois, céramique, métal… C’est ce voyage entre toutes qui m’a conduit à choisir le verre, parce que lui seul me parlait. 

Et en ce qui concerne l’indépendance, elle me paraît essentielle pour pouvoir avancer sur mon cheminement artistique et mon voyage d’exploration.  

BM : Comment faites-vous pour valoriser l’artisanat et votre métier ?  

JMW : J’en parle. Comme je reste très concentré sur la matière et que mon inspiration vient d’elle, le travail qui en découle fait parler de mon métier.  

BM : Quelle est votre vision du développement des métiers artisanaux ? 

JMW : Les métiers de l’artisanat ont un potentiel énorme et je pense que plus le monde se virtualise et plus la part du numérique est dominante dans nos vies quotidiennes, plus ces métiers et ces savoir-faire prennent tout leur sens. 

BM : Est-ce qu’il est difficile de nos jours de se lancer dans l’artisanat ? 

JMW : Bien sûr, il n’est jamais simple de lancer sa propre société et l’artisanat, c’est avant tout un savoir-faire, il est donc d’abord nécessaire de le maîtriser. Ensuite, il faut s’équiper pour l'exercer et l’investissement dans l’équipement coûte relativement cher. Au début, il n’est pas facile de trouver les ressources financières nécessaires pour pratiquer comme on l’aimerait. La plus grande difficulté pour moi a été d’apprendre à utiliser ma trésorerie pour investir correctement dans ma société, afin de la rendre pérenne et de répondre à mes ambitions créatives. 

BM : Quelles ont été les étapes de création de votre structure ?  

JMW : L’aventure entrepreneuriale a débuté dès 2011 avec la création de la S.A.S. Puis, en 2015, j’ai ouvert mon atelier de verre au 101 avenue Daumesnil à Paris. Ce dernier s’est ensuite étendu une première fois en 2018, avec la création d’un atelier métal et électrification, puis une seconde fois en 2021, avec un troisième espace pour accueillir les équipes dédiées à la relation clients, la gestion de projets, la création, l’administration ou la communication. Aujourd’hui, nous sommes une équipe d’une vingtaine de personnes et l’atelier s’étend sur environ 500m2.   

« Je pense que ma force a été de vouloir à tout prix rester indépendant ».

 

BM : Comment avez-vous fait pour vous démarquer dans un secteur concurrentiel et pour vous imposer sur ce marché ? 

JMW : Je pense que ma force a été de vouloir à tout prix rester indépendant, ne pas répondre aux sollicitations, ne pas créer pour un tiers. J’ai ainsi pu développer et faire évoluer ma pratique, ma propre vision créative et mes réflexions artistiques. 

BM : Où puisez-vous votre créativité et votre inspiration ? 

JMW : Dans la matière. J’ai toujours aimé créer, et le verre en fusion est la source de toutes mes inspirations. Il me donne une raison d’être, inspire ma recherche, ma façon d’exister. Je le vois comme un miroir de la lumière intérieure, de l’âme, de l’esprit. C’est une matière vivante, habitée, qui a énormément de choses à nous apprendre et à nous raconter. 

La matière me fait aussi voyager dans plein d’univers. Par exemple, à travers le verre en fusion et la discipline du soufflage de verre, j’ai commencé à m’intéresser à l’astrophysique. Les techniques m’y font penser : utilisation de la gravité, création de force centrifuge en tournant la canne, représentation de formes rondes, comme des planètes, avec le soufflage. Du coup, j’ai été inspiré par ce que j’ai découvert dans l’astrophysique, que j’ai ensuite ramené à la matière. Cela fait partie du dialogue que je développe en tant qu’artiste. 

« J’ai personnellement été très attiré par le verre soufflé à main levée parce qu’avec cette technique, le verre n’est contraint que par le geste, et non par la forme ».

BM : Vous soufflez le verre sans moule ni outil, pourquoi utiliser une technique si particulière ? 

JMW : Il y a trois méthodes distinctes dans le verre soufflé : à main levée, au moule et sculpté. En général, on se spécialise dans une de ces trois-là. J’ai personnellement été très attiré par le verre soufflé à main levée parce qu’avec cette technique, le verre n’est contraint que par le geste, et non par la forme.  De plus, on utilise beaucoup moins d’outils. C’est une façon de procéder qui n’a pas beaucoup évolué. On a toujours une canne, on tourne une matière chaude à son bout, on se sert de la gravité, la chaleur, le souffle et de deux ou trois outils, mais pas de grand-chose. Cette approche minimaliste et très épurée de la matière en fusion inspire énormément le langage que j’ai avec elle et que je décode tout le temps. 

BM : Pouvez-vous nous parler de l’œuvre dont vous êtes le plus fier ?  

JMW : L’œuvre dont je suis le plus fier ? C’est la prochaine ! C’est toujours la prochaine… Mais je pense que la plus importante à ce jour est une installation que j’ai faite il y a 5 ou 6 ans et qui s’appelle « The Beginning ». Cette création était essentielle parce qu’elle mettait un terme à une réflexion qui durait depuis très longtemps et que je ne pouvais pas pousser plus loin. En fait, à travers la recherche, abstraite mais scientifique, de l’Univers, je suis arrivé à matérialiser une pensée qui me faisait imaginer les ingrédients de l’univers avant le Big Bang. Cette œuvre a structuré une façon de réfléchir qui avant était très sauvage. Depuis, je suis peu à peu revenu vers le présent et j’ai commencé à raconter l’histoire de l’Univers à travers le verre. 

BM : Qui sont vos rôles modèles ?  

JMW : J’en ai plein. En premier lieu, dans mon métier. J’ai travaillé pour des maîtres verriers, un à Murano (Italie) et deux aux Etats-Unis, qui sont très importants dans mon parcours. Ils m’ont transmis leur savoir-faire, ce qui est essentiel dans les métiers de création et d’artisanat. Cela constitue un langage qui transcende l’humain et qui traverse le temps. 

Plus généralement, Nelson Mandela, Carl Sagan, Albert Einstein, font partie des grandes figures qui m’inspirent. 

« La transmission du savoir-faire est primordiale, tout simplement parce que sinon il s’arrête avec moi ». 

BM : Pourquoi avez-vous cette volonté de transmettre votre savoir-faire ? Comment s’assurer qu’il reste au cœur de la création ? 

JMW : La transmission du savoir-faire est primordiale, tout simplement parce que sinon il s’arrête avec moi. Alors, par respect pour ce qui m’a été inculqué, il faut que je transmette. Et puis, il y a une logique aussi physique… Même si j’aimerais pouvoir souffler du verre le plus longtemps possible, je pense que je ne serai pas dans la même forme dans 20 ans, c’est donc bien d’être entouré de jeunes qui ont appris à souffler avec moi.  

Par ailleurs, dès le moment où on s’exprime à travers la matière qu’on doit manipuler, elle reste l’épicentre de la création. La discipline de souffler reste prioritaire, comme la matière en fusion. Tout ce que j’ai construit, mon atelier et mon entreprise, se concentre autour de ce savoir-faire. 

BM : Considérez-vous davantage comme un artiste, un artisan, ou un entrepreneur ?  

JMW : Ça dépend des jours… Je pense que je suis né artiste. Puis, j’ai découvert une matière qui m’a inspiré, je suis donc devenu artisan pour apprendre à la manipuler et à m’exprimer, ce qui a été un voyage très long. Aujourd’hui, je la travaille tous les jours avec mon équipe. Enfin, je suis aussi entrepreneur, parce que je dois gérer tout ce qui vient avec. C’est un projet en expansion auquel je m’adapte, parce que je ne me suis jamais réveillé en me disant « un jour, j’aurai un énorme atelier avec plein de gens autour de moi ». Mais comme je suis de plus en plus accompagné, il y a une responsabilité entrepreneuriale qui me conduit à apprendre un langage spécifique, mais il ne me vient pas naturellement. 

Amélie Fonlupt
Amélie Fonlupt Rédactrice Web