XXIe siècle : l’ère de la « marchandisation » de l’amour ?

Au XXIe siècle, l’amour se transforme, s’adapte, se réinvente et entraine avec lui tout un marché, qui depuis longtemps déjà, se compte en milliards d’euros. Retour avec le sociologue Ronan Chastellier sur l’évolution des mœurs amoureuses. 

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« Marché des rencontres », « capital séduction », « négociation amoureuse » ou « investissement relationnel », l’amour flirte aujourd’hui avec le commerce.
En 2008, le marché de l’amour était estimé à 15 milliards de dollars.
Affichant un taux de croissance annuel de 30 %, il dépasse aujourd'hui les 50 milliards de dollars et pourrait même atteindre 70 milliards d’ici quelques années selon une étude menée par Kantar.
Ronan Chastellier, sociologue, Président de Tendanço, un cabinet de sondages, tendances et stratégie - dont les applications Meetic, Happn ou Passions ont été les clients - 
nous éclaire sur les mœurs amoureuses du XXIe siècle et leur impact sur la société.

Big média : Quels changements majeurs les relations amoureuses du XXIe siècle ont-elles rencontré ? 

Ronan Chastellier Aujourd’hui, on est probablement à une nouvelle apogée sexuelle - inconnue depuis les années 70 - qui puise ses racines dans une conjoncture non palpitante mais aussi dans la crise sanitaire qui nous fait composer avec le port du masque, les gestes barrières, les purificateurs d’air, en bref des mécanismes bloquants qui ont créé toutes les conditions d’une envie de libération.
Il y a clairement un besoin "d’envers fantasmatique" dans cette société aux mornes considérées parfois comme désespérantes. Jusqu’ici le fantasme comportait une dimension perturbante ou inassimilable à notre réalité. Mais ces dix dernières années, ont fait émerger une ère plus permissive. Des perversions soft sont massivement favorisées par des sites de rencontre et une certaine créativité sexuelle est encouragée par les fabricants de sextoys qui se sont mis à en vendre comme des cafetières programmables.

BM : Les applications de rencontres ont-elles aussi marqué un grand tournant. Pensez-vous que la technologie puisse vraiment nous aider à tomber amoureux ? 

RCL’amour n’est pas nécessairement défiguré par la technologie comme on a pu le dire. Certes, il y a une nouvelle efficience en amour avec le partage de données, un échange de critères, des calculs de compatibilités où chacun cherche à maximiser son bonheur. Les applications de rencontres par la sélection de critères facilitent ou corrigent « l’œuvre de nature » et tentent de rendre concret un sentiment qui, par nature, est irrationnel. Pour autant, il n’y a pas de diminution de la qualité relationnelle en passant par des applis, cela n’empêche pas des styles d’attachement authentiques.
On peut même avancer l’idée que les applications de rencontres apportent un aspect plus flexible et spontané à la rencontre qui avant était figée dans le temps. Avant, ce qui caractérisait les relations amoureuses, c’était le temps long, les imbroglios et les complications amoureuses qui pouvaient attiser la « vive flamme d’amour ». Aujourd’hui, les applications favorisent l’irruption du désir à tout moment et une certaine optimisation de la rencontre.

BM : La société de consommation encourage donc cette « marchandisation » ?

RC En tant que telle, la société de consommation n’a pas spécialement de responsabilité, elle vend. Il se trouve qu’à l’ère du digital, les investissements les plus lucratifs se font dans les business d’intermédiations. Et l’amour est devenu un business d’intermédiation. D’où l’impression d’une marchandisation. Cela dit, la société de consommation repose sur le désir, comme l’amour.

BM : Il y a 10 ans, selon une étude que vous avez-vous-même menée, un Français sur trois avait déjà eu une relation amoureuse sur son lieu de travail. Qu’en est-il aujourd’hui ? 

RC Aujourd’hui, l’amour sur le lieu de travail est beaucoup plus compliqué. D’une part avec le développement du télétravail qui retranche du temps propice à la rencontre amoureuse dans l’entreprise. Et d'autre part, avec le phénomène MeToo et le harcèlement sexuel qui est partout montré du doigt et surtout pénalisé. Donc dans l’absolu, il y a moins de place pour l’amour et le sentiment amoureux dans l’entreprise. On recrée un « interdit », « une frontière » car il convient de fixer certaines limites pour éviter les « aberrations de l’amour », et l’entreprise redevient un anti-lieu du point de vue de l’amour, un lieu anti-romantique.

BM : Au Japon, plusieurs entreprises mettent à disposition de leurs collaborateurs une application pour faciliter les rencontres amoureuses entre salariés. Une bonne idée selon vous ? 

RCA l’époque, il y avait un adage « On ne mélange pas vie privée et vie professionnelle », l’entreprise devait être une zone neutre. Sauf qu’il y a eu une extension de la sphère professionnelle à la sphère privée favorisant la rencontre. La limité, c’est l’entreprise qui joue aux entremetteurs, qui vient mettre un regard ou un encouragement à ça. Une application qui favorise les rencontres amoureuses dans l’entreprise, c’est totalement déplacé.

mélanie
Mélanie Bruxer Rédactrice web