« Scroller tue !  » Les conseils d’un médecin pour préserver la santé des salariés

« Posons nos smartphones 1 heure par jour », c’est ce que propose Yannick Guillodo, médecin du sport au CHU de Brest et cofondateur de l’Université citoyenne de prévention santé. Rencontre avec un lanceur d’alerte qui tente d’enrayer le phénomène de l’usage intensif des écrans, non sans conséquence sur notre santé.

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Yannick Guillodo, médecin du sport au CHU de Brest

Combien d’heures passons-nous chaque jour devant les écrans ? À cette question, de nombreuses personnes sont à même de répondre « entre 8 et 10 heures. »  Car aux ordinateurs sur le lieu de travail s’ajoutent les moments passés devant les écrans de loisir, prenant la plupart du temps la forme d’un téléphone portable. À l’origine de l’opération « Posons nos smartphones », organisée fin novembre 2022 à Brest, Yannick Guillodo, médecin du sport à Brest, nous expose les risques sur la santé découlant de l’addiction aux écrans, notamment en entreprise, et prodigue des conseils pour décrocher en douceur.
 
Big média : Vous avez lancé fin 2022 le défi « posons nos smartphones », pourquoi un tel challenge ? 
Yannick Guillodo : Je m’occupe de prévention, à travers le prisme de la promotion de l’activité physique et de la lutte contre la sédentarité. Je me suis rendu compte, depuis plusieurs années, que les trois piliers de la santé, à savoir plus bouger, mieux manger et bien dormir, étaient attaqués à travers un dénominateur commun : les écrans de loisir. Ces derniers nous « confisquent », en moyenne, 60 % de notre temps libre (étude Hobby-One de Vertigo en 2022, NDLR). Une étude allemande reportait également en 2022 qu’il y avait autant de bénéfices à diminuer sa consommation aux écrans d’une heure par jour qu’à un arrêt total. J’ai donc lancé cette opération à Brest. Des choses ont été faites, à travers des communications incitant les individus à pratiquer une activité physique au moins 30 minutes par jour, mais ces campagnes ne tiennent pas compte, à mon sens, de la faiblesse de l’individu.
 
BM : Qu’en avez-vous tiré comme résultats ? 
YG : Nous avons lancé trois thèses de doctorat en médecine à l’université de Brest : une première afin de cibler une population type, une seconde permettant de mesurer le bénéfice sur le sommeil avec un avant/après réduction du temps passé sur le smartphone et une troisième en rapport avec l’activité physique. Sur une cohorte (ensemble d'individus ayant vécu un même événement au cours d'une même période, NDLR) de 490 patients âgés en moyenne de 40 ans, qui passent 181 minutes par jour sur leur smartphone et qui réduisent à 159 minutes lors de l'opération. Ils sont seulement 126 à avoir réussi le challenge, à savoir réduire d'une heure par jour leur consommation d’écran de téléphone. Mais pour ces derniers, et c'est capital, il existe une corrélation positive entre cette réduction quotidienne du smartphone (60 minutes par jour) et l'augmentation de l'activité physique avec 750 pas quotidiens en plus mesurés. C’est donc une voie à travailler pour lutter contre l'inactivité physique et la sédentarité quotidienne. 

« Le smartphone, c’est 3 heures maximum par jour » 


 
BM : Peut-on comparer la dépendance aux écrans à celle pour l’alcool ou le tabac ? 
YG : On peut parler d’addiction psychique, puisque certains rencontrent des difficultés à réduire leur consommation. Mais on parle davantage d’addiction comportementale, à l’image de celles et ceux souffrant de boulimie ou d’anorexie par exemple. Il faut aider ces personnes à trouver le bon équilibre, pédagogiquement, à l’image de notre défi. 
 
BM : Pensez-vous qu’une campagne de communication nationale soit nécessaire ?  
YG : Oui car nous sommes sur la même problématique qu’avec l’alcool ou le tabac. Des marqueurs sociologiques forts existent au sein de notre société, comme boire une coupe de Champagne à l’occasion de son 18e anniversaire par exemple. Posséder un smartphone au collège en fait désormais partie. Dans le futur, un message du type « le smartphone c’est 3 heures maximum par jour » verra peut-être le jour. L’important est de savoir doser. Je pense que la population a besoin d’avoir une ligne directrice sur ce type de sujets.
 
BM : Et du côté des entreprises ? 
YG : Les entreprises se doivent d’informer leurs salariés. Je crois sincèrement que, dans un futur pas si lointain, celles n’ayant pas alerté sur les risques encourus par une consommation excessive des écrans de loisir, qui auront encouragé massivement le télétravail, auront des comptes à rendre. Nous avons les preuves que c’est mauvais pour la santé, mais nos alertes sont ignorées pour le moment. Pourtant, nombre de petits process, faciles à mettre en place en entreprise, permettraient aux salariés d’être moins sédentaires et donc en meilleure santé. 

« Les ressources humaines doivent s’emparer du sujet de la sédentarité en entreprise » 

 
BM : Dites-nous en plus. Comment faire davantage bouger une personne qui travaille sur ordinateur 8 heures par jour ? 
YG : Se lever dès que l’on téléphone avec son portable, cela doit devenir un réflexe. Il existe deux facteurs de risque : l’inactivité, c’est-à-dire faire moins de 30 minutes d’activité par jour, et la sédentarité qui consiste à passer 7-8 heures sur sa chaise. Le plus grave, c’est la sédentarité. Alors forcément, un salarié travaillant derrière son ordinateur est quelque peu coincé. Mais l’important, c’est de rompre les temps de sédentarité. Toutes les 90 minutes environ, il faut se lever et effectuer quelques pas. J’invite également les salariés à ne pas programmer des réunions qui durent plus de deux heures. Les ressources humaines, en partenariat avec la médecine du travail, doivent s’emparer du sujet, faire de la pédagogie autour de la sédentarité, trouver le bon discours entre écran professionnel et écran de loisir. La pression du numérique est immense dans notre vie de tous les jours, mais l’entreprise doit s’occuper de la santé de ses employés, c’est primordial. Je vous donne un exemple parlant : avant la promulgation de la loi Évin, certaines entreprises avaient pris les devants en interdisant de fumer dans les locaux et en supprimant l’alcool dans les cafétarias le midi. 
 
BM : Sait-on qu’elle est la bonne dose à respecter devant les écrans ? 
YG : Les consciences doivent s’éveiller car nous ne pourrons jamais obliger les gens à respecter scrupuleusement une limitation de temps passé sur un smartphone. En ce qui concerne les écrans de loisir, je conseille de ne pas dépasser les 3 heures par jour. Comme pour tout type d’addictions, l’important est de garder le contrôle. Pour celles et ceux qui ont du mal à se détacher de leur téléphone, il faut tenter de revenir petit à petit à des choses simples ne nécessitant pas l’usage du smartphone, comme lire un journal papier au lieu de consulter une application par exemple. 

« La barrière entre écrans professionnels et de loisir est très poreuse » 


BM : Quels sont vos conseils pour passer moins de temps sur les écrans ? 
YG : Savoir où on en est dans son addiction au smartphone et garder le contrôle. Le sport de haut niveau est précurseur dans beaucoup de domaines, notamment sur l’utilisation du smartphone à table par exemple, qui est interdit au sein des équipes professionnelles. Un manager instaurant la règle de ne pas consulter son téléphone lors des réunions ne me semble pas aberrante. 
  
BM : Le télétravail a-t-il, selon vous, accentué la dépendance aux écrans ? 
YG : Oui, puisque la barrière entre espace professionnel et personnel est devenue poreuse. Nous diminuons notre capacité physique lorsque l’on télétravaille, puisque nous ne bougeons pas de notre domicile. Notre sommeil s’en retrouve également déstructuré lorsque nous travaillons plus tard le soir par exemple. La phase métro-boulot-dodo est bénéfique. Le corps humain a besoin de routine, de phases à respecter pour bien fonctionner. Nous n’avons que 2 ans et demi de recul, mais les premiers éléments de nos études d’observation face à l’explosion du télétravail est catastrophique pour la santé. Toujours par rapport aux trois piliers : plus bouger, mieux manger et bien dormir. Il a été démontré que plus nous avons de temps libre, le télétravail pouvant induire du temps de transport en moins, et plus nous le passons sur les écrans de loisir (étude Hobby-One de Vertigo en 2022, NDLR).

Simon NAPIERALA
Simon Napierala Redacteur web