La Naturetech, nouvel eldorado des investisseurs ?

Les technologies au service de la préservation de la biodiversité ont le vent en poupe auprès des investisseurs. Comment ? Pourquoi ? Éléments de réponse avec Xavier Lorphelin, directeur associé au sein du fonds de capital-risque Serena.

La Naturetech, nouvel eldorado des investisseurs ?

Les startups de la Naturetech ont levé pas moins de 7 milliards de dollars ces cinq dernières années. Un chiffre qui émane d’un rapport présenté par Nature4Climate à l’occasion du salon Bloom 23, organisé fin octobre à San José (Californie). Si le secteur est tout neuf, il pèse de plus en plus sur l’échiquier de la Climatetech. Directeur associé chez Serena, fonds de capital-risque ayant rédigé la partie investissement du rapport Nature4Climate, Xavier Lorphelin a répondu à nos questions.  
  
Big média : Comment peut-on définir la Naturetech ?  
Xavier Lorphelin : La Naturetech est constituée par toutes les technologies développées au service de la nature où basées sur celle-ci. On parle alors de “nature based solutions”, qui vont permettre sa préservation ou sa restauration. La Naturetech va inciter au déploiement à grande échelle de ce type de projets.  

« La moitié du PIB mondial dépend en grande partie de la nature »

 
BM : Pourquoi ce secteur se détache-t-il aujourd’hui de la Climatetech ?  
XL : Le champ d’action de la Naturetech est plus important que celui de la Climatetech, essentiellement centrée sur des problématiques de décarbonation. La Naturetech englobe des problématiques plus larges à l’image de la qualité de l’eau, des sols et de la préservation des océans. Des études récentes démontrent par ailleurs que la moitié du PIB mondial dépend en grande partie de la nature.  
  
BM : Vous pouvez nous donner quelques chiffres clés d’investissement dans la Naturetech ?  
XL : Ce secteur n’est pas mature, car le sujet de la biodiversité a été mis sur la table il y a seulement quelques années. Les experts se sont rendu compte, notamment depuis la COP15, que si l’on réussissait la transition climatique sans résoudre le problème de la perte de la biodiversité, ce serait un échec. Forcément, le sujet du développement des technologies liées à cette biodiversité est tout récent. En termes d’investissement, cela reste encore faible en comparaison au financement de la Climatetech. Entre 2018 et 2022, 7 milliards de dollars ont été investis mondialement dans la Naturetech. Par comparaison, la Climatetech attire entre 40 et 50 milliards d’investissements annuels. La différence, c’est qu’il y a 10 ans, les investissements dans la Climatetech s’élevaient à seulement 500 millions de dollars. Pour atteindre les objectifs de préservation de la biodiversité, les comportements doivent évoluer évidemment. Mais nous devons également être capable de mesurer ce que l’on fait. C’est pour cela que les technologies autour de la biodiversité se développent, pour pouvoir mesurer les impacts. Les investissements vont donc s’accélérer car l’enjeu est très important aussi bien au niveau planétaire que business.  

« Pour devenir 'nature positive', il va falloir transitionner l’ensemble de nos systèmes agricoles et alimentaires »


BM : Quel a été le premier secteur de la Naturetech à attirer des investisseurs ?
XL : Sans conteste l’agriculture. Pour devenir « nature positive », il convient de transitionner l’ensemble de nos systèmes agricoles et alimentaires qui aujourd’hui dégradent les sols, émettent du CO2 et sont la cause de déforestation. Une étude récente des Nations Unies a estimé les coûts cachés de notre système agricole actuel : ils s’élèvent à 10 000 milliards de dollars, en intégrant par exemple des facteurs comme l’obésité. Alors que le chiffre d’affaires généré par le système alimentaire dans sa globalité est estimé à 4 000 milliards de dollars. Il y a donc un problème à régler à ce niveau.   
  
BM : Qu’en est-il aujourd’hui ?  
XL : Un des secteurs qui voit ses investissements s’accroître fortement est le MRV (Mesuring, Reporting and Verification), un dispositif de suivi et de capitalisation des actions d’adaptation et d’atténuation. Il permet d’apprécier les efforts de chaque pays en matière d’émission et de réduction des émissions des gaz à effet de serre. Les technologies se développent massivement dans ce secteur. Elles vont permettre de mesurer, en temps réel, ce qui se passe au sein d’un écosystème, par exemple en utilisant des technologies d’acoustique (pour recenser des populations d’oiseaux ou de mammifères) ou de prélèvement d’ADN dans les rivières. L’objectif est de pouvoir dire : nous prenons soin de cette zone et, en la protégeant, nous constatons que la biodiversité s’améliore. Les montants alloués à la préservation de cette dernière sont essentiellement publics à l’heure actuelle car le retour sur investissement (ROI) est compliqué à calculer. Le privé suivra quand les technologies de mesure seront en place.  
  
BM : Quelles sont les startups les plus prometteuses associées à la Naturetech ?   
XL : Les Anglais de Nature Metrics sont en train de devenir les leaders au niveau mondial dans le prélèvement de l’ADN au sein des milieux naturels. Néanmoins, de nombreuses technologies sont seulement en train d’émerger, rien n’est figé dans la Naturetech. Dans l’agriculture régénérative, on dénombre plusieurs startups françaises et européennes. Sur le sujet de la captation du carbone dans le sol et de la transition agroécologique, Fermes en Vies aide les agriculteurs à s’installer pour développer des pratiques durables. Au sein du MRV, de nombreuses startups françaises émergent également, à l’image de Kanop et de CarbonFarm. Enfin, GreenPraxis travaille notamment avec les grandes entreprises hexagonales du BTP et du transport afin de lancer des plans de revégétalisation intégrant la biodiversité.  

« Capitaliser sur ce qu’il s’est passé avec les crédits carbone »


BM : Quels sont les principaux risques liés à l’investissement dans la Naturetech en 2023 ?  
XL : C’est un marché très jeune et de nombreuses technologies du secteur doivent être déployées sur le terrain. Nous pouvons prendre l’exemple de drones qui vont aller planter des graines dans des zones inaccessibles pour l’Homme. Beaucoup de ces projets de restauration ou de protection de la nature sont mis en place dans des pays dont les réglementations sont totalement différentes des nôtres. Cela freine les investissements. L’enjeu pour les startups du secteur de la biodiversité va donc être de travailler avec ces opérateurs locaux installés à l’autre bout du monde. Le greenwashing est également dans les radars. L’intérêt du secteur MRV va être de générer, à terme, des crédits biodiversité. De nombreuses institutions, françaises notamment, travaillent sur le sujet. Elles veulent capitaliser sur ce qu’il s’est passé avec les crédits carbone pour s’assurer de la qualité et de l’intégrité des futurs crédits biodiversité.
  
BM : Comment voyez-vous l’évolution du secteur dans les années à venir ?  
XL : Ce secteur va se développer très fortement dans les prochains mois. D’une part car dans le cadre de la transition climatique, nous avons intérêt à investir massivement dans la nature. Les solutions basées sur la nature sont la meilleure option pour capter le CO2 par exemple. D’autre part, une approche systémique est nécessaire. Les industries vont devoir jongler avec deux composantes : la décarbonation, mais aussi l’impact sur la nature de leurs activités. Les entreprises qui n’intégreront pas cette vision systémique risquent de perdre leur business au profit de nouveaux acteurs.

Simon NAPIERALA
Simon Napierala Redacteur web