Éolien en mer : et si la solution passait par le flottant ?

Énergie renouvelable la plus puissante, l’éolien en mer a pris un certain retard de développement en France, en raison notamment des recours portés en justice par les opposants aux différents projets. Solution émergente et alternative, l’éolien flottant peut-il permettre d’inverser la tendance et aider notre pays à atteindre ses objectifs de neutralité carbone en 2050 ? On fait le point.

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Éolien en mer, et si la solution passait par le flottant ?
Nouvelle technologie d'éolien flottant développée par Eolink

Dotée de 3 500 km de côtes, la France métropolitaine bénéficie de conditions géographiques très favorables au développement de l’éolien en mer. Mais à ce jour, seul un parc d’éoliennes de ce type est en service, au large de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). Ses 80 turbines délivrent environ 500 mégawatts par an depuis son implantation en 2022. Par comparaison, le Royaume-Uni et l’Allemagne, champions d’Europe de la discipline, atteignent respectivement des puissances de 14 000 et de 8 000 mégawatts grâce à l’installation d’éoliennes offshores. L’objectif du gouvernement, de disposer de 50 parcs afin de produire 45 000 mégawatts en France d’ici à 2050, est-il atteignable ? Avantages économiques, potentiel énergétique et installation loin des côtes, l’éolien flottant apparaît aujourd’hui comme la solution aux maux français. Décryptage.

L'éolien flottant, une technologie d’avenir

L'éolien flottant en mer est une technologie qui permet d'installer des éoliennes en eau profonde, dans des endroits où il est impossible de mettre en place des fondations fixes. Contrairement à l’offshore traditionnel, qui repose sur des structures fixées au fond de la mer, les éoliennes flottantes sont soutenues par des flotteurs placés à la surface de l'eau. Semi-submersibles, à colonne unique ou encore à tension, ces trois technologies de flottaison pour éoliennes permettent de maintenir la stabilité de la structure malgré des conditions climatiques parfois compliquées au large. « Le flottant est appelé à jouer un rôle important dans le mix énergétique français et nous sommes convaincus qu’il représente l’avenir de l’éolien en mer », abonde Alain Morry, directeur commercial d’Eolink, spécialiste français du secteur.

L'une des principales caractéristiques de cette solution est sa capacité à être déployé dans des eaux profondes, au-delà de 60 mètres, là justement où les fondations fixes ne sont pas économiquement viables. Ce type de structure est donc à même de réduire les coûts d'installation et de maintenance par rapport aux éoliennes fixes en mer. Il a aussi le potentiel de fournir une quantité significative d'énergie renouvelable : les vents en haute mer sont plus forts et davantage constants que sur terre, ce qui augmente significativement le rendement de ce type d’éoliennes. « La France dispose de nombreux atouts, grâce à son positionnement sur la façade Atlantique et en Mer Méditerranée, ses nombreux ports et des nombreux savoir-faire industriels applicables à cette filière naissante, tels que les chantiers navals », explique Alain Morry. « Le potentiel total de l’éolien flottant dans l’Hexagone se situe autour de 33 GW selon l’ADEME », ajoute Éric Scotto, président et co-fondateur d’Akuo. « C'est considérable, puisque cela représente l’équivalent de la consommation résidentielle annuelle (2022) de 50 millions de Français. » Enfin, dernier avantage : son démantèlement complet en fin de vie est réalisé sans aucune présence de résidu sur le site. « Sur le cycle de vie, y compris la construction et le démantèlement, l’éolien en mer émet moins de 15 grammes de CO2 par kWh, contre 490 g pour le gaz ou 820g pour le charbon, d’après un rapport du GIEC. Elles sont recyclables à 85 % car majoritairement constituées d’acier, en ce qui concerne en tout cas la technologie Eolink », indique Alain Morry. 

Atteindre la maturité de l’éolien flottant

Technologiquement, l’éolien flottant est actuellement en train d’effectuer une bascule vers la maturité commerciale. « Il permet de s’ouvrir à de nouvelles façades maritimes qu’il faut appréhender d’un point de vue technique, environnemental et social », complète Éric Scotto. La technologie a en effet démontré sa robustesse et sa faisabilité, puisque des projets pilotes ont été déployés en Méditerranée et au large de la Loire Atlantique. « Le consortium Eolymar, que nous formons avec BlueFloat Energy et Sumitomo Corporation, nous permet de nous positionner sur le sixième appel d'offre éolien en mer français, qui sera le premier en Méditerranée. Cette façade maritime présente un potentiel particulièrement important pour le développement du flottant. »   
  
Néanmoins, de nombreux défis restent à relever en France pour un déploiement de cette technologie à grande échelle, et rattraper un pays comme l’Ecosse par exemple. Son premier parc éolien flottant, Hywind Scotland, en service depuis 2018, fonctionne 54 % du temps en moyenne, contre 38 % pour les parcs éoliens classiques. « Une nouvelle filière industrielle pour la fabrication et l’installation des flotteurs, en acier ou en béton, doit être créée », confirme le président d’Akuo. « Les infrastructures portuaires doivent s’adapter et l’accent doit être mis sur la formation pour subvenir aux importants besoins en main d’œuvre qualifiée. » Des défis qui sont autant d’opportunités pour la France qui a eu la bonne idée d’être l’un des premiers pays à investir sur cette technologie. « Le secteur doit encore surmonter de nombreux obstacles bien identifiés pour pouvoir passer de projets de « petite » taille (quelques turbines totalisant moins de 100 MW) à des projets de plusieurs centaines de MW, voire GW, comme on le voit dans l’éolien posé », ajoute Alain Morry, directeur commercial d’Eolink. « Parmi ces obstacles, on peut citer la montée en puissance des compétences propres au secteur, les moyens logistiques, le développement d’infrastructures portuaires adaptées à l’assemblage et à la mise à l’eau de lourdes structures de grande taille. »  

Produire de l’énergie en protégeant la biodiversité, sans dénaturer les paysages

Atlantique, Mer du Nord, Manche et Méditerranée. L’ensemble des façades maritimes de l’Hexagone sont concernées par l’installation, dans un futur proche, de parcs éoliens au large de nos côtes. Saint-Nazaire sera donc bientôt rejoint par Saint-Brieuc, Fécamp, Noirmoutier, Dieppe ou encore Marseille. Objectif : produire autant d’énergie que 250 réacteurs nucléaires.   
  
Les premières générations de parcs éoliens en mer français ont pris un retard conséquent sur la programmation initialement prévue. Attribués en 2011, ils arrivent seulement aujourd’hui en fin de construction. « Outre les aspects techniques qui ont rendu la réalisation de ces projets plus complexe, leur cheminement a nécessité un délai d’adaptation de la part des autorités administratives. Tout ceci dans le but d’obtenir les autorisations nécessaires, et judiciaires avec de nombreux recours et oppositions locales », explique le co-fondateur d'Akuo. En première ligne, les pécheurs et les associations de défense de l'environnement. Le forage des sols affecterait la biodiversité marine et les pâles sont parfois responsables de la mort des oiseaux (à ce propos, la cour d’appel de Nîmes a d’ailleurs récemment ordonné la destruction d’un champ d’éoliennes dans l’Hérault). Sans parler des paysages dénaturés par des dizaines d’éoliennes hautes de plusieurs centaines de mètres (208 mètres exactement pour le parc éolien de Saint-Brieuc), même si les communes sont indemnisées à ce titre.  
  
L’installation plus loin en mer de l’éolien, grâce au flottant, permettrait-il de régler ces trois problèmes ? « L’éolien flottant, c’est une source d’énergie respectueuse de son environnement et des parties prenantes », confirme Alain Morry. « Adapté à de plus grandes profondeurs, offrant des options d’installation plus nombreuses, il permet de s’éloigner des côtes et ainsi de limiter certains conflits d’usages, tout en diminuant l’impact visuel. » « Eolymar discute activement avec les syndicats de pêcheurs concernés par les fermes projetées en Méditerranée, afin de s’assurer d’une bonne cohabitation des usages », complète Éric Scotto. « Les éoliennes flottantes permettent en outre une bonne conciliation avec la biodiversité. »  
  
Si un débat public a été lancé en novembre 2023 afin de trouver des compromis, éviter les recours et accélérer la cadence, l’éolien flottant apparaît désormais en France comme la solution pour produire plus d’électricité, de façon régulière, au prix le plus bas et sans dénaturer les côtes. « Nous devons sortir des énergies fossiles, c’est le combat du siècle », déclarait Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique, en octobre dernier dans un Envoyé Spécial intitulé « Éolien marin : la ruée vers le vent. » L’indépendance énergétique est à ce prix, la paix sociale également. 

Simon NAPIERALA
Simon Napierala Redacteur web