Protéines d’insectes : et si vos animaux s’y mettaient ?

Nourriture d’aujourd’hui et de demain pour de nombreux humains, les denrées à base d’insectes s’invitent désormais dans les gamelles de nos animaux de compagnie. Rencontre avec Tomojo, une entreprise pionnière dans le secteur. 

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tomojo

Jusqu’alors, vous ne voyiez pas d’un très bon œil que votre Félix adoré chasse et dévore mouches et araignées… mais si en fait, c’était lui le précurseur de la maison ? 
Depuis plusieurs années, des entreprises pionnières telles que Ynsect ou Jimini’s commercialisent des insectes consommables sous diverses formes : grillés pour l'apéritif, prêts à cuisiner, ou encore en poudre dans des barres protéinées, biscuits et farines. Bien que restant, à l'heure actuelle, un marché de niche en Europe, l'entomophagie s'y développe de plus en plus et pourrait dépasser, d’ici 2023, les 260 millions de dollars selon des prévisions réalisées par Meticulous Research. Si cette tendance de fond se développe de façon exponentielle chez les humains, pourquoi ne pourrait-elle pas également se retrouver dans l’alimentation de nos compagnons à quatre pattes ? 

De Mojo à Tomojo

Cette question a traversé l’esprit de Madeleine Morley alors qu’elle observait Mojo, son ridgeback rhodésien de près de 50 kilos, dégustant goulument son morceau de viande premium. « J’ai toujours été consciente de ma consommation de viande et de l’impact écologique que ça avait », se rappelle la jeune femme. « Je pense que c’est notamment dû au fait que j’ai vécu en Angleterre durant la crise de la vache folle. A l’époque, nous avons dû limiter drastiquement notre consommation et c’est un mode de vie que j’ai conservé à l’âge adulte. Mais paradoxalement, ma famille et moi n’avions jusque-là jamais eu de problème éthique avec le fait de nourrir notre chien de cette façon. Je pense que c’est en parti dû au fait qu’on nous avait dit que c’était bon pour sa santé ». 
Madeleine baigne alors dans le secteur environnemental depuis quelques années. A son actif, un master en développement durable obtenu à Londres et des expériences professionnelles au sein de la banque du développement social pour l'Europe et de l’entreprise Natural Capital Partners, qui propose des solutions concrètes aux groupes souhaitant diminuer leur impact carbone. « Six mois après mon entrée dans la vie active, je suis tombée sur un article traitant des bienfaits des protéines d’insectes. Ça a tout de suite fait écho au problème qu’on rencontrait avec Mojo ! »  

La jeune femme se rapproche alors de son amie d’enfance, Paola Teulières, avec qui elle partage depuis longtemps déjà bon nombre de convictions environnementales. Ensemble, elles potassent, se documentent et lancent des sondages pour en savoir plus sur les protéines d’insectes dédiées à la consommation animale. « C’est une source de protéine incroyable qui n’a malheureusement pas encore totalement trouvé son public en Europe - notamment pour des raisons culturelles - mais qui pourrait bien faire mouche chez les animaux qui, à la différence des humains, n’auront rien contre ! » note Madeleine Morley. 
En faisant des recherches les jeunes femmes se rendent compte qu’aucune entreprise française ne s’est positionnée sur le sujet. Certes, il y en avait quelques-unes aux Pays-Bas, mais c’était tout. Madeleine et Paola sautent sur l’occasion. Le timing est alors parfait ! Depuis le 1er juillet 2017, la législation européenne autorise les protéines animales transformées à base d’insectes dans le secteur de l’aquaculture et pour les animaux familiers, à condition d’être issues de sept espèces approuvées parmi lesquelles on retrouve deux types de mouches et de ténébrions, ainsi que trois espèces de grillons. Dans le même temps, Madeleine et Paola rejoignent IPIFF (International Platform of Insects for Food and Feed), le lobby des acteurs de l’insecte. De fil en aiguille, les jeunes femmes font la connaissance d’un vétérinaire capable de formuler des recettes de croquettes à base de cette protéine pas comme les autres. « Il a tout de suite compris l’intérêt nutritionnel et environnemental des insectes dans la nourriture pour animaux » ajoute Madeleine Morley.

Des croquettes qui font mouche !

En réduisant l’utilisation de viandes issues de l’agriculture traditionnelle au profit de l’entomoculture, ces croquettes ont bien sûr un impact environnemental, mais également un intérêt nutritionnel. « On l’oublie souvent mais les insectes sont une protéine animale comme une autre » rappelle l’entrepreneure. Selon le site Next Food, la consommation d’insectes procurerait 9 fois plus de protéine  que la viande de bœuf. A lui seul, un criquet représente 72 % de protéine, contre 52 % pour le bœuf. 
L’entreprise Tomojo – un petit clin d’œil au charmant Mojo, qui a depuis perdu quelques kilos - sort rapidement une première ligne de croquettes pour chien. Un produit que les jeunes co-fondatrices ont souhaité rendre entièrement traçable, « chose qu’un très grand nombre de petfood ont encore du mal à garantir » selon Madeleine Morley. « Aujourd’hui, il est difficile de savoir d’où proviennent certaines viandes ou même sous-produits de viandes, car ça varie souvent en fonction de son coût ». Les insectes utilisés dans les produits Tomojo sont tous élevés en France et aux Pays-Bas, dans des fermes certifiées. Au menu : des mouches soldat noirs et des tenebrio molitor. Des petites bêtes qui ont la particularité de ne pas pouvoir transmettre de maladies et qui sont utilisées à l’état de larve afin de bénéficier d’une haute teneur en protéine et lipide. 
Le succès pour les produits Tomojo est immédiat. Madeleine et Paola décident alors de développer une nouvelle gamme dédiée aux chats, une véritable innovation mondiale ! « La différence entre les produits pour chiens et les produits pour chats réside dans les constituants analytiques. Un chat va avoir besoin de plus de protéines car c’est un carnivore strict, à la différence du chien. Ensuite, il va y avoir l’ajout de taurine qui n’existe pas dans la protéine d’insecte mais qui est un élément essentiel dans l’alimentation des chats ». 
 
Actuellement disponible en France, en Pologne, en Corée du Sud et en Suisse, les différentes gammes de croquettes et friandises aux insectes Tomojo arriveront au Moyen-Orient (UAE) et en Afrique du Sud, d’ici le premier trimestre 2022. « L’Australie et la Nouvelle-Zélande font également partie des perspectives de développement au printemps 2022 » note la co-fondatrice. « La particularité du marché sud-coréen est que ce sont eux qui sont venus nous chercher. C’est d’ailleurs devenu notre premier marché à l’international. C’est un pays extrêmement friand de ce type de produits et plus largement d’innovation. Ils n’ont pas la barrière sociologique de la consommation d’insectes, et notre branding leur parle beaucoup ». La Chine représente également un marché important à conquérir pour la jeune entreprise. Selon Frost & Sullivan, en 2018, plus de 100 millions de familles, soit 22 % du total des ménages chinois, possédaient un animal de compagnie. Bien qu’inférieur aux États-Unis où 67 % des familles sont propriétaires d’animaux, le marché est colossal et promet une belle croissance, notamment dans le secteur des « petfood », boosté par l’innovation, le bien-être animal et la prise de conscience écologique. « Tout comme ils le font vis-à-vis de leur propre alimentation, les propriétaires d’animaux sont plus regardants sur la provenance des produits, leur composition ou encore les procédés de fabrication de l’alimentation de leurs animaux ».
En 2021, il s’écoule plus de 300 tonnes de croquettes. Pour ce faire, les jeunes femmes ont tout misé sur la distribution multicanale. D’abord disponible en ligne sur leur site internet, les produits de Tomojo ont rapidement pris place sur les étagères des jardineries, animaleries et grandes surfaces alimentaires telles que Carrefour. « L’idée pour nous est d’être le plus accessible possible, que ce soit par le prix ou le point de vente. Nous voulons être là où tout un chacun s’approvisionne au quotidien ». Avec l’assurance que l’Asie sera l’un des marchés, voire LE marché, le plus important pour l’entreprise, les deux co-fondatrices aimeraient, à terme, recréer tout un système de sourcing et de production locale, sur le même principe que son modèle français. 

 

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Mélanie Bruxer Rédactrice web