« Mon rôle en tant que patronne d’une maison d’édition, c’est d’être le chef d’orchestre de cette chaîne du livre », Véronique Cardi

Sur la scène Plein Cadre, lors de We are French Touch 2023, le rendez-vous des industries culturelles et créatives françaises organisé par Bpifrance, Véronique Cardi, Editrice et Directrice générale des Editions Jean-Claude Lattès, est revenue sur les enjeux que comportent son métier, ainsi que celui du domaine de la littérature.

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Véronique Cardi, Editrice et Directrice Générale Editions JC Lattès
@We Are French Touch

« Proust, Britney et moi (Véronique Cardi) », voilà un slogan qui en intriguerait plus d’un, et pour cause, le lien entre eux n’est pas évident. C’est pourtant celui avec lequel la Directrice générale et éditrice des Editions Jean-Claude Lattès, Véronique Cardi, est venue parler de son métier, comme une façon de montrer la diversité de ce dernier, tant en termes de périmètres que de fonctions. 

 

Éditeur, « une mission d’utilité publique » pour Véronique Cardi 

 

En tant que Directrice Générale des Editions Jean-Claude Lattès et éditrice, Véronique Cardi affirme se sentir investie d’une « mission d’utilité publique ». En effet, selon elle, la lecture étant une des premières expériences d’empathie, « lire ensemble permettrait de vivre ensemble ». 

Éditer, d’Escales en escales 

Au départ, elle l’admet : « j’ignorai totalement qu’éditer était un métier ». Seulement, voilà, sa passion pour les livres, qu’elle qualifie de « sport familial », représentait depuis toujours une occupation rêvée. Dès lors, pour celle chez qui « les bibliothèques étaient les œuvres d’art de la maison », exercer un métier dans le domaine de la littérature est apparu très vite comme une évidence.  

Naturellement, « il y a plus de dix ans maintenant », elle crée sa propre maison d’édition : Les escales, « avec pour ambition que chaque titre soit une escale dans ce voyage en littérature que permet le livre ». Pour l’éditrice, la littérature est un « refuge », « une évasion par l’excellence », elle rend possible un « voyage immobile » dont elle compte bien faire profiter ses futurs lecteurs.  

Leur donner les moyens de parcourir le monde, de traverser les époques et le temps grâce aux livres, faire découvrir la plume d’auteurs au talent confirmé aussi bien que celle de primo-romanciers, voilà la nouvelle mission, et pas des moindres, de l’éditrice.  

Et très vite, le succès est au rendez-vous. En 2012, le roman de l’Anglaise Victoria Hislop « L’île des oubliés », publié aux Editions Escales, se vend à plus d’un million d’exemplaires en France. Le livre, qui raconte l’histoire d’une colonie de lépreux, devient en un rien de temps un best-seller, puis est adapté en version poche, qui elle-même obtient le prix des lecteurs du livre de poche. La renommée de la maison d’édition est assurée. Peu de temps après, Arnaud Nourry, le directeur d’Hachette Livres de l’époque, s’y intéresse et décide de confier à Véronique Cardi les clés de la maison Livre de poche. 

Éditeur, un rôle de chef d’orchestre 

« Mon rôle, en tant que patronne d’une maison d’édition, c’est d’être le chef d’orchestre de cette chaîne du livre, qui mène du manuscrit d’un auteur à la table de chevet d’un lecteur, en diffusant de l’enthousiasme à chaque étape, dans la maison d’édition, auprès des équipes de diffusion, chez l’imprimeur, dans les centres de distribution, jusque dans les points de vente finaux ». Un métier qui demande donc une certaine agilité, puisqu’il faut non seulement savoir s’adapter à son interlocuteur, mais aussi savoir jongler entre « Proust et Britney Spears ». En effet, comme le précise Véronique Cardi, « la magie et le vertige de notre métier, c’est qu’on ne connaît jamais la destinée d’un livre ». Il faut donc savoir publier des grands classiques de la littérature, tout comme « des best-sellers », à l’instar des « mémoires de Britney Spears ». Dès lors, « quand on publie des personnalités comme cette pop star, une des plus célèbres de tous les temps, on sait qu’on peut compter sur un matelas de ventes minimum », « ce qui permet de prendre des paris sur des premiers romans qui seront peut-être ceux des Proust de demain. » 

Ainsi, les enjeux sont autant liés à l’exercice du métier qu’au secteur. 

Les enjeux du monde l’édition 

 

Lutter contre la concurrence  

« L’industrie du livre n’a cessé de prouver sa résilience, alors même qu’elle est concurrencée de toute part par les écrans, les séries télé, les podcasts, les jeux vidéo... » Il est vrai que, face à une offre de plus en plus large d’éléments de distraction et à un temps, hélas, incompressible, le livre peine à trouver sa place sur une table de chevet. Et c’est en majeure partie auprès d’un public jeune qu’il faut faire preuve de créativité, pour les accompagner vers la lecture. 

Conquérir un public jeune 

L’enjeu est de taille, car il s’agit de « montrer aux jeunes lecteurs que « reading is sexy » », selon Véronique Cardi. C’est pourquoi, la directrice des Editions Lattes pense qu’il est nécessaire de leur « proposer des expériences autour de la lecture ». Par exemple, le « book truck » répond à cet objectif. Inventé par les Editions de poche, ce « camion qui livre » des livres, fait la tournée des plages tout l’été, afin de promouvoir l’objet. De la même façon, « la tournée de lectures musicales d’Olivia Ruiz » organisée par les Editions Jean-Claude Lattès, propose une approche différente de la littérature. Et enfin, autre idée créative, la soirée de lancement du livre de Britney Spears au Bam Karaoké, organisée par la même maison. 

Préserver des œuvres singulières face à l’avènement de l’intelligence artificielle  

Comme le souligne Véronique Cardi, on ne pourra pas éviter les répercussions de l’intelligence artificielle sur la littérature. « Bien sûr, on reçoit déjà des manuscrits écrits avec ChatGPT, bien sûr il est pour l’instant impossible de distinguer un mauvais manuscrit humain d’un bon manuscrit écrit avec ChatGPT » affirme-t-elle, avant de préciser « mais je crois que l’intelligence artificielle va nous obliger à l’excellence, et que ne subsisteront que les œuvres d’une singularité radicale qui ne pourront être imitées par un robot ». De quoi rassurer, d’autant que, selon elle, il est primordial de rappeler que « le lecteur veut partager une communion avec un auteur humain. » Car, oui, c’est avant tout cela, la littérature : une aventure humaine. 

Amélie Fonlupt
Amélie Fonlupt Rédactrice Web