Innovation, goût et qualité : les ingrédients du succès des start-ups françaises qui ont parié sur les boissons sans alcool

Alors que s’achève le Dry January, le marché des boissons No Low (no alcohol et low alcohol), lui, continue de croître de manière exponentielle chaque année. Derrière cet essor se cachent des entrepreneurs qui ont su trouver la recette pour concocter vins, bières et spiritueux sans alcool, à même de satisfaire les consommateurs qui recherchent une alternative au soda pour l’apéritif.

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Boissons sans alcool

« Quand je me suis lancée dans le sans alcool, on m'a dit que c’était aberrant de faire ça dans un pays comme la France. Autant commencer par l’Everest ! », se remémore Valérie de Sutter, qui a fondé en 2020 la marque de spiritueux sans alcool JNPR (de l’anglais juniper, la baie de genièvre, l’ingrédient principal du gin) en Normandie. C’est le point commun des entrepreneurs qui se sont lancés dans ce secteur alors balbutiant il y a à peine quelques années : beaucoup d’incrédulité et d’étonnement face à leur choix de produire de telles boissons, très peu répandues dans l’Hexagone. Pourtant, le succès est aujourd’hui au rendez-vous pour ces entreprises précurseures, alors que la demande ne cesse de croître. « Notre chiffre d’affaires a connu une augmentation de 300% en 2023 et en ce Dry January, certains de nos produits étaient en rupture de stock dès la deuxième semaine de janvier », affirme la fondatrice de JNPR.

Les chiffres le montrent, la consommation de boissons alcoolisées est à la baisse en France (116 litres de vin consommés par personne par an en moyenne dans les années 60 contre 60 litres en 2018 selon l’INSEE) tandis que le marché des alternatives sans alcool continue de progresser (+12% de chiffres d’affaires en 2022). « On observe qu'au-delà des personnes qui ne boivent pas d’alcool du tout, il y a une vraie envie de modération parmi les consommateurs qui s’est amplifiée ces dernières années. On peut parler de “flexi-drinkers” », note Hortense Brière, directrice Business Development de B&S Tech, expert en développement de boissons légères et sans alcool.

Au-delà de ce contexte propice, l’essor des start-ups spécialisées dans le sans alcool s’explique surtout par leur audace et leur choix d’innover pour proposer de nouvelles alternatives qualitatives et goûtues, ayant tout à fait leur place dans les moments festifs et conviviaux. Et ainsi satisfaire les consommateurs frustrés d’être réduits à prendre un jus de fruit ou un soda à l’apéritif.

Des outils et procédés innovants au service du goût

Il existe actuellement deux approches différentes pour développer des alternatives sobres : partir d’une base sans alcool ou utiliser un procédé de désalcoolisation sur le produit fini, telles que l’évaporation sous vide ou l’osmose inverse. Un process qui implique de retravailler le breuvage par la suite. « L’enjeu est d’être le plus proche possible du produit de départ et de ne pas ajouter trop d’ingrédients qui risqueraient de le dénaturer. Il faut éviter de partir dans le sucré et privilégier plutôt des arômes naturels », détaille Hortense Brière. 

B&S Tech accompagne vignerons, brasseurs et producteurs de spiritueux qui souhaitent élaborer une gamme sans alcool, de la mise au point de la recette à l’industrialisation, mais aussi des entreprises spécialisées dans les boissons No Low telle que Moderato. L’entreprise créée en 2019 collabore avec des œnologues et aromaticiens pour développer de nouveaux outils et arômes aidant à perfectionner les recettes, tel que Boisé Absolu, un extrait 100% naturel de chêne, réalisé en partenariat avec Vivelys, expert en solutions œnologiques. « La partie R&D est très importante, notamment pour le vin rouge qui est la boisson la plus délicate à retravailler. Mais l’avantage du procédé de désalcoolisation, c’est qu’il permet de conserver les notes particulières apportées par la fermentation et le terroir d'origine du vin », ajoute la directrice Business Development.

Le Petit Béret a quant à elle fait le choix de proposer des boissons sans aucune fermentation alcoolique dès son lancement en 2012. Pour cela, la start-up a investi dans la création d’un nouveau procédé technologique innovant, en partenariat avec l’Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement (INRAE) et le Centre Technique de la Conservation des Produits Agricoles (CTCPA). Un travail de longue haleine qui aura nécessité huit ans de R&D, précise Fathi Benni, qui a co-fondé l’entreprise avec Dominique Laporte, meilleur sommelier de France. Le résultat : « une technique brevetée unique au monde, qui permet de garantir 0% d’alcool et une très faible teneur en sucre et calories, sans aucun additif chimique », affirme le PDG du Petit Béret, qui a ouvert le premier château au monde entièrement dédié au sans alcool, au cœur de l’AOP Saint-Chinian dans le Languedoc. 

Partir de zéro jusqu’à produire à grande échelle

Se lancer dans un tel secteur émergent comporte son lot de défis pour les entrepreneurs, qui marchent parfois en terrain inconnu ou se heurtent à des difficultés lorsqu’il s’agit de voir plus grand. « Tout prend beaucoup de temps car nous ne bénéficions pas d’une expertise passée, note Valérie de Sutter. Pour la gamme JNPR, nous devons mener de nombreux tests pour chaque nouvelle épice, en partenariat avec une distillerie en Corrèze pour qui c’est tout nouveau également même s'ils ont une grande expertise dans la distillation. »

Pour Fathi Benni, concernant le Petit Béret, qui emploie aujourd’hui une vingtaine de salariés et bénéficie d’une présence dans 51 pays, l’un des défis principaux est le changement d’échelle, c’est-à-dire passer de la start-up « concept » à un vrai modèle industriel. « Pour une entreprise de notre taille, il est difficile d’investir dans des nouvelles infrastructures, bâtiments, machines, etc. pourtant nécessaires pour rester compétitif », regrette le cofondateur de la marque, qui appelle à plus d’accompagnement sur cet aspect de financement. 

Conserver cette compétitivité passe également pour les entreprises par la garantie d’un prix accessible du produit fini pour les consommateurs. « Contrairement à ce à quoi on pourrait s’attendre, le sans alcool n’est pas forcément moins cher. C’est donc là tout l’enjeu pour les producteurs de proposer une boisson de qualité, qui justifie son coût, pour que le consommateur soit satisfait et ne sente pas lésé », précise Hortense Brière.

De belles perspectives de croissance

Malgré ces contraintes, le marché des boissons sans alcool a de beaux jours devant lui, comme le prouve le nombre croissant de nouveaux arrivants dans la filière, mais également de cavistes et distributeurs spécialisés dans ces breuvages. « En 2012, Le Petit Béret était seul sur le marché. Aujourd’hui, il y a plus de 200 acteurs ! C’est une certaine fierté de voir que nous avons été précurseurs et que nous avons pu faire la différence en étant novateur », se réjouit Fathi Benni.

La filière naissante s’organise : en septembre 2023, B&S Tech a lancé le collectif du vin NO/LOW avec Moderato et regroupe déjà une vingtaine d’acteurs de la chaîne. « Il y a un vrai tournant qui s’est opéré ces dernières années et nous sommes aujourd’hui très optimistes sur le développement de ce marché, dont les projections de croissance sont très encourageantes », affirme la directrice Business Development de B&S Tech.

Autre signe de cette évolution : l’organisation de Degré Zéro, le premier salon professionnel dédié aux boissons désalcoolisées, le 11 février 2024 au Musée du Vin à Paris, la veille du salon Wine Paris & Vinexpo Paris. Une croissance sans modération.
 

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