Dry January : la sobriété gagne des parts de marché

Apparue en 2013 au Royaume Uni, la tendance du Dry January est passée d’effet de mode à phénomène de société en dix ans. Si les Français, notamment les jeunes, consomment moins d’alcool depuis une quinzaine d’années, l’offre du secteur s’est également adaptée en proposant nombre d’alternatives teintées de sobriété. Décryptage. 

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Dry January :  la sobriété gagne des parts de marché

Le « Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse » d’Alfred de Musset ne fait définitivement plus recette en 2024. La consommation de boissons alcoolisées en France a en effet été divisée par plus de deux entre 1960 et 2018 (source INSEE). Une tendance qui peut notamment s’expliquer par une jeune génération désireuse de “lever le pied” sur le sujet, mais également par une offre de vins, bières et autres spiritueux sans alcool en plein essor. À moins que le développement du marché du Nolo (pour no alcohol et low alcohol) ait eu pour effet de détourner la jeunesse d’un secteur qui a toujours su rivaliser d’ingéniosité pour la séduire ? Explications.

Pourquoi les jeunes se détournent de l’alcool 

Aversion du black-out, peur de l’agression, temps passé devant les écrans au domicile, culte du bien-être et de la santé, reconnexion à soi et aux autres… les jeunes Français se détournent progressivement de l’alcool pour différentes raisons depuis quelques années. L’OFDT (Observatoire français des drogues et des tendances addictives) estime, dans une étude de 2022 nommée ESCAPAD, que la part des adolescents n’ayant pas franchi le pas du premier verre d’alcool est passée de 4,4 % en 2002 à 14,4 % en 2017. Elle fleurte même avec les 20 % (19,4 %) en 2022, toujours selon l’OFDT. 
 
« La tendance du no-alcohol est plus forte dans les pays anglo-saxons, à New York notamment, mais aussi dans les pays nordiques comme la Suède », explique Romain Napierala, Trends & Foresight Associate Director, au sein d’Ipsos Strategy3. « Ce que nous montre TrendObs, notre Observatoire international des dynamiques émergentes, c’est que la tentation d’une vie sans alcool gagne du terrain, notamment chez les moins de 30 ans. Dans un monde jugé de plus en plus hostile, il y a un vrai recentrage sur son bien-être physique et mental. Une meilleure maîtrise de soi et de son comportement vis-à-vis des autres, à l’ère de #metoo, entre aussi en ligne de compte. »
 
En France, la consommation d’alcool des jeunes Français est en baisse, de même que le tabac et le cannabis. Mais elle est à mettre en perspective avec celle de nos voisins. « Elle reste élevée en France par rapport à d’autres pays européens », tempère Romain Napierala. « Il reste un écart important entre les aspirations et les pratiques. Chez les plus jeunes français, les régimes sans alcools sont moins répandus qu’ailleurs et sont, le plus souvent, valorisés dans les grandes villes et les milieux privilégiés. Il faut dire que les normes et les représentations autour de l’alcool varient encore beaucoup selon le contexte économique et social des individus », complète Romain Napierala, Trends & Foresight Associate Director, au sein d’Ipsos Strategy3. 

Dry January : le Nolo vit ses plus belles heures  

Dominé par la bière et le gin, le marché du Nolo affichait une croissance mondiale à deux chiffres en 2023. Aujourd’hui il pèse 10 milliards d’euros par an, selon l’IWSR (International Wine and Spirit Research), panéliste britannique qui étudie les tendances de consommation de 35 des principaux marchés internationaux. Une croissance qui va s’accélérer, toujours selon l’IWSR. L’agence prévoit même une augmentation de 7 % du volume des ventes au niveau mondial d'ici 2026.
 
Arrivées plus tardivement dans l’Hexagone, ces boissons sans alcool se font doucement mais sûrement une place à l’heure de l’apéro, notamment en pleine période de Dry January (mois de janvier sans boire d’alcool, NDLR), et offrent de nouvelles opportunités de développement aux alcooliers. Car si en 50 ans, la consommation d’alcool a baissé de moitié en France, la part des apéritifs sans alcool a quant à elle augmenté de 400 % dans le budget des Français.
 
Fondateur du distributeur de vins, bières et cocktails sans alcool Gueule de Joie, Jean-Philippe Braud est convaincu que l’adoption d’un mode de vie plus sain explique cette tendance. « Nos clients cherchent la modération et non l’abstinence. Il s’agit de personnes qui se retrouvaient à boire de l’alcool sans en avoir envie pour des raisons sociales, par habitude ou simplement parce qu’il n’y avait pas d’alternative intéressante », explique-t-il. Hier encore, deux mondes s’opposaient : les buveurs et les non-buveurs. Aujourd'hui, les amateurs de Nolo - le plus souvent des buveurs modérés - à l’image d’Émilie Yana, ont d’autres options que les traditionnels sodas ou jus de fruit.
 
Cette ancienne danseuse a cofondé la marque de bières sans alcool Edmond en 2017. « J’aime la bière, mais je me suis rendu compte qu’avec l’âge et mon activité physique, mes muscles récupéraient moins bien le lendemain d’un apéro », raconte-t-elle. Elle demande alors à son compagnon et associé Sébastien Dué de lui brasser une bière avec le moins d’alcool possible, pour sa consommation personnelle. Le résultat, plus que satisfaisant selon le couple, donne naissance un an et demi plus tard à leur brasserie artisanale exclusivement dédiée à la bière sans alcool.  

L’offre encourage-t-elle la demande ? 

Créée dans une démarche sociale, Edmond bières s’est développé grâce au bouche-à-oreille, avec la bénédiction d’un expert du houblon. « Nous nous sommes lancés à la suite des encouragements d’un biérologue travaillant pour Bière Magazine », se souvient Émilie Yana, la cofondatrice. « Il a goûté notre bière et nous a assuré que l’on tenait quelque chose. L’offre était à ses balbutiements, mais nous nous sommes lancés et nous ne le regrettons pas. » Il faut dire qu’avec 20 % des Français ne buvant pas du tout d’alcool, le marché de ces nouveaux apéritifs n’a fait que répondre à une demande existante depuis des années.  
 
« Nous nous situons sur un marché de niche dénombrant tout de même 200 références », analyse Jean-Philippe Braud, le fondateur de Gueule de Joie. « L’offre encourage une demande qui se déclare progressivement, poussée également par la curiosité de certains consommateurs. » Tantôt présentes au rayon alcool, tantôt exposées à proximité des boissons sucrées, la mise en valeur des Nolo en grande surface se fait encore de manière encore aléatoire. Conscients de l’opportunité commerciale de ce marché, les alcooliers et viticulteurs sont de moins en moins réticents à y investir du temps et ainsi développer de nouveaux produits. « C’est aux filières alcoolières et aux artisans du secteur de s’emparer de ce marché et d’y apporter la qualité de leur savoir-faire, sans quoi les industriels occuperont la place, sans garantie de qualité nutritionnelle et gustative des produits proposés », prévient Jean-Philippe Braud. 
 
S’il y a encore trois ou quatre ans, un vin sans alcool relevait plus de l’hérésie que d’un business florissant en France, le changement des habitudes et des mentalités, couplé au travail de viticulteurs plus amoureux du produit que de l’ivresse, est en passe de changer la donne.

Simon NAPIERALA
Simon Napierala Redacteur web