Avec SuperRail, Nexans mise sur les supraconducteurs comme réponses aux enjeux de la transition écologique

Leader mondial dans le domaine des câbles électriques, Nexans entend développer l’usage de technologies supraconductrices pour répondre à l’augmentation des besoins en électricité. Une ambition qu’on retrouve avec le projet SuperRail qui prévoit l’alimentation de la sous-station de Montparnasse-Vouillé par des câbles supraconducteurs. Une première mondiale.  

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SuperRail

SuperRail, ce projet ne vous parle probablement pas, pourtant il pourrait constituer une petite révolution : l’avènement de technologies supraconductrices dans l’alimentation électrique du transport sur rail. Lauréat du plan France 2030, ce consortium regroupe les expertises croisées de Nexans, Absolut System, SNCF Réseau et profite de l’implication d’étudiants issus de l’Université de Lorraine et de Centrale SupElec. Concrètement, l’objectif annoncé de la Société Nationale du Chemin de Fer est d’être en mesure d’augmenter la capacité globale de transport en commun - notamment dans les zones considérées comme hyper denses. C’est le cas de la sous-station de Montparnasse-Vouillé où doivent être équipés les premiers câbles du type dans le courant de l’année.  

Plus grande capacité de transport d’électricité, contraintes techniques, avantages environnementaux … Jean Maxime Saugrain, directeur en charge de la partie machine, cryogénie et systèmes supraconducteurs chez Nexans, a décrypté pour Big média les enjeux de cette technologie de rupture peu connue du grand public.  

« Un levier au service de la transition énergétique » 

Big média : Quelle place occupent les supraconducteurs dans la stratégie de Nexans ?  

Jean Maxime Saugrain : Nexans est issue d’Alcatel câble, une entreprise dont l’histoire remonte à plus de cent vingt ans. Traditionnellement, le groupe était présent sur deux volets : les télécommunications et l’électrique. Depuis quelques années, avec la vente de nombreuses branches des télécoms, un virage stratégique a été entamé sur les activités électriques. Le vrai sujet de Nexans, aujourd’hui, est de répondre à cette duplication de la société où il faut réduire drastiquement les émissions de CO2 des villes, développer les transports en commun et les voitures électriques. Dans cette voie que nous empruntons, les supraconducteurs sont une véritable vitrine technologique et s’inscrivent totalement comme un levier au service de la transition énergétique.  

BM :  De quoi parle-t-on quand on évoque la supraconductivité ?  

JMS : En fait, les supraconducteurs sont les composants qui permettent de conduire un courant électrique, sans résistance ni perte. Ils ont été découverts en 1911, donc la technologie ne date pas d’hier. Dans la vie quotidienne, on les retrouve dans une variété d’objets communs. C’est notamment le cas des IRM, mais ils sont aussi omniprésents dans les accélérateurs de particules comme celui du CERN (centre européen pour la recherche nucléaire) et plus largement nécessaires à la fusion nucléaire. 

À la fin des années 80, des chercheurs d’IBM en Suisse ont découvert des matériaux supraconducteurs dits « à haute température. » L’énorme avantage de ces nouveaux composants, c’est que, désormais, le refroidissement du système peut se faire via de l’azote liquide (un fluide particulièrement bon marché, et largement disponible, ce dernier remplace l’hélium liquide qui était utilisé jusque-là, NDLR). Pour l’anecdote, cette petite révolution a donné lieu à l’attribution la plus rapide de l’histoire d’un prix Nobel de physique. Néanmoins, les supraconducteurs à haute température ont une structure assez complexe et surtout sont mécaniquement très fragiles.  

« Pour un résultat égal, il ne faudrait pas moins de vingt câbles en cuivre standard » 

BM : Comment cette technologie a-t-elle évolué pour devenir plus accessible ?  

JMS : C’est essentiellement la fragilité de ses composants qui explique qu’on ait longtemps eu du mal à trouver des usages pour les supraconducteurs à haute température. Cette contrainte a été palliée en développant des « rubans » qui incorporent ces composantes. À l’origine, une centaine de filaments étaient gardés dans une matrice d’argent. Le désavantage de cette solution reposait sur son coût, particulièrement onéreux. Aujourd’hui, on travaille sur une deuxième génération de rubans « à dépôt de couche mince ». Ces derniers sont beaucoup plus économiques, bien que des progrès industriels restent à faire.  

Pour ce qui est des applications, il y en a une grande diversité, mais la communauté scientifique s’accorde à dire que les deux cas d’usages principaux pour ces nouveaux composants sont les câbles et les réacteurs de fusion nucléaire. Il faut avoir en tête que les réacteurs actuels fonctionnent avec des technologies dites « à basse température », mais que l’utilisation des nouveaux composants devrait permettre de miniaturiser les réacteurs tout en démultipliant leur efficacité. Indirectement, on bénéficie de cet engouement, puisque les investissements conduisent à une augmentation de la production de rubans et rendent les prix plus attractifs pour d’éventuels clients (industriels, génie public, etc.) 

BM : Qu’en est-il des performances ?  

JMS : C’est vraiment concernant la densité de courant que les câbles supraconducteurs impressionnent. À titre de comparaison, les composantes supraconductrices sont environ 10 000 fois supérieures aux sections de cuivre. Évidemment, puisque les composantes supraconductrices ont le désavantage d’être particulièrement fragiles, il faut rajouter une section non-utile au transport du courant ce qui réduit la performance du câble. De ce fait, on passe d’un facteur 10 000 à 100, mais le progrès reste exponentiel.   

BM : En quoi SuperRail est-il un cas d’usage intéressant pour le développement des câbles supraconducteurs ?  

JMS : Ce projet vient répondre au besoin de la SNCF d'accroître sa capacité de trafic sur ses rails, ce qui implique d’augmenter la puissance électrique du réseau. Concrètement, par l’utilisation de deux câbles supraconducteurs, nous allons procurer 7 000 ampères (unité de mesure de l’intensité du courant électrique, NDLR) au réseau de la gare Montparnasse. À titre de comparaison, pour un résultat égal, il ne faudrait pas moins de vingt câbles en cuivre standard. Il faut garder en tête que tous ces travaux sont soumis aux contraintes d’un urbanisme vieillissant. En l’occurrence, dans ce projet, le réseau électrique actuel passe par le tablier d’un pont qui surplombe la petite ceinture. L’espace prévu pour les câbles est presque plein, de telle manière qu’il est naturellement impossible de pallier le besoin énergétique avec des câbles traditionnels. C’est un cas d’usage particulièrement éloquent pour le développement des supraconducteurs. Ces derniers sont aujourd’hui la seule réponse à l’augmentation de la puissance d’un réseau, sans engager des chantiers pharaoniques. Dans la réponse à ce type de problématiques, qu’on retrouve beaucoup chez les industriels et sur des chantiers du génie civil, je pense que cette nouvelle technologie apporte des solutions très concrètes.  

 
 

Martin Ferron

Martin Ferron

Rédacteur Web