Guillaume Simonaire, chargé d’investissement senior chez Bpifrance : « L’industrie musicale a toujours été force de réaction et d’innovation »

Lourdement impacté par la crise sanitaire, le secteur de la musique n’en reste pas moins résilient et novateur. Grâce à des acteurs engagés et des initiatives telles que le “plan Touch !” de Bpifrance, ce secteur plus que jamais essentiel dans la vie des Français compte bien continuer à nous faire vibrer !

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« Show must go on* » ! Le 12 février dernier se tenait la 36e cérémonie des Victoires de la Musique, l’occasion pour bon nombre d’acteurs de cette industrie en souffrance de revenir sur des mois passés loin de la scène. Une édition également placée sous le signe de la résilience pour ce secteur combatif et déterminé à ne rien lâcher. Un élan que le “plan Touch !” compte bien continuer à soutenir grâce à l’investissement par Bpifrance d’1,45 milliard d’euros pour industries culturelles et créatives en 2020.

Aujourd’hui, retour avec Guillaume Simonaire, chargé d’investissement senior au sein du pôle ICC de Bpifrance, sur les perspectives et les défis à relever pour l’industrie musicale, mais également sur les projets porteurs pour les entrepreneurs du secteur.

Quelle est l’importance du secteur de la musique en France ?

Guillaume Simonaire : En préambule, il est important de rappeler que la musique a une importance prépondérante dans la vie des Français en étant l’un de leurs loisirs préférés et constitue une activité quotidienne quel que soit leur âge.
La filière musicale française dans sa définition étendue, c’est-à-dire intégrant les industries directes telles que les ventes de musique enregistrée, le live mais aussi les marchés connexes qui tirent indirectement leurs revenus de la création musicale, est une économie majeure en France. Elle pesait 9,8 Md€ en 2019 et employait plus de 250 milles personnes. Les prévisions sur 2020 s’établissaient à plus de 10 Md€. Mais la crise sanitaire a été un coup dur pour le secteur. Il se remettait à peine d’une longue période de destruction de valeur depuis le début des années 2000 avec le déclin des ventes physiques et les nouveaux usages digitaux dont l’essor a bouleversé son business model. En 2020, la perte pour le secteur est estimée à 4,5 Md€ : le spectacle vivant est le plus durement touché avec une perte estimée de 2,8 Md€ et des effets sur l’ensemble de la chaîne de valeur.

En souffrance, l'industrie musicale française s'adapte à la crise sanitaire, quelles solutions/innovations avez-vous vu émerger ?

G.S : L’industrie musicale a toujours été force de réaction et d’innovation. Globalement, pendant le confinement, on a constaté que tous les outils pour créer du lien direct avec le public, même s’ils ne sont pas nouveaux, ont énormément gagné en usage.
Sur le live, qui a été le plus durement touché perdant presque 75 % de ses revenus en raison de la crise, le livestream ou même les concerts virtuels ont été des éléments d’espoir pour l’industrie avec de belles réussites comme le livestream de M. Pokora qui a réuni 50 000 personnes pour le dernier concert de sa tournée retransmis en direct de la Seine Musicale. Le livestream permet aussi aux artistes de poursuivre la promotion de leur musique et de maintenir du lien avec leur public en la touchant différemment. On a d’ailleurs assisté à des cross over intéressants entre les industries créatives avec des concerts virtuels qui se sont tenus au sein de jeux vidéo par exemple et qui ont rassemblé plus de 30 millions de personnes comme celui de Travis Scott sur Fortnite.

Quelles aides ont été mises en place pour soutenir ce secteur ?

G.S : Le CNM (Centre Nationale de la Musique) établissement public créé en 2020 par la réunion du CNV, de l’IRMA, du Bureau Export, du Fonds pour la création musicale et du CALIF et qui est sous la tutelle du Ministère de la Culture, a déployé un certain nombre de dispositifs spécifiques pour accompagner le secteur avec notamment le fonds de sauvegarde, le fonds pour les disquaires ou le fonds de compensation de pertes de billetterie. Ces dispositifs sont accompagnés des mesures gouvernementales à l’échelle nationale dont le secteur bénéficie également (chômage partiel, PGE, etc.).

Comment le Plan Touch ! prévoit de soutenir et faire briller cette filière ?

G.S : Avec le “plan Touch !”, Bpifrance se met au service des ambitions des entrepreneurs bâtisseurs de la création française. Ce plan stratégique et systémique s’appuie sur un continuum de financement, d’investissement et d’accompagnement individuel et collectif sur le territoire ainsi qu’à l’international. C’est toute une palette d’outils (garanties, prêts, financements innovation, fonds propres…) qui est mise à disposition des acteurs de la musique et du spectacle vivant, en complémentarité et en synergie avec l’ensemble des acteurs de l’écosystème comme le CNM et l’IFCIC.

Selon le Syndicat national de l'édition phonographique (SNEP), les écoutes de musique en streaming en France ont augmenté de 19 % en 2020 par rapport à l'année antérieure. Quelles sont les conséquences pour le secteur ?

G.S : Le streaming en devenant le nouvel usage dominant des consommateurs a profondément modifié le business model du secteur et s’impose comme une source de revenus majeure, représentant désormais plus de la moitié des ventes de musique enregistrée.
La croissance des usages digitaux n’a toutefois pas permis de rattraper les pertes enregistrées depuis 2002 sur ce segment de marché. De plus, la crise en provoquant la fermeture des points de ventes a accentué le fossé entre exploitation numérique et physique des œuvres. Cependant, la vitalité du streaming ne doit pas omettre la question de la répartition de la valeur entre les ayant droits. Aujourd’hui calculée sur le nombre d’écoutes générées sur les titres d’un artiste rapporté à la globalité des écoutes de la plateforme, le modèle dit “Market Centric Payment System (MCPS)” bénéficie principalement aux artistes dont l’audience est la plus engagée alors qu’ils ne représentent qu’une minorité des artistes présents.

Vous avez un exemple ?

G.S : Bien sûr ! Selon l’ADAMI, on sait que 1 % des artistes captent 90 % des écoutes et qu’un artiste gagne 100€ quand il est écouté 250 000 fois en streaming payant et 1 000 000 de fois en streaming gratuit.
Une nouvelle voix commence à émerger et certains professionnels militent pour un système dit “User Centrics”, où le montant de l’abonnement serait redistribué en fonction des écoutes réelles de chaque abonné permettant une meilleure redistribution des bénéfices.

Selon le CNM, les artistes du top 10 perdraient 17,2 % de leurs revenus tandis que ceux qui sont moins écoutés - après le 10 000e rang - pourraient voir leurs redevances augmenter de 5,2 %. Quels sont les marchés porteurs pour des entrepreneurs souhaitant s’orienter vers ce secteur ?

G.S : Les innovations technologiques bousculent le secteur. On pourrait en citer 3 qui semblent porteuses. Tout d’abord la blockchain qui peut avoir plusieurs usages pertinents dans des secteurs tels que l’automatisation et la personnalisation de la gestion des droits d’auteurs et plus globalement dans la transparence sur la chaine de valeur. Plusieurs initiatives montrent d’ailleurs que le sujet anime l’industrie. La Sacem a lancé un groupe de travail interne pour tester un prototype de gestion partagée des informations relatives aux droits d'auteur. Sony teste une solution blockchain pour les fans de ses groupes pop en Asie et Warner a fait un investissement dans une société utilisant cette technologie dans le but notamment de permettre aux fans d'acheter et collectionner plus facilement sur Internet des produits provenant de leurs artistes et groupes préférés.
La data et l’intelligence artificielleont également de beaux jours devant elles ! Spotify dépose actuellement un brevet pour analyser des caractéristiques de la voix et de l'environnement sonore de ses utilisateurs afin d’affiner ses recommandations musicales. Des startups travaillent également sur l’analyse des données cérébrales des auditeurs pour une recommandation musicale aussi pointue que possible. C’est un enjeu majeur pour les plateformes qui se battent également dans une économie de l’attention et dont l’objectif est de passer autant de temps que possible sur leur service. Ces solutions permettraient également de recommander des musiques et des artistes auxquels l’auditeur n’est pas exposé via les playlists classiques qui sont souvent sponsorisées et participeraient ainsi à un meilleur partage des revenus.
Côté professionnel de l’industrie, on peut également noter que le Big data devient une compétence clé dans le processus de découverte et de développement des talents et les majors y investissent déjà beaucoup de temps et de fonds.
Enfin, la Réalité Virtuelle peut avoir plusieurs usages intéressants pour le secteur : usage créatif afin de concevoir de la musique de manière totalement virtuelle, usage promotionnel comme la production de film et de concerts 360° ou encore un usage expérienciel. Plusieurs initiatives sont d’ailleurs dédiées au développement d'expériences musicales immersives grâce à la puissance de la créativité et de la technologie.

La fermeture des bars/restaurants/boites de nuit a un impact direct sur l’industrie musicale, les artistes étant rémunérés principalement par la Sacem, est-ce que c’est tout le système qu’il faudrait repenser ?

G.S : Il est certain que les droits d’auteur et les sociétés qui les collectent ont été touchés de plein fouet par la crise avec la fermeture des lieux de diffusion. Avant de déconstruire le système, il faut surtout se dire que les aides systémiques sont là pour traverser le nuage noir et qu’à la sortie, il y aura un rebond puissant pour le spectacle vivant, les bars, restaurants et discothèques et une progression verticale des droits d’auteur, notamment dans le disco et l’électro !

Qu'est-ce que le "plan Touch !" ?

 

  • Une vision stratégique et systémique des ICC, définissant le périmètre d’action, la typologie d’acteurs visés et les leviers de transformation clés à adresser pour l’ensemble des secteurs de La French Touch.
  • Un continuum sans couture au service des entreprises de La French Touch.
  • Des outils sur l’ensemble de nos métiers (innovation, financement, accompagnement, investissement en fonds propres & International). 
  • Des dispositifs de montée en compétence des équipes pour améliorer l’efficacité de ce continuum.
  • Une équipe, animée et pilotée, impliquant tous les acteurs et métiers de la banque.
  • Un plan de place, en articulation avec l’ensemble de l’écosystème et complémentaire d’un mouvement French Touch, fédérant les entrepreneurs des ICC autour du coq orange.

*le spectacle doit continuer !

mélanie
Mélanie Bruxer Rédactrice web