Taïwan, rampe de lancement de La French Touch vers l’Asie

A Taïwan, La French Touch et son savoir-faire rayonnent. Une aubaine pour les marques tricolores issues des industries culturelles et créatives (ICC). Décryptage de ce marché au cœur de l’Asie-Pacifique avec Isabelle Carron, fondatrice et CEO d’Absolution, marque de cosmétiques bio et naturels, Sébastien Bonnaire, fondateur et CEO d’Hyphenea, distributeur de marques d’arts de la table principalement françaises, et Stéphane Peden, directeur de la Chambre de Commerce et d’Industrie France Taïwan (CCIFT).

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Taipei Taiwan

On l’associe souvent aux semi-conducteurs. Taïwan produit en effet un peu moins d’un tiers de la production mondiale de ces matériaux. L’île, qui fait un peu plus de quatre fois la taille de la Corse, est reconnue comme une petite géante de l’électronique et des technologies de l’information et de la communication (TIC), qui boostent son économie : à eux seuls, les semi-conducteurs représentent 18% du PIB taïwanais en 2022 selon Stéphane Peden, directeur de la Chambre de Commerce et d’Industrie France Taïwan (CCIFT). « C’est la sixième économie Asie, avec une croissance à 2,45 % en 2022, alors qu’elle souffrait encore des stigmates laissés par le Covid. L’inflation est en-dessous de 3 % et le taux de chômage à 3,6 %. C’est aussi le sixième détenteur de réserves monétaires au monde, ce qui lui offre une certaine stabilité en cas de crise. », énumère-t-il. Ce dynamisme ne saurait s’arrêter à l’électronique. Depuis le début des années 2000, le gouvernement taïwanais met la lumière sur les industries culturelles et créatives (ICC). Cela se concrétise en 2010 avec la loi sur le développement des industries culturelles et créatives (Development of the Cultural and Creative Industries Act), qui alloue financements, subventions et incitations fiscales pour attirer les investisseurs et partenaires. Certains d’entre eux sont d’ailleurs tricolores. La French Touch est représentée à Taïwan dans de nombreux secteurs, de la cosmétique aux jeux vidéo, en passant par la gastronomie et les arts de la table.

Le distributeur local, un gain de temps pour pénétrer le marché taïwanais

Pour Sébastien Bonnaire, l’aventure taïwanaise a commencé avec une histoire d’amour. « J’ai rencontré une Taïwanaise à Paris. Je l’ai suivie dans son pays d’origine et ça a été un coup de cœur. Moi qui me lassais de mon travail à Londres, c’est devenu le déclencheur pour me lancer dans l’entrepreneuriat », confie le fondateur d’Hyphenea, une entreprise qui distribue depuis 2007 des marques principalement françaises spécialisées dans les arts de la table telles que De Buyer, Sabre ou Laguiole. De son côté, Isabelle Carron, fondatrice d’Absolution, marque de cosmétiques bio et naturels, se fait approcher en 2011 par un distributeur asiatique qui souhaite vendre ses produits sur les marchés taïwanais et hong-kongais : « Taïwan n'a pas été spécialement difficile d’accès pour nous parce qu'on a un bon distributeur, structuré, avec un bon réseau de magasins », partage-t-elle.

Un distributeur local est d’ailleurs une clé de succès sur ce petit marché de 23 millions d’habitants où la langue principale est le mandarin. Le CEO d’Hyphenea, Sébastien Bonnaire, préconise même l’exclusivité. « Avoir plusieurs distributeurs sur ce type de marché, c'est très opportuniste mais c'est prendre le risque que sa marque ne s’impose jamais ». Pour lui, son métier de distributeur exclusif l’engage à entretenir une relation pérenne avec les fournisseurs, et investir pleinement dans leurs marques avec des campagnes marketing pour mieux les positionner sur la zone. Une tâche ardue dans ce pays où le sens des affaires semble inné chez ses habitants, qui peuvent se lancer très facilement et rapidement dans l’entrepreneuriat. « Pour se positionner, c'est le marketing qui va faire toute la différence. Il suffit parfois qu'une chaîne télé ou un Youtubeur passe et présente le produit avec le bon storytelling, et le lendemain ça explose » atteste Stéphane Peden de la CCIFT. Si le marché reste donc restreint, il ne s’agit pas pour autant de se confiner dans les frontières taïwanaises : sa position géographique au cœur de l’Asie-Pacifique en fait un atout pour s’étendre vers d’autres pays voisins.

Un marché de tendances au centre de l’Asie-Pacifique

Véritable rampe de lancement vers l’Asie, Taïwan et son marché à taille humaine offre un côté rassurant avant de se lancer à plus grande échelle. « Il est moins couteux de commencer à Taïwan qu’au Japon ou à Hong-Kong par exemple. Nouer un partenariat avec une entreprise taïwanaise qui va en Chine avec vos produits peut s'avérer être une collaboration bien plus payante que de s'attaquer seul à un marché de cette envergure. », poursuit Stéphane Peden. Mais avant de réfléchir à s’étendre, il faut d’abord s’assurer de plaire aux consommateurs locaux. « Notre clientèle est plus jeune en Asie qu’en Europe. Notre cible habituelle se trouve autour des 28-60 ans ; en Asie on est à 35 ans maximum », souligne Isabelle Carron, fondatrice d’Absolution. « Les jeunes représentent une grosse partie de la classe consommatrice à Taïwan, notamment sur du semi-luxe et la mode », constate également Stéphane Peden. Ces consommateurs restent ainsi à l’affut des dernières tendances, notamment grâce aux réseaux sociaux. Leur taux de pénétration – le pourcentage de personnes qui les utilisent – dans ce pays atteint d’ailleurs 85 % avec plus de 20 millions d’utilisateurs en 2023 selon Statista. Et pour perdurer auprès de ce jeune public taïwanais, il est nécessaire d’innover régulièrement. « C’est une tendance asiatique, que l’on retrouve en Corée ou à Hong-Kong : on surfe sur des vagues, les gens sautent sur des tendances. Ça peut aller très vite », avertit Sébastien Bonnaire.

Isabelle Carron, elle, note l’évolution du secteur de la cosmétique. « Ce n'était pas du tout un marché de parfum auparavant. Aujourd’hui, ça a bien changé. Il y a beaucoup de soins pour le corps et de parfums, autant pour soi que pour la maison ». Côté soins pour la peau, les géants voisins phagocytent les parts de marché. « Il faut avoir les reins solides. Cela reste un marché très compétitif avec la présence de gros acteurs à proximité comme la Corée et le Japon, qui proposent des produits adaptés à leur peau », confirme Stéphane Peden, directeur de la Chambre de Commerce et d’Industrie France Taïwan. « C’est un pays humide. Or notre gamme de maquillage propose des produits un peu gras et conforts, qui marchent bien en Europe, mais qui sont moins adaptés en Asie », admet Isabelle Carron. Si l’adaptation n’est pas toujours aisée et peut même devenir coûteuse, elle est souvent nécessaire dans des pays éloignés, aussi bien géographiquement que culturellement. Ces produits adaptés à un pays en dépassent parfois même les frontières. « Un de nos best-sellers actuel est né d’une demande de mon distributeur asiatique. Ce type d’échange peut faire germer des idées de produits qui fonctionnent finalement pour tout le monde », explique sa fondatrice. « Travailler une marque en gardant ses valeurs, adaptées aux spécificités locales, permet le développement de produits exclusifs », poursuit Sébastien Bonnaire, CEO et fondateur d’Hyphenea, qui a travaillé avec De Buyer pour créer un wok en fer adapté à la cuisine taïwanaise. Des produits spécialisés à ce marché asiatique donc, mais toujours réalisés avec la griffe française.

Le réseau, notion clé pour se développer à Taïwan

D’autant plus que les marques tricolores bénéficient d’un coup de pouce en termes d’image dans ce pays où la France est aussi bien synonyme de romantisme que de qualité. « On nous associe beaucoup à la gastronomie, au luxe et à la mode », assure Stéphane Peden. Mais pour se faire un nom sur place, il ne suffit pas de compter uniquement sur sa marque tricolore. « Le réseau, que l’on appelle guanxi, est très important », continue le directeur de la CCIFT. C’est le cas aussi bien avec les partenaires locaux que français. Sébastien Bonnaire l’a expérimenté avec l’un de ses fournisseurs. « Le directeur général avait dormi dans un hôtel à Taïwan où l’on avait mis en avant des accessoires de vin. Le directeur de l'hôtel, un Français, était un de mes amis et nous a mis en relation ». Le fondateur d’Hyphenea conseille d’ailleurs de participer à des salons pour rencontrer des partenaires locaux ou même français pour échanger avec eux et s’entraider. Nombreux sont les organismes français vers lesquels les entrepreneurs désireux de s’exporter à Taïwan peuvent se tourner : Business France, l’Alliance française, la communauté des Français de Taipei, … « Pour se préparer, c’est bien d’échanger avec les gens qui sont déjà présents à Taïwan. Il y a aussi Invest Taiwan, une entité du gouvernement taïwanais qui aide les étrangers à s’installer ici », recommande Stéphane Peden.

Si le risque géopolitique reste présent, les futurs rebondissements devraient se jouer aux prochaines élections taïwanaises en janvier 2024. Il n’en reste pas moins que les entreprises implantées restent confiantes envers leur avenir sur le marché et soulignent la stabilité économique et sociale, ainsi que la sécurité comme principaux avantages à faire des affaires à Taïwan, selon le Business Confidence Survey publié en 2022 par la CCIFT.

 

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