Ecoresponsabilité : la longue quête des musées et des établissements culturels

Longtemps pointés du doigt pour leur consommation énergétique dispendieuse, les musées et établissements culturels œuvrent pourtant depuis plusieurs années à développer une démarche plus respectueuse de l’environnement. Partenariats avec des circuits d’économie sociale et solidaire, infrastructures moins gourmandes en énergies, expositions repensées, les musées font peau neuve. 

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Grand Palais de Paris

11 767 tonnes de CO2, soit l’empreinte annuelle de plus de 1 000 Français, c'est le bilan carbone de la Réunion des Musées Nationaux - Grand Palais en 2016.
La France compte, en 2020, 1 223 musées, une cinquantaine de centres d’art et 23 fonds régionaux d’art contemporain selon le ministère de la Culture. Une multitude de lieux qui mobilisent à eux seuls du personnel, entraînent le transport isothermique et la conservation d’œuvres (dans des salles chauffées ou climatisées), font fonctionner de nombreux services techniques (régie, restauration etc.), et attirent des milliers de visiteurs qui doivent s’acheminer jusqu’à eux.

« Aujourd’hui, il y a une vraie prise de conscience globale dans la plupart des institutions culturelles, notamment dans les musées et les galeries, sur l'impact de notre secteur », affirme Valérie Bonnard, chargée de mission RSE - Développement durable, au sein de la Réunion des Musées Nationaux (RMN) et du Grand Palais. « La RMN - Grand Palais travaille d'ailleurs à la mis en place d'un « budget carbone » dans lequel l’impact de nos expositions rentrera dans nos critères, au même titre que les impacts financiers et le propos scientifique et culturel. ». 
Mais au-delà de la consommation énergétique des musées, d’où viennent ces 11 767 tonnes de CO2 rejetées chaque année ? 
« Quand on fait le bilan carbone scope 3, c’est-à-dire le bilan de l’émission des visiteurs, on voit clairement que plus de 90 % de l’impact vient de leur acheminement vers le musée », souligne Alice Audouin, consultante en développement durable auprès des musées et présidente fondatrice d’Art of Change 21. « Aujourd’hui la question est donc de savoir comment on avance quand on est écrasé par un scope 3 dont on ne peut pas se passer. Pour moi il faut repenser le poids des visiteurs. ». 

« Le musée, c’est le lieu du temps long, le lieu dans lequel on va retrouver des propositions intemporelles, immuables via les collections permanentes. Or les établissements culturels se sont retrouvés – à cause d’une pression publique – à entrer dans des logiques plus commerciales, plus court-termistes avec une sorte de course à l’exposition temporaire « événement ». Si à force de faire des expositions temporaires, le public a l’impression qu’aller au musée pour voir une collection permanente, ce n’est pas intéressant, on va progressivement perdre la raison d’être des collections.».  En ce sens, le musée d’art moderne de la ville de Paris a fait le pari de proposer des expositions temporaires sur la base de ses collections permanentes. 
Un autre point majeur pour la présidente fondatrice d’Art of Change 21, est d’inciter les musées, avant de penser à des œuvres internationales, à créer des expositions sur la base des œuvres stockées dans les réserves des musées nationaux. 

Construire une exposition en réduisant le nombre de pièces, sans dégrader l'expérience des visiteurs

Des expositions moins fréquentes, mais peut-être aussi mieux pensées et mieux conçues comme le souligne Valérie Bonnard. « On a un vrai travail à faire sur nous-même, mais également auprès des publics pour expliquer qu’une grande exposition n’est pas forcément une exposition de 350 œuvres venues des quatre coins du monde. On peut construire une très belle expérience avec moins de pièces ou avec des supports qui vont être éco-conçus, sans que cela dégrade l’expérience des visiteurs. Ce n’est pas parce que c’est écolo que c’est cher. »  
Récemment, c’est le musée des Beaux-arts de Lille, en partenariat avec le Grand Palais, qui s’est prêté à l’exercice avec l’exposition « Expérience Goya ». En proposant une visite différente avec des œuvres d’une provenance géographique plus resserrée, Bruno Girveau, directeur du musée a souhaité limiter l’impact carbone et plus globalement l’empreinte écologique de l’exposition, notamment via l’écoconstruction et la gestion de la fin de vie des matériaux. « La RMN a mis en place une close sur l’emploi de matériaux labélisés ou écoconçus. », précise Valérie Bonnard. « Dans le cadre de l’exposition, nous avons sourcé des matériaux dont l’empreinte écologique était moindre »
Depuis peu, le Grand Palais a d’ailleurs passé un cap, à l’occasion de l’exposition « Peintres Femmes ». L’équivalent de 10 tonnes de matériaux a été remis dans le circuit de l’économie circulaire et près de l’intégralité des cimaises, moquettes et vitrines ont été récupérées par La Réserve des arts, une association qui accompagne le secteur de la culture à s'approprier l'économie circulaire. 

Quelle est alors la solution pour le musée de demain ? Des expositions essentiellement composées d’œuvres régionales ? Une à deux expositions annuelles ?
Pour Valérie Bonnard, la solution n’est pas d’interdire le voyage des œuvres d’art mais plutôt « d’être conscient de ce que ça signifie, et d’être capable de mesurer les impacts sur la durée. ».  En ce sens, la chargée de mission RSE - Développement durable, souligne la nécessité pour les musées nationaux de repenser collectivement leur process de transport notamment. Aujourd’hui encore, quel que soit le trajet, les œuvres sont toujours transportées dans des caisses isothermes. Une précaution jugée “inutile” pour Alice Audouin, notamment pour des sculptures ou des œuvres d’art contemporain qui ne sont pas soumises aux mêmes règles d’hydrométrie. 
Souvent pointé du doigt comme LA solution vers un musée plus accessible, notamment pendant le confinement, le digital reste cependant une solution à pondérer pour Valérie Bonnard. « Il ne faut pas oublier que le numérique, au final, c’est une multitude d’infrastructures. On associe souvent ça au Cloud, mais le numérique c’est surtout des serveurs, de l’énergie, des matériaux, des composants produits par des pays presque exclusivement asiatiques. Donc le numérique lui-même a un impact ». 
Pour la chargée de mission RSE - Développement durable, le musée de demain restera donc un lieu d’expérience physique, « ça ne veut pas dire que l’expérience digitale sera à exclure, mais elle ne pourra pas se substituer complètement à une rencontre physique avec l’œuvre » ajoute-elle.

Allier écologie et esthétisme 

Coté architecture, là encore un travail de fond est à anticiper. En 2020, 6 musées ont réouvert leurs portes, et 15 sont en cours de rénovation. Des chantiers d’envergure qui, pour Alice Audouin, consultante en développement durable auprès des musées et présidente fondatrice d’Art of Change 21, soulèvent, là encore, de nombreuses inquiétudes. « On est en train d’enlaidir notre patrimoine ! ». Le risque, pour la fondatrice d’Art for Changes 21, est d’entrer dans une uniformisation par la mise au norme écologique. « Il faut que les musées et établissements culturels incarnent une défense des savoir-faire, une défense de l’esthétisme dans un monde où l’écologie, bien qu’utile et nécessaire, arrive parfois avec des solutions qui sont diamétralement opposées aux valeurs artistiques et esthétiques ».  
Soucieuse du respect du patrimoine et consciente des modifications structurelles provoquées par des mises aux normes, Valérie Bonnard note pourtant un souci de préservation de l’histoire du bâtiment sur l’actuel chantier du Grand Palais. Circulations traversantes, statuaires, façades et décors intérieurs seront retrouvés. « Les perspectives seront réouvertes, les lumières naturelles et zénithales transperceront à nouveau le monument de part en part, les aménagements de l’architecte Pierre Vivien, apportés au monument dans les années 60 lors de la création des Galeries Nationales par Malraux, seront remis en valeur » peut-on lire sur le site du Grand Palais.  
Valérie Bonnard souligne également l’attention particulière portée à la gestion de l’eau dans le bâtiment, notamment avec la mise en place d’un circuit de recyclage de l’eau (récupérée sur la verrière) et réutilisée lors du lavage interne de la nef. Une démarche de valorisation et de tri sur le chantier (du gros œuvre et du second œuvre) a également été établie. 

Et quand on demande à la chargée de mission RSE - Développement durable à quoi ressemblera le musée de demain, elle imagine un lieu plus inclusif et plus participatif. « Il sera moins dans le « donner à voir » et plus dans l’échange. », explique-t-elle. « Je pense également qu’il intégrera un peu plus les questions sociales et sociétales, notamment la réconciliation avec notre histoire : le traitement des femmes, des minorités, et la façon dont on présente les œuvres ».  

Mécénat et éthique des musées : un modèle à repenser 

Au-delà des enjeux environnementaux et sociétaux, se pose aussi la question des financements. En 1985, le New-York Times titrait : « Le monde de l'art glisse subtilement vers le mécénat d'entreprise ». Malgré la privatisation et la mise en place de boutiques et restaurants, elles peinent encore à s'assurer une autonomie financière, les conduisant ainsi à multiplier les partenariats. 
Se pose alors une question éthique. Un musée engagé dans un démarche environnementale peut-il être soutenu par une entreprise « green » ?
Pour Alice Audouin, signataire de Fossil Funds Free, une charte dans laquelle elle s’engage à ne pas recevoir de soutien d’entreprises œuvrant dans les énergies fossiles, « la question n’est pas tant de savoir si le mécène est dans le pétrole ou non, mais plutôt de savoir s’il a financé des campagnes de désinformation. Là, on ne parle pas de pétrole ou d’énergie, on parle d’éthique. Pour moi le greenwashing est beaucoup moins grave que la désinformation et le climato-scepticisme ». 

Si un travail de fond est à enclancher pour que les musées repensent leurs partenariats, Alice Audouin souligne également un chantier "de bon sens" à mettre en place. « Plusieurs actions peuvent être mises en place pour contrebalancer le choix des mécènes. Les artistes eux-mêmes ! La jeune génération d’artistes contemporains intègrent naturellement les principes d’éco-conception. Il faut leur laisser plus de place pour s’exprimer et partager leur vision d’un futur plus écologique et solidaire au public ».

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Mélanie Bruxer Rédactrice web