La désextinction : une vraie solution pour limiter le dérèglement climatique ?

Quand la fiction est en passe de devenir réalité. Hier, nous rêvions devant les vitres des musées de voir s’animer d’immenses mammouths disparus depuis des siècles. Demain, ces pachydermes préhistoriques pourraient à nouveau fouler les sols gelés dans le but de de limiter le réchauffement climatique.  

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mammouth

Ressusciter une espèce éteinte, un sujet que l’on retrouve plus généralement dans les blockbusters américains mais qui pourrait bien faire partie de votre quotidien dans les 10 prochaines années. En témoigne le nombre croissant d’entreprises se développant dans le secteur de la désextinction, un processus de création d’espèce apparentée à un animal éteint, grâce aux avancées en génétique et biologie synthétique. Pour nous en parler, Lionel Cavin, paléoichtyologue et co-auteur de l'ouvrage "Faire revivre des espèces disparues ?" décortique le sujet et ses enjeux éthiques.  
 

Big média : Comment expliquez-vous l’engouement que suscite la désextinctions d’espèces ?  

Lionel Cavin : Depuis toujours, l’Homme a cherché à s’extraire de la nature, à la furie, car elle était potentiellement dangereuse. Le changement de position de ce dernier ne s’est produit qu’il y a très peu de temps finalement. Et désormais, il cherche effectivement à protéger son écosystème tout en saluant sa beauté. Donc cet attrait pour faire revivre des animaux disparus va dans ce sens. On a envie d’un retour à la nature, même si c’est une nature complètement idéalisée.  

BM : Quel est le projet de l’entreprise américaine Colossal Biosciences ?  

LC : La solution que promeut Colossal, c’est de faire de l’ingénierie génétique. Maintenant qu’on connait relativement bien le génome du mammouth, parce qu’on a des techniques qui permettent de modifier une partie en remplaçant une séquence de gènes par une autre, on est en mesure de créer une sorte d’hybride. Ça ne sera donc pas un vrai mammouth, mais un animal qui y ressemblera.  

Si Colossal s’est intéressé au mammouth, ce n’est pas par hasard. C’est un animal qui est tellement emblématique, à l’image du dinosaure.  

BM : D’ailleurs peut-on imaginer qu’une startup tentera un jour de faire revivre les dinosaures ?  

LC : Il faut abandonner cette idée. Ce qu’il nous reste de cette espèce est beaucoup trop vieux, tout est minéralisé, donc on ne retrouvera jamais de fragment d’ADN. Alors que pour le mammouth, tout ceci n’est pas complètement inenvisageable  

Colosal a par ailleurs amassé énormément de fonds pour lancer son projet. Ils mettent en évidence le mammouth, mais ils travaillent également sur la désextinction d’autres espèces comme le dodo, cet oiseau qui vivaient sur des îles de l’océan Indien.  

« À l’image du film Jurassic Park, on exposera les mammouths sur une île où les curieux pourront venir les voir »  

BM : Pour justifier ce projet, l’entreprise américaine a précisé que cette désextinction permettrait de combattre le réchauffement climatique. Pouvez-vous nous en dire plus ?  

LC :  Tout part du pergélisol, ce sol perpétuellement gelé, parfois depuis des millions d'années. A l’égard de beaucoup d’autres paysages, ce dernier est de plus en plus menacé par le réchauffement climatique qui pourrait entrainer la libération de gaz enfouis ou même la déformation de la surface du sol. En ce sens, plusieurs écologues et paléontologues ont rappelé que les gros mammifères, qui vivaient sur Terre il y a quelques dizaines ou centaines de milliers d’années, passaient toute leur vie à piétiner le pergélisol, et se nourrissaient en retirant la neige de la surface du sol, lui permettant ainsi de se refroidir plus vite.  

Une idée reprise par Colossal Biosciences afin de contrer le réchauffement climatique. En théorie, la réintroduction de troupeaux de mammouths dans la toundra pourrait contribuer, selon eux, à ralentir ce processus, en abattant les arbres, en raclant les couches de neige et permettre à l’air froid d’atteindre le sol et maintenir le pergélisol, et en laissant des excréments qui fertiliseraient ces nouvelles praires arctiques. Mais de là à dire qu’en remettant des mammouths sur terre, on va contrecarrer le réchauffement climatique… ça parait complètement illusoire ! 

BM : Quels sont les risques ou les problèmes éthiques que cette désextinction soulève ?   

LC : Le risque, c’est mettre beaucoup d’efforts dans un projet qui se soldera par la création d’un animal de foire qu’on mettra derrière une cage. Ça serait la pire des choses qui puisse se faire. Mais c’est malgré tout ce qui risque d’arriver, à l’image du film Jurassic Park, on exposera les mammouths sur une île où les curieux pourront venir les voir.  

Les questions d’éthiques sont quant à elles gigantesques. Est-ce une bonne idée de faire revivre un mammouth laineux à l’heure du réchauffement climatique ? Comment évoluerait-il dans un environnement qui ne correspondrait plus à ce que ses ancêtres ont connu ?  

Beaucoup d’environnementalistes s’accordent à dire que si on commence à partir dans cette direction-là, on aura à faire à deux grands écueils. D’une part, parce qu’une grande partie des financements dédiés à la protection de l’environnement pourrait se retrouver au second rang face à ce type de projet qui peut semblait plus attractif pour les investisseurs. D’autre part, on minimiserait l’importance de la protection des environnements et des espèces, puisqu’il y aurait une « solution » et qu’il serait possible de les faire revivre plus tard.  

BM : Ce projet serait-il aussi un moyen pour l’homme de réparer ses fautes ?  

LC : En ce qui concerne le mammouth pas vraiment, car il est mort bien avant que l’homme puisse avoir un réel impact sur son cycle de vie. En revanche, pour des espèces plus récentes de grandes tailles, qui ont disparu par la faute de l’homme, effectivement.  
Par notre faute, il ne reste plus que 4 % de mannifères sauvages sur Terre. A l’époque, on ne se posait pas de question, mais aujourd’hui on commence à enclencher des actions pour réparer nos fautes. Je pense par exemple au thylacine, également connu sous le nom de tigre de Tasmanie, qui a disparu il y a peu de temps par la main de l’Homme et pour des raisons absurdes (à l'arrivée des colons en Australie, le thylacine est catégorisé comme tueur de moutons et sera chassé intensivement jusqu’à son extinction en 1930 NDLR). Les écosystèmes sont là, les spécimens assez bien conservés, donc tous les voyants seraient au vert pour le faire revivre dans de bonnes conditions.  

BM : Diriez-vous que la désextinction est un secteur porteur ?  

LC : Complètement ! La haute technologie de ce type attire énormément les investisseurs, notamment quand elle est associée à une ambition révolutionnaire ! 
Mais contrairement à des particuliers ou des entreprises qui ambitionneraient de faire du profit à travers cet investissement, ici je pense qu’il s’agit davantage de personnes souhaitant participer à un projet hors norme.  

mélanie

Mélanie Bruxer

Rédactrice web