Jour E : Vers une réindustrialisation circulaire

Paul-François Fournier, le directeur exécutif Innovation de Bpifrance, a animé le 4 avril dernier sur Jour E, une conférence sur la réindustrialisation circulaire. Eléonore Blondeau, experte industrie circulaire & cofondatrice de CSI France et Christian Bruere, président de Mob-ion ont pris la parole.

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Jour E
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Le jeudi 4 avril 2024, à Nantes, a eu lieu le salon Jour E dédié aux professionnels souhaitant mettre leur business au vert. A cette occasion, le directeur exécutif Innovation de Bpifrance Paul-François Fournier a interrogé deux industriels investis dans la cause, autour du sujet de la réindustrialisation circulaire : Eléonore Blondeau, experte industrie circulaire & cofondatrice de CSI France et Christian Bruere, président de Mob-ion. Un échange percutant et inspirant.  

 

Paul-François Fournier : Pouvez-vous présenter votre entreprise / association ? 

Eléonore Blondeau : Après avoir créé une startup spécialisée dans le réemploi d’emballages, j’ai cofondé le Collectif Startups Industrielles France (CSI), une association qui vise à faire connaitre les startups industrielles dont l’innovation repose sur un produit ou procédé duplicable à grande échelle. L’innovation peut être diverse : technologique, d’usage, de produit, marketing... CSI communique sur ces startups, leurs besoins et sur les solutions que l’écosystème pourrait développer pour y répondre. 

Christian Bruere : Mob-ion est un constructeur de scooters électroniques à pérennité programmée circulaire. On est le seul constructeur homologué à avoir un véhicule fabriqué en France certifié par l’AFNOR. Notre scooter est moins cher car on vend l’usage et non le produit. Il est démontable, durable et très compétitif avec un prix locatif de 50 euros TTC par mois sans frais cachés. On a démontré qu’il était possible, en utilisant la loi des composants, l’économie circulaire et la vente à l’usage, de construire une industrie française très compétitive. Notre scooter est moins cher que ceux des Chinois et Indiens sur le territoire européen. Notre signature sera d’ailleurs bientôt : « le scooter le moins cher d’Europe est en France ». 

 

PFF : Qu’entendez-vous par « réindustrialisation circulaire » ? 

Eléonore Blondeau : Pour réindustrialiser la France, il faut prendre en compte les enjeux sociétaux et environnementaux. On ne peut pas industrialiser tout et n’importe quoi, les skates connectés ne m’intéressent pas. Mais se soigner, éduquer, se nourrir, se loger... c'est essentiel. Notre association soutien des projets avec une approche multicritères, intégrant les enjeux de CO2 mais aussi de matière, eau, énergie, déchets, biodiversité… sur l’ensemble du cycle de vie du produit / procédé mais aussi sur son business model associé.  

Pour comparer l’industrie classique à celle circulaire, prenons l’exemple d’une chaise, qui peut être produite en Asie par des enfants, en multi matériaux, non réparable, non recyclable, vendue à l’unité. Mais elle peut également être produite en France, par quelqu’un payé à sa juste valeur, en mono-matériaux, réparable, recyclable et vendue à l’usage.  

La chaise est un exemple comme un autre. Aujourd’hui, on ne sait plus produire de vis en France, et pourtant on en trouve partout ! Pour réindustrialiser le pays, on a évidemment besoin d’innovations de rupture, mais aussi de relocaliser la production de pièces simples. 

Christian Bruere : Parmi les 3R de la gérance environnementale, « Réduire, Réemployer et Recycler », je pense que la vraie solution réside dans la réduction des composants. Dans tout bien d’équipements coopèrent des composants qui, par nature, n’ont pas la même durée de vie. Des composants chimiques tels des condensateurs ont une durée de vie qui se calcule en heures, tandis que des roulements, joints, aimants permanents, des matériaux comme le cuivre, inox, aluminium, n’ont pas de durée de vie limitée, sauf quand soumis à de fortes fatigues mécaniques. La plupart du temps, ils n’ont donc tout simplement pas besoin d’être remplacés ! Avec Mob-ion, en fin de contrat nous récupérons le produit, le démontons, récupérons 78 % de sa valeur, réemployons 62 % des composants. Cela représente une économie d’énergie, de ressource, de temps, d’argent, de logistique, mais aussi de la création d’emplois et de la sécurisation des approvisionnements… la liste est longue.  

 

PFF : Comment faire basculer les entreprises vers cette réindustrialisation ? 

Christian Bruere : On n’est pas les premiers à faire de la réindustrialisation circulaire. Les agriculteurs le font depuis longtemps sur des produits qui ne sont pas pensés « low tech ». Mob-ion fabrique des scooters démontables sans outils lourds. Cela demande de penser la conception à l’opposé de ce qu’on fait aujourd’hui. Alors que les constructeurs automobiles économisent des centimes et des secondes sur les lignes de production, nous rajoutons des euros et des heures, car ce n’est pas le sujet. L’important est la totalité du prix. Je m’explique. Chez Mob-ion, le CAPEX (dépenses d'investissement) n'impacte pas nos décisions ; ce qui nous intéresse est le coût total de la possession du produit, donc la somme du CAPEX et de l’OPEX (dépenses d'exploitation). Dans notre modèle comptable, nous n'amortissons pas la charge du composant vendu mais une dotation annuelle sur la durée du contrat. Résultat, nous sommes plus compétitifs que les Indiens ou Chinois ! Notre marge est de facteur 5, tandis que celle des Chinois n'est même pas de 2. 

L’amortissement des composants, rendu possible par une loi en 2016, est aussi une avancée. Avec Mob-ion, on a demandé une dérogation pour amortir des composants de moins de 500 euros. On s’est battu, on a gagné. Aujourd’hui on lutte pour un amortissement au-delà de 20 ans, car cette durée arbitraire n’a aucun sens pour un aimant permanent ou un bobinage de cuivre qui ont une durée de vie bien plus longue. 

 

PFF : Pour aller vers une réindustrialisation circulaire, faut-il penser Deeptech ou low tech ? 

Eléonore Blondeau : On a eu tendance politiquement à mettre le modèle Deeptech en avant, et à délaisser les fabricants d’objets simples, comme une vis. On a besoin du disruptif comme on a besoin du terre-à-terre. En France on a plein d’idées grâce à nos centres de R&D. Mais nos inventions s’industrialisent en Asie ou aux Etats-Unis, lesquels nous imposent ensuite nos propres créations, selon leurs pratiques ! Nous y perdons également en souveraineté et en sécurité d’approvisionnement. Nous avons les moyens d’innover mais on laisse tout fuir, c’est frustrant ! 

Christian Bruere : On a besoin de Deeptech, mais leur consacrer une majeure partie des 54 milliards du Plan France Relance 2030 est une erreur. L’innovation n’est pas que technologique, elle est humaine, sociale, comptable, financière... Malheureusement nos fonds d’investissements ne prêtent pas attention à la disruption si elle n’est pas technologique.  

 

PFF : La capacité à changer notre manière de consommer est-elle un frein ? 

Eléonore Blondeau : Il y a un enjeu d’éducation chez les consommateurs et les offreurs. Les solutions circulaires existent en France, qu’elles soient digitales, servicielles ou industrielles, mais elles rencontrent des difficultés à trouver des clients par manque de sensibilisation. Après la « carbone mania », on commence à peine à parler circularité ; pourtant le marché existe. Le marketing et la communication doivent en prendre conscience. 

 

PFF : Un conseil pour repenser son business de manière circulaire ? 

Eléonore Blondeau : Il faut adopter un approvisionnement durable avant d’éco-concevoir, pour ensuite adopter le modèle de l’usage – qui n’est pas nouveau, la location de camion est un vieil exemple. Enfin, il faut penser consommation responsable. Pour ce faire, le lien entre les équipes marketing et d’ingénierie est à développer. Le producteur et le consommateur ont une responsabilité commune. 

Christian Bruere : Pour nous, le recyclage est un aveu d’échec à la conception. Avec Mob-ion on souhaite réutiliser les carénages des scooters en les concevant différemment et grâce à une technique de nettoyage appelée aérogommage (décapage innovant), pour les garder 40 ans. 

Marion Bouche, Rédactrice Web

Marion Bouche

Rédactrice Web