Eric Nguyen [Microids] : “l’objectif est que le gamer retrouve un univers qu’il chérit”

À presque quarante ans, Microids est le plus vieil éditeur français de jeux vidéo. Spécialisée dans l’exploitation de licences grand public, l’entreprise est devenue un acteur incontournable de l’industrie. Retour sur ce qui fait le succès de ses adaptations. 

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Tintin reporter Les cigares du Pharaon
Tintin reporter les cigares du Pharaon dr/ Microids

Coup de tonnerre - de Brest - dans le milieu du jeu vidéo : l’annonce par l’éditeur français Microids de la sortie imminente de Tintin reporter Les cigares du Pharaon. D’ailleurs, avec XIII, Marsupilami, Astérix et Obélix dans son catalogue, la société n’en est pas à son coup d’essai. Pionnière du jeu vidéo en France, l’entreprise créée en 1984 se démarque notamment par le nombre d’adaptations que présente son catalogue. « Cette spécialisation est forcément rassurante pour les ayants droit avec qui nous discutons », souligne Eric Nguyen, le directeur marketing de Microids. Dans un long entretien accordé à Big média, il revient sur les enjeux et étapes de conception d’un jeu vidéo sous licence.  

« On tend de plus en plus vers des titres possédant une aura à l’international » 

Big média : Quand on est éditeur, comment fait-on pour sélectionner les licences intéressantes ?  

Eric Nguyen : C’est une vaste question, car les licences se retrouvent sur une multitude de médias. Ça peut autant être une adaptation tirée du cinéma, de l’animation, que d’un roman ou d’une bande dessinée. De notre côté, chez Microids, je pense qu’on retrouve une certaine cohérence au travers de notre catalogue. XIII, Blacksad ou encore Marsupilami.  Faire partie du groupe Média participation (groupe franco-belge spécialiste de l’édition, ndlr.), nous pousse forcément à travailler des adaptations venant de l’univers de la bande dessinée. Récemment, nous avons aussi travaillé sur une adaptation de Vertigo d’Hitchcock ou d’un livre de Bernard Werber. Les gamers sont souvent passionnés par la pop culture, c’est surtout dans cette veine qu’on ira piocher des licences qui interpellent le grand public.  

D’un point de vue pragmatique, on tend aussi de plus en plus vers des titres possédant une aura à l’international. C’est bête, mais quand on travaille sur un jeu « Les Schtroumpfs », c’est une licence qui est très forte aux États-Unis. Forcément, ça représente un véritable intérêt commercial. Ce qui est intéressant dans notre cas, c’est que même en faisant partie d’un groupement média, on travaille aussi avec des ayants droit « externes ». Astérix, reste sous le compte des éditions Albert René, pourtant, on collabore avec eux depuis de nombreuses années. 

 BM : Comment fait-on pour rester fidèle à l’identité d’un film, d’une bd, d’un livre quand on l’adapte dans un jeu vidéo ?  

EN : Tout commence par la « préprod ». On réfléchit si on souhaite proposer à l’ayant droit une adaptation fidèle ou une histoire originale. Cette phase se conclut par la rédaction d’un scénario qui doit évidemment être validé par le propriétaire de la licence.  

Une fois que cette étape terminée, l’adaptation demeure un point crucial. Par exemple, quand on travaille à partir d’une BD, il faut transformer des dessins 2D en 3D pour le jeu vidéo. C’est un travail de longue haleine qui nécessite de la collaboration entre le studio, la production, nos équipes et les ayants droit. Ça peut être long, mais il ne faut pas se précipiter. On ne peut pas proposer une première version du jeu sans avoir préalablement validé le game design. Une fois que c’est fait, la production avance et on déroule.  

« Si certains points sont incohérents, l’expérience du joueur risque d’en pâtir » 

BM : Au-delà d’un « droit de veto », qu’apporte l’ayant droit dans la conception du jeu ? 

EN : Son apport varie fortement en fonction de son investissement dans le projet. Au-delà de la validation, quand tout se passe bien, ce dernier nous apporte les repères nécessaires pour avancer. Lors de l’exploitation d’une licence, l’objectif est de permettre au gamer de retrouver un univers qu’il chérit. Si certains points sont incohérents, l’expérience du joueur risque d’en pâtir. Il est donc important que l’ayant droit joue ce rôle de garant et qu’il aide les développeurs à ne pas oublier certaines choses, à corriger certains aspects.  

Typiquement, sur Blacksad (Bande dessinée présentant une atmosphère de film noir dans un univers anthropomorphe, ndlr.), on travaillait directement avec Juan Diaz Canales, l’auteur de la bande dessinée. C’était très intéressant, car même s’il n’est pas particulièrement féru de jeux vidéo, il nous donnait des retours très précis sur ce que pourrait faire un chat ou un taureau. Il était très attaché à ce genre d’aspects et les développeurs prenaient vraiment en compte ses indications pour réajuster comportements et mimiques des personnages.  

BM : Quel aspect vous plaît le plus quand vous travaillez sur une adaptation ? 

EN : Dans l’entreprise, nous sommes tous un peu des geeks, on a tous quelques titres sur lesquels on rêve de travailler. La signature de certaines licences, comme récemment celle de Goldorak, qui font écho à notre jeunesse, nous rend très enthousiastes. Forcément, ça apporte quelque chose en plus.  

Le travail sur Goldorak est de toute façon galvanisant pour nous. Ça faisait plusieurs décennies qu’on n’avait rien vu de cette licence, sur aucun support. Là, on revient avec l’annonce du jeu qui a provoqué un grand engouement et qui a concordé avec un projet de BD et d’une série animée qui est en cours. On sent qu’il va y avoir un revival très fort, c’est très excitant de faire partie de cette vague.  

« Être dans le bon timing est essentiel pour qu’un jeu sous licence soit un succès » 

 BM : Au final, les discussions prennent des années entre l’ouverture des tractations avec l’ayant droit et la sortie du produit fini. Comment anticiper l’évolution de la notoriété d’une licence ?  

EN : Évidemment, cette question est au cœur de nos discussions en interne, car c’est un enjeu business majeur. La première question qui se pose, quand on va voir un ayant droit, ou vice-versa, c’est la portée du projet. Forcément, une aura nationale ou internationale ne se valorise pas de la même manière. On spécule sur le fait que la licence continue à croître dans les années à venir. Il faut se caler sur l’actualité. Être dans le bon timing est souvent essentiel pour qu’un jeu sous licence soit un succès. Si les discussions concernent un film qui doit sortir dans un an, et qu’aucune suite n’est prévue, les négociations risquent de ne pas aboutir, car il ne faut pas que le jeu sorte trop tard.  

Mais ce manque de certitude se gère aussi. Le risque diminue fortement avec certaines licences emblématiques. C’est notamment le cas, quand on travaille sur des jeux Astérix, Tintin ou les Schtroumpfs. Là, on sait qu’il y a un historique, avec des personnages transgénérationnels qui font l’objet d’actualités récurrentes depuis des années. Pour rappel, ça fait des décennies que les BD Astérix restent le bien culturel le plus vendu en France. Forcément, c’est le type d’information qui rassure l’éditeur de jeux que nous sommes lors des négociations.  

 

Martin Ferron
Martin Ferron Rédacteur Web