Du Périgord au GAMESCOM, comment Aymeric Castaing et Cédric Babouche sont devenus des artisans du jeu vidéo avec Dordogne

Largement salué par la critique pour son esthétique onirique, le jeu vidéo Dordogne est attendu pour le premier trimestre 2023. Aymeric Castaing à la tête du studio Umanimation et Cédric Babouche à l’initiative du jeu, reviennent sur ce projet phare et sur les enjeux auxquels font face les studios indépendants. 

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Dordogne jeu vidéo
dr / Umanimation, Un Je Ne Sais Quoi

« À la différence de l’animation où l’on impose le contenu, avec le jeu vidéo on ne fait que proposer l’histoire aux joueurs ». Après 17 ans de production de dessins animés, Cédric Babouche fondateur du studio Un Je Ne Sais Quoi, travaille maintenant avec ses équipes à la réalisation de Dordogne, un jeu vidéo entièrement peint à la main. Pour que ce projet devienne réalité - virtuelle - le réalisateur girondin a décidé de joindre ses forces à celles d’Aymeric Castaing, à la tête d’Umanimation. La fusion des deux studios semble fructueuse. PAX de Boston, GAMESCOM, TOKYO Games Show : dans tous les plus grands salons dédiés, face aux grandes licences du secteur, Dordogne a su se faire remarquer. Interview.  

« Quand on propose un jeu vidéo peint à la main, on se démarque » 

 

Big média : Parmi l’offre foisonnante en jeux, qu’est-ce qui fait la particularité de Dordogne ?  

Cédric Babouche : Dordogne, c’est l’histoire de Mimi, une jeune femme dont la grand-mère vient de décéder, alors qu’elle ne l’avait pas vue depuis vingt ans lors d’un été oublié depuis. Elle retourne donc au domicile de cette dernière pour se souvenir. Au fil de l’histoire, le joueur incarne successivement Mimi adulte ou à ses douze ans, afin de reconstituer ses souvenirs enfouis. C’est un jeu narratif et non punitif, c’est-à-dire que le joueur ne peut pas perdre. On essaye de créer le moins de frustration possible chez le joueur pour qu’il aille jusqu’au bout de l’histoire.  

Après, notre USP (unique selling point, point de différenciation avec la concurrence, ndlr), c’est évidemment l’aspect graphique qui est singulier dans le milieu. On a fait le choix de techniques traditionnelles ramenées à la 3D, ce qui se fait très peu dans l’industrie du jeu vidéo. Personnellement, je peins beaucoup sur motif, c’est à dire sur place. Nos bureaux étant à Bordeaux, nous ne sommes qu’à deux heures en voiture de la Dordogne. On se déplace là-bas et forcément ça déteint sur le rendu final.  

BM : Depuis la dernière GAMESCOM à Munich, les retombées presse se multiplient. Comment expliquez-vous cet engouement autour de Dordogne ?  

Aymeric Castaing : Déjà parce que tout a été fait pour. Ça fait déjà quatre ans que nous travaillons sur le sujet avec Charlène Lebrun, notre attachée de presse. La GAMESCOM, c’est vingt-six interviews en deux jours ! Bref, tout ça ne tombe pas du ciel. Mais on est très heureux de cet engouement médiatique. Lorsqu'on met une stratégie presse en place, qu'on investit dans une agence, nous n'avons aucune garantie de visibilité derrière. Mais là, force est de constater que ça marche !  

Comment expliquer ce succès ? Eh bien, il faut dire que nous avons découvert l’univers des salons de jeux vidéo avec ce projet. En passant de conférences en conférences, on a découvert un univers très bruyant. Celui qu’incarne les jeux d’arcades et d’actions.  Forcément à côté de ça, quand on propose un jeu peint à la main, on se démarque. 

« On prend garde de conserver ce côté familial » 

 

BM : Que ce soit avec Umanimation ou Un Je Ne Sais Quoi, vous avez fait le pari du transmédia. Pourquoi ce choix ?  

C.B : Parce qu’un projet, dans notre secteur d’activité, c’est d’abord une histoire ! Il serait dommage de s’enfermer dans un seul média pour la raconter. On pense systématiquement à ce qu’on veut dire avant de plancher sur le support qui colle le mieux. Parfois ça passe par une BD ou un jeu vidéo, d’autres fois, on préfère produire un double vinyle avec une livre illustré. Il n’y a pas de règles prédéfinies, mais dans tous les cas, on essaye de trouver le moyen de servir au mieux l’histoire.  

Et fondamentalement, c’est aussi une question de motivation et d’ouverture d’esprit. Il faut savoir créer et communiquer de l’envie autour d’un projet, promouvoir la polyvalence et l’ouverture.  

A.C : Et j’ajouterais, avec une pointe de pragmatisme, qu’au début c’est aussi cette polyvalence qui nous a permis de nous développer ! Aujourd’hui, on peut dire que tous les voyants sont au vert d’un point de vue financier pour Dordogne, mais le côté entrepreneurial est toujours très présent dans notre manière de fonctionner. Pour le studio, l’aspect « prestation de service » reste central pour continuer à grandir et financer nos projets. Récemment, nous avons développé un outil de VR (réalité virtuelle, ndlr) pour la formation sécurité du groupe Vinci, et produit des contenus interactifs à destination de musées. Si demain l’activité jeux vidéo nous rapporte des millions, on changera peut-être notre façon de voir les choses, mais aujourd’hui la prestation est vraiment au cœur de notre ADN.  

BM : En tant qu’indépendant sur un marché ultra-concurrentiel, comment comptez-vous vous démarquer ? 

C.B : En misant sur les acquis de Dordogne : l’esthétique et des projets narratifs à haute valeur ajoutée. Aujourd’hui, avec les animations peintes à la main, nous sommes vraiment identifiables sur le marché des jeux vidéo. C’est quelque chose que j’ai envie de poursuivre et cultiver, même si en interne on compte bien continuer à pousser nos talents sur d’autres pistes.  

A.C : On est une trentaine dans le groupement. Je pense qu’on peut encore grandir un peu, mais en prenant garde à conserver ce côté familial et « fait à la main » auquel nous tenons beaucoup. Notre cœur de métier, c’est d’être des créateurs d’IP (propriétés intellectuelles, ndlr), on préfère donc rester « petit », quitte à travailler en coproduction avec d’autres studios sur des projets d’envergure. 

 « En France, on dispose d’aides financières de l’Etat ce qui est un vrai plus quand on se lance » 

 

BM : Les géants du streaming, à l’image de Netflix, se tournent aujourd’hui vers le jeu mobile. Comment cela va-t-il bouleverser le marché d’après vous ?  

A.C : Pour nous ce n’est que des opportunités (rires). Notre métier, c’est d’avoir des idées, de les développer et de trouver des financements pour les faire vivre. Forcément, on est enthousiaste face à l’arrivée de nouvelles sources de financements. Après, honnêtement, le marché du jeu vidéo est de toute façon tellement dynamique qu’il est difficile de connaître l’impact que ces acteurs auront. Peut-être que ça donnera plus de visibilité à des studios de taille moyenne, comme le nôtre. 

C.B : On le voit dans l’audiovisuel, les plateformes donnent tout de même une grande liberté aux créateurs une fois que le chèque est signé. À mon avis, l’arrivée de ces acteurs sur le marché du jeu mobile va aboutir à la production de jeux plus longs, complets, ambitieux. Evidemment, pour nous qui souhaitons travailler l’aspect transmédia et narratif, c’est une perspective intéressante.  

BM : Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui envisage de se lancer dans le jeu vidéo indépendant ?  

C.B : Premièrement, de ne pas avoir peur d’échouer et de se lancer ! Avec Aymeric, on a intégré cette industrie sur le tard et on a réalisé que c’est plutôt facile de rencontrer des professionnels du milieu au travers de salon ou en contact direct. Surtout, il ne faut pas hésiter à contacter le CNC, quand on veut déposer un dossier parce qu’on trouve une vraie écoute et des conseils très pertinent.  

Après, il ne faut pas avoir les yeux plus gros que le ventre. Souvent pour obtenir des financements sur un projet ambitieux, il faut déjà avoir réalisé des projets de moindre envergure. En France, l’avantage c’est qu’on dispose d’aides financières de l’Etat ce qui est un vrai plus quand on se lance. C’est d’autant plus intéressant, que souvent on obtient un retour bienveillant et critique sur ce qu’on propose.  

Enfin, mon dernier conseil, c’est de bien s’entourer. Souvent l'erreur du débutant c’est de vouloir avoir la main sur tout, mais on se rend vite compte que c’est très compliqué. De mon expérience, participer à des « Gamejam » (événement sur le modèle du hackathon, où l’objectif est la création d’un jeu vidéo en équipe, sur un laps de temps très restreint, ndlr) est une excellente opportunité de rencontrer d’autres talents aux compétences complémentaires avec qui vous pourriez vous tenter l’aventure.  

 

Martin Ferron
Martin Ferron Rédacteur Web