Pêche éthique, quelles pratiques pour une exploitation plus durable ?

Disparition de la pêche côtière, pollution et gâchis alimentaire, l’exploitation du poisson questionne quant à son impact social et environnemental. Pourtant, entre boycott et culpabilité, une troisième possibilité semble ouvrir la voie vers une consommation durable.  

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Chalutier Peche ethique

Central dans le régime alimentaire de beaucoup français, le poisson est un aliment plein de bienfaits. En plus d’être reconnu pour ses qualités gustatives, il est à la fois source de protéines, de phosphore, et de vitamines A, D et E. Pourtant il y a un hic, et rapidement on tombe sur un os – ou plutôt sur une arête - en s’attardant sur les conséquences de la pêche industrielle sur l’environnement.   

Cet été, Big média a embarqué avec deux entrepreneurs qui s’engagent pour une pêche alternative, éthique, durable et juste pour tous. Ingénieur agrohalieutique (exploitation des ressources vivantes aquatiques) de formation, Charles Guirriec a fondé la plateforme Poiscaille. Depuis 2015, sa société s’efforce de développer la pêche de circuit court, calquée sur le système des paniers-légumes. Karim Vincent Viry a lui 30 ans d’expérience dans l’agroalimentaire. Face à la réalité du gaspillage alimentaire des grandes surfaces, il propose depuis 1 an et demi un système de paniers « anti-gaspi » avec sa coopérative Finisterestes29

« 30% du poisson pêché est transformé en farine animale » 

« Aujourd’hui, si tu achètes un dos de cabillaud chez Franprix, il y a de bonnes chances qu’il ait été pêché au nord de la Norvège, à la frontière avec la Russie. Il passera par les centres de ventes de Boulogne-sur-Mer, de Rungis, ou des deux, avant d’être acheminé dans les supermarchés », explique Charles Guirriec. Dans les rayons, comme pour les fruits, le consommateur doit souvent choisir entre fraîcheur et empreinte carbone souligne le fondateur de Poiscaille. « Pour conserver sa qualité, le poisson pêché en mer du Nord est fréquemment acheminé par avion. Autrement, il est transporté par camion et ça prend une dizaine de jours ». Bien entendu, plus le produit est transformé, plus il cumule de kilomètres au compteur. Il n’est d’ailleurs pas rare que certains produits surgelés passent par des prestataires en Chine. 

Ce système n'est pas sans conséquence pour la biodiversité. Actuellement, le poisson est pêché en quantité telle, que certaines espèces n’ont pas le temps de se renouveler. La FAO (The Food and Agricultural Organisation of the United Nations), relate qu’en 75 ans, la somme des productions halieutiques et aquacoles a été multipliée par 9 - une augmentation largement supérieure à la croissance démographique sur la même période.  

Mais cette hausse de la consommation n’est pas le seul facteur alarmant. « En France, on mange principalement du saumon, du cabillaud et des gambas tropicales » résume l’ingénieur agrohalieutique, qui note que de nombreuses espèces sont donc délaissées par simple méconnaissance des consommateurs. Or, cette forte demande pour seulement quelques espèces entraîne à la fois des importations lointaines, et dans le même temps aboutit au gâchis de nombreuses spécimens pêchées « par accident ». « On estime que 30% du poisson pêché est transformé en farine animale, alors que ce dernier est propre à la consommation alimentaire ». Le fondateur de Poiscaille déplore un impact environnemental, mais aussi social puisque la pêche artisanale est également victime de l’intensification de la pêche industrielle.  

« Notre rémunération est 40 à 60% supérieure au prix du marché » 

  Charles Guirriec s’est inspiré du système AMAP (association pour le maintien de l’agriculture paysanne) pour le transposer au milieu de la pêche. Le principe est de proposer un « casier » hebdomadaire de poisson frais au prix fixe de 22,90€. Distribués via un réseau de commerces de proximité sur l’ensemble du territoire, ces paniers respectent un cahier des charges strict : une zone de pêche qui ne va pas au-delà de 20km des côtes françaises, des navires de moins de 12 mètres et un laps de temps inférieur à 72h entre la sortie du poisson de la mer et la réception du colis. La plateforme s’engage aussi à offrir une rémunération juste pour le marin pêcheur, bien que l’écart de rémunération n’e soit pas fixe - les prix du marché évoluant quotidiennement à la criée. « On a fait évaluer nos prix par des experts de l’INRAE. Sur nos principales espèces, notre rémunération est 40 à 60% supérieure au prix du marché », justifie Charles Guirriec.

Aujourd’hui, la jeune pousse girondine compte 20 000 abonnés à son offre et travaille avec 250 pêcheurs et conchyliculteurs - ce qui représente environ 5% de la flotte française. Pour être viable, Poiscaille propose des poissons méconnus du grand public comme le chinchard, une espèce souvent délaissée en Europe pourtant très prisée en Asie. Un engagement gagnant-gagnant car cela permet d'exploiter des variétés qui ne sont pas surpêchées, et dont la valeur marchande est moindre.  

« On jette quotidiennement 10 tonnes de poisson » 

Pour Karim Vincent Viry, le fondateur de Finisterestes29, la question de la pêche éthique ne peut être posée sans aborder l’accessibilité de la ressource pour tous. Et si les Français consomment en moyenne 35kg de poisson par an (d’après la fondation GoodPlanet), l’accès à cette denrée demeure compliqué pour de nombreux foyers. Une problématique insoutenable pour l’entrepreneur breton, au regard de l’ampleur du gaspillage alimentaire. « Le cahier des charges instauré par l’agroalimentaire est responsable du gâchis d’environ 20% de la production agricole », explique le fondateur de Finisterestes29 consterné par ce constat. Pour répondre à cette problématique, il commercialise avec son entreprise partout en Bretagne des paniers « anti-gaspi » sur l’application TooGoodToGo

 « Dans les ateliers de filetage de Lorient (56), j’ai vraiment été atterré par ce que j’ai vu, témoigne Karim Vincent Viry. Les grandes surfaces et le milieu de la restauration ont besoin de pavés de poissons de 150 grammes, donc on débite les filets automatiquement avec des machines, et le reste, la partie la plus proche de la queue est souvent transformé en farine animale ». En France, cette méthode entraîne près de 50% de perte de poisson tout à fait propre à la consommation. « Lorient est le deuxième port de pêche français. La marchandise qui y transite se commercialise sur les étals à des prix variants entre 10 et 20 euros le kilo. C’est quand même invraisemblable de se dire qu’on en jette quotidiennement 10 tonnes », souligne-t-il. 

Acheter des poissons entiers pour limiter les pertes 

En réponse, l’entrepreneur breton a eu l’idée de proposer des sachets de 250 grammes de poisson à mettre directement dans son frigo. « On remplit les poches avec différents morceaux de filets récupérés directement lors de la découpe pour l’agroalimentaire. Le poisson est donc tout aussi frais, le gâchis en moins », explique Karim Vincent Viry. La particularité de ces sachets est que leur emballage ne spécifie pas ce qu’ils contiennent ! « En fait, cette singularité est vraiment intrinsèque à la démarche anti-gaspi, explique l’entrepreneur qui précise, l’essentiel est de valoriser un maximum de poisson frais, peu importe son espèce ». Fort de son succès, Finisterestes29 a déjà distribué plus d’un million de paniers via ses 50 points relais.  

Si Charles Guirriec déplore que le consommateur final manque souvent d’informations claires pour mieux consommer, il souligne cependant que quelques réflexes peuvent faire toute la différence. « Une très bonne pratique de consommation, c’est déjà d’arrêter le plus possible d’acheter du saumon, du cabillaud et des gambas tropicales », affirme le fondateur de Poiscaille en rappelant que ces espèces sont surpêchées et très souvent importées. Un conseil d’autant plus valable que les espèces moins connues sont aussi plus abordables lors du passage en caisse. 

Plus une habitude qu'une contrainte, les amateurs de poisson peuvent aussi observer les zones de pêche sur les étiquettes. « L’avantage c’est qu’on peut s’assurer d’avoir du poisson qui provient de la Manche, du Golfe de Gascogne ou de Méditerranée ».  Sur les codes-barres, on retrouve les spécimens pêchés en Méditerranée de l’Ouest dans la zone 37.1, la zone 27.VIII correspond au Golfe de Gascogne et les captures issues de la Manche sont étiquetés zone 27.VII. Enfin, dans une pratique « anti-gaspi », Charles Guirriec conseille de se tourner vers des produits entiers. « À la découpe, le poisson génère près de 50% de pertes, alors qu’en entier, on en consomme 70 à 80% », conclut-il.  

Martin Ferron

Martin Ferron

Rédacteur Web