Parentalité et entrepreneuriat : comment concilier les deux ?

Que vous soyez dirigeant, manager ou collaborateur, la gestion de la vie parentale est une étape complexe qui nécessite temps et accompagnement. Pour vous aider, il existe des structures qui vous prépare à cette nouvelle étape. Rencontre avec Mathilde Tréhu, cofondatrice de Nid-e, un incubateur de parentalité en entreprise.  

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Nid-e

Accompagner les entreprises à prendre soin de la santé physique et mentale de leurs collaborateurs futurs parents, c’est toute l’ambition de Nid-e. « Cette offre est à destination des entreprises qui peuvent ainsi proposer un parcours à leurs salariés et parents en devenir, mais aussi à leurs managers », détaille Mathilde Tréhu, co-fondatrice de l’entreprise. 

A travers un parcours d’accompagnement dédié aux mères et aux co-parents, Nid-e intervient du début de la pause parentale jusqu’au retour au travail. « L’idée c’est de les soutenir, les préparer à l’après naissance sur tous les sujets essentiels, comme le sommeil (qu’il s’agisse de celui des parents, comme celui de l’enfant), les maux physiques, psychologiques, la charge mentale, la préparation à la reprise du travail ». En parallèle, l’incubateur propose également une offre qui à destination des managers en vue de les sensibiliser et outiller dans la gestion de la parentalité des membres de leur équipe.  

« Ce n’est pas donné à tout le monde de bien s’y prendre, et avec les bons mots. De plus, je trouve qu’il y a très peu d'informations sur la gestion de ce moment de vie et, bien souvent, on laisse chaque manager gérer ça à sa façon, au petit bonheur la chance. Sauf qu’en général, quand on n'est pas vraiment à l'aise avec l'exercice, des maladresses peuvent se produire ou alors des manquements qui, à terme, sont susceptibles d’abîmer le lien de confiance avec l'entreprise », affirme la jeune femme.  

En en matière de parentalité, salariés comme entrepreneurs nagent donc dans le même bain ! Une étape de vie que nous détaille la co-fondatrice de l’incubateur.  
 

Big média : Le concept de NID-e est-il né suite à une expérience personnelle ?  

Mathilde Tréhu : Effectivement, et on peut dire mon associée Emilie et moi avons pris une vraie claque ! Toute notre vie de femme, on nous a appris à nous préparer à l’accouchement et prendre soin de notre corps pendant la grossesse, mais personne ne nous a jamais expliqué comment gérer l’après naissance et tout ce que cette étape de vie entraine comme bouleversement, tant dans notre vie perso que dans notre carrière.  

BM : Justement, quels types de bouleversements rencontrent les parents que vous accompagnez ?  

MT : Il y a des personnes qui souffrent de bouleversements psychiques. Pour rappel, 10 à 20 % de femmes font des dépressions post-partum en France, une étape qu’elles et leurs conjoints gèrent en règle générale dans la sphère familiale, mais qui impacte souvent d’autres pans de leur vie. Il y a aussi les bouleversements physiques, au-delà des suites de couches, on ajoute à un corps qui est en convalescence un dernier coup de massue qui est la privation de sommeil. Une privation dont il est souvent difficile de se remettre. 

Le troisième bouleversement est d’ordre identitaire. 80 % des femmes affirment se sentir différentes après leur accouchement et déclarent souffrir d’une « perte de soi ».  Ce sentiment, c'est l'illustration de la « matrescence », un phénomène dont on parle encore très peu.  

Pour résumer, ce terme est une contraction entre la maternité et l'adolescence, car ici on évoque la naissance d'une mère. Cette nouvelle étape dans la vie d’une femme peut faire surgir une vaste crise identitaire et lorsqu’on n’est pas suffisamment sensibilisé sur le sujet, ça peut être violent.  

Enfin le dernier pan, la partie professionnelle. La parentalité creuse les inégalités entre les hommes et les femmes. Déjà au sein du foyer car les femmes assument encore jusqu'à 70 % des tâches domestiques et familiales, mais également au sein du travail, puisque l’on observe qu’un écart de salaire se creuse à la naissance du premier enfant. On estime entre 20 et 25 % de perte de salaire, ce qui est énorme. Et le pire, c’est que cette différence n’est pas rattrapée par la suite ! Trois femmes sur quatre considèrent que la maternité a eu un impact négatif sur leur carrière. De plus, les jeunes parents, hommes comme femmes, sont souvent stigmatisés au travail. Certains pensent à tords que cette nouvelle responsabilité va les rendre moins motivés ou moins engagés dans leurs projets professionnels. Il est donc essentiel de sensibiliser parents et managers sur ces changements, mis également de leurs proposer différentes pistes pour vivre cela de la meilleure façon possible. 

“Il est important de déconstruire le mythe de la Wonder Woman”  

BM : Quelles sont les principales inquiétudes des futurs parents que vous accompagnez ? 

MT : Ce qui revient hyper souvent, notamment chez les futurs parents, c'est la peur de pas être à la hauteur. La crainte de pas être une bonne mère ou un bon père, d’autant plus à l’ère du « parent parfait ». Beaucoup se demandent : « Comment je vais m’en sortir ? ». En parallèle, ils entendent à gauche et à droite qu’ils doivent profiter de leur vie sans enfants parce qu’après « ça ne sera plus la même chose ». Toute cette pression a un impact sur eux, leur couple et leur style de vie.  

Sur la gestion du quotidien avec un bébé, les appréhensions qui reviennent tournent plutôt autour du congé maternité solo ou du manque de sommeil. Beaucoup souffrent aussi de la perspective de ne pas réussir à tout concilier et de devoir renoncer à des loisirs, des moments de vie, des opportunités. La dernière peur concerne l'aspect financier, notamment la capacité à subvenir aux besoins de l'enfant et aux besoins du foyer.

BM : Quelles premières pistes d'accompagnement proposez-vous pour répondre à ce type d'inquiétude ? 

MT : La première chose primordiale, selon moi, c’est de savoir ce qu'on veut au plus profond de soi et prioriser les « essentiels » pour pouvoir s’organiser en fonction de ses besoins.  

Après, il est important de déconstruire le mythe de la “Wonder Woman”, cette femme qu’on a toutes et tous dans notre entourage et qui semble réussir tout ce qu’elle entreprend professionnellement, qui est une mère parfaite, une amie idéale, une conjointe hors norme, etc. Comme son nom l’indique, c’est un mythe, une construction sociale qui est inatteignable. Donc on s’enlève ça de la tête et on ne s’inflige pas de pression malsaine. 

Ensuite, je recommande à tous les parents et futurs parents de se créer et d’entretenir un réseau de soutien. C'est tellement important. Au sein de Nid-e, on rappelle en permanence aux coachés qu’ils ne sont pas seuls dans leur parentalité. Il faut tout un village pour élever un enfant ! Et cet aide peut venir de notre conjoint, de proches, ou même de professionnels comme des baby-sitters etc. 

“Il faut également apprendre à laisser passer les orages, prioriser son cocon familial et se rappeler pourquoi on a créé l’entreprise”  

BM : Et si on est une ou un chef.fe d’entreprise ?  

MT : Je dirais que le point clé est le fait de prendre soin de soi, parce qu'on est à la fois le moteur de son entreprise mais aussi celui de sa famille. C'est impossible de donner quand on n’a plus d’énergie en réserve, donc la seule manière de se recharger, c'est de trouver des choses qui vont nous rebooster. Pour certains, ça va être le sport, pour d'autres ça va être la lecture, le shopping ou même les balades en plein air. Peu importe l’activité, l'important c'est juste de mettre son masque à oxygène. Il est également essentiel de ne pas se culpabiliser et de ne pas penser qu'on doit donner en permanence sans se ménager. 

BM : Dans l’imaginaire collectif, mener de front un projet entrepreneurial et une parentalité de proximité semble impossible. Est-ce une idée reçue ? 

MT : Non, je ne pense pas que ce soit une idée reçue, c'est même une réalité. Quand on se lance dans la création d’entreprise, on quitte un univers qu'on connaît, une expertise que l'on a acquise. On se jette dans l'inconnu et avec pour seul parachute la conviction que notre projet aura un impact sur la société et changera les choses. 

A ce moment-là, notre principale ressource, c’est nous-même. Or, le fait de devenir parent au même moment ajoute une réelle complexité à ce type d’ambition car c’est une étape de vie qui, tout comme l’entrepreneuriat, demande du temps, de la patience, de l'engagement et beaucoup, beaucoup, beaucoup d'énergie. Je vous laisse donc imaginer le cocktail que forme ces deux projets s’ils sont lancés au même moment !  
 
Donc je pense que pour que ça fonctionne, il faut être complètement animé par son concept. Il faut également apprendre à laisser passer les orages, prioriser son cocon familial et se rappeler pourquoi on a créé l’entreprise, et les bénéfices qu’elle génère déjà sur la société.  

BM : Au final, qu'est-ce qui a été plus compliqué pour vous ? La vie de maman ou celle d'entrepreneure ? 

MT : Pour moi, le plus compliqué, c’est sans hésiter la vie d'entrepreneure ! Dans mon quotidien de maman, tout n’est que positif au final. Même si, comme beaucoup, j’ai parfois tendance à l’oublier quand je vois la montagne de désordre en rentrant à la maison.  

A la différence, la vie de dirigeante c'est un peu une somme de bonnes et de moins bonnes nouvelles, une vie façon montagnes russes ! Il y a des semaines ou c'est juste incroyable, et puis il y en a d'autres beaucoup plus compliquées. Tout l’enjeu, c’est de profiter et valoriser les victoires et tirer des leçons de défaites sans que cela ne nous affecte trop. 

mélanie

Mélanie Bruxer

Rédactrice web