Le courage, maître-mot de la 2e édition des Grandes Retrouvailles

Violette Bouveret, chercheuse associée à la Chaire ESCP Business School sur les objets connectés, aide depuis plus de quinze ans les dirigeants à agir dans des environnements complexes. A l’occasion des Grandes Retrouvailles du 6 juin dernier, la co-autrice d’Oser le courage (Dunod, 2023) a présenté, devant la communauté des Accélérés de Bpifrance, les raisons de valoriser le courage en entreprise et les différentes manières de le mettre en œuvre. 

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Les Grandes Retrouvailles 2024
Cyril Marcilhacy / Agence Oblique

Le 6 juin 2024, la communauté des Accélérés de Bpifrance avait rendez-vous dans l’enceinte du Cirque d’Hiver Bouglione, en plein centre de Paris, afin de célébrer un programme d’accompagnement lancé en 2015 qui a permis de suivre à ce jour pas moins de 5 000 dirigeants dans le développement de leur activité. Lors de cet événement festif et fédérateur au cours duquel ont été récompensées cinq entreprises passées par un voire plusieurs Accélérateurs de Bpifrance, les dirigeants présents sur place ont notamment assisté à une conférence inspirante de Violette Bouveret sur le thème du courage et son rôle à jouer dans le monde de demain. Big média était sur place et revient aujourd’hui sur les idées phares à retenir de cette intervention. 

Préparer les dirigeants à un changement de paradigme  

Nous sommes au seuil d’une nouvelle ère. C’est en tout cas ce que soutient Violette Bouveret, spécialiste de la compréhension des systèmes complexes (La résolution de problèmes complexes, Dunod, 2022) qui a observé et conseillé plus d’une cinquantaine de décideurs afin de les aider à avoir plus d’impact. S’appuyant sur les travaux de chercheurs et d’historiens, Violette Bouveret affirme que « nous sommes dans un moment historique qui ne se représentera probablement pas avant 500 ans. » Qualifiée d’intercycle, il s’agit d’une période inconfortable « qui dure en général plusieurs décennies et qui sépare deux paradigmes civilisationnels ». Par paradigme civilisationnel, il faut entendre une période comprise entre 300 et 500 ans au cours de laquelle domine un système de pensée, à travers des institutions et de l’idéologie. Mais concrètement, comment cela se manifeste-t-il au niveau des organisations ?  

« Autrefois le seul choc que devait affronter les entreprises était celui de la concurrence. On observe aujourd’hui deux choses, énonce l’intervenante. Premièrement, une accélération des chocs financiers qui vont vers un contexte de guerre économique. Il y a des dynamiques de prédations avec de gros acteurs, notamment tech, qui vont s'intermédier dans les chaînes de valeur et faire potentiellement de vous [les entrepreneurs] une commodité. » C’est, deuxièmement, « des marchés soi-disant ouverts à l'étranger mais finalement fermés sans avoir trop l'air de le dire. Créer de la valeur est donc de plus en plus complexe », affirme-t-elle. De plus, les entreprises sont aujourd’hui toutes impactées par des chocs qui ne concernaient autrefois qu’un petit nombre d’organisations : des chocs militaires, géopolitiques, (par exemple la guerre en Ukraine et la recrudescence massive des cyberattaques touchant les TPE/PME, etc.), climatiques (ex. le cas des stations de ski dans le secteur du tourisme), psychosociaux (plus de 40 % des salariés seraient en détresse psychologique) ou idéologiques (rejet en bloc de la technologie, etc.).  

Le courage pour transformer les chocs en opportunités  

S’adressant aux Accélérés de Bpifrance, Violette Bouveret est ainsi convaincue que les organisations – entreprises, TPE, PME, startups, mais également service public, associations, experts, etc. – seront capables de faire de ces différents chocs des opportunités, de tirer de ces périodes de crise des moments d’innovation et de progrès, à condition cependant de réhabiliter le courage. « La seule certitude, c'est que le paradigme civilisationnel qui s'imposera sera celui qui aura mobilisé le plus d'énergie », affirme l’autrice. Or, aujourd’hui, « une entreprise est un vrai catalyseur d’énergie, poursuit-elle. D’abord en raison de la capacité de financement et du pouvoir d’action de certaines entreprises par rapport aux Etats, mais aussi de leur savoir-faire et de leur capacité d’exécution. L'entrepreneuriat a un rôle extrêmement important à jouer dans le moment historique dans lequel on est », notamment pour réinventer les compétences auxquelles nous avons été collectivement formés au cours du XXe siècle. « Des compétences hyper utiles dans un ordre linéaire mais complètement inutiles dans un monde plus cavalier » tel que celui qui se profile dans les décennies à venir. 

Mais les entreprises ne sont pas systématiquement courageuses. « La réalité que j’observe, notamment dans les grandes entreprises, c’est un décalage entre le discours et les faits », témoigne Violette Bouveret. Transition écologique, bien-être des salariés, défense du tissu économique, les organisations, et notamment de grands groupes, ont du mal à passer à l’action et justifient cela par le manque de moyens ou l’absence de référence. Or « ce sont des symptômes d’absence de courage, car nos organisations ont été faites, comme nous, pour un monde linéaire », observe la conférencière. Lâcheté ou déni de réalité, les contraires du courage semblent bien plus répandus que le courage même. « Petit à petit, l'entreprise, quelle que soit sa taille, s’est vidée de l'esprit pionnier qui a justifié au départ sa création. » Retrouver cet esprit de pionnier est donc essentiel pour transformer les chocs en opportunités. Le courage, d’après elle, n’est pas celui du héros qui se sacrifie sur le champ de bataille. Ce sera par exemple quelqu’un qui, tout en ayant peur de prendre la parole en public, parviendra à dépasser son appréhension pour donner son avis lors d’une réunion. « Le courage, c’est toujours une expérience de la peur, du doute et de la nuance », clame l’intervenante. Ce dernier est donc d’une toute autre nature que la témérité ou la désobéissance et doit suivre selon elle quatre étapes : 

  • L’appel au courage. Se battre pour une cause plus grande que soi  

  • Le prix à payer. Sans prix à payer et conscience de son coût, il n’y a pas de courage. 

  • Le dilemme. Situation où ne rien faire est plus valorisé que faire, car agir est plus risqué et coûteux que de ne pas agir.  

  • L’acte courageux. Ça peut prendre plusieurs formes : assumer une décision controversée, ou à contre-courant. S’opposer, dénoncer ; suivre et encourager ; arrêter et renoncer (c’est par exemple le cas de l'entreprise Stellantis qui, après l’échec de sa nouvelle organisation multimarque, a assumé un retour à l’organisation précédente) 

 

Comment réhabiliter le courage dans les entreprises ? 

Lors de son intervention, Violette Bouveret finit par présenter aux Accélérés de Bpifrance les étapes nécessaires à la réhabilitation du courage. La première d’entre elles est la prise de conscience et la sortie du déni de réalité, qui nécessite également d’embarquer ses clients, salariés, investisseurs, et fournisseurs. Mais comment faire ? L’autrice livre plusieurs clés : par l’empathie, d’abord. Comprendre ce que les autres vivent. Ce sont par exemple des entreprises comme IBM qui, constatant leur décrochage en bourse, vont se recentrer sur l’expérience utilisateur. Ensuite, en se dotant d’un idéal, d’une mission, une vision d’avenir. C’est aussi sortir du déni de complexité, par exemple en mettant en commun ses données avec d’autres entreprises, ce qui est en soi un acte courageux. Enfin, la prise de responsabilité. « Penser collectif. Quand vous vous engagez dans un acte courageux, ça ne sera jamais un sprint », affirme Violette Bouveret, qui identifie finalement quatre piliers de l’encouragement pour les dirigeants : 

  • Le mentor. Il ou elle révèle vos qualités, mais n’agit pas à vos côtés. 

  • L’allié. Quelqu’un à vos côtés sur le front. 

  • Les "role models" (les sources d’inspiration). Vous ne le connaissez pas personnellement, mais dans des moments de difficulté ces dernier peuvent être inspirants. 

  • Les homologues. Ils ne peuvent pas vous aider directement mais traversent une situation analogue et peuvent vous partager leurs expériences. 

En somme, le courage n’est pas une donnée inhérente dont on hérite individuellement, mais une force qui se construit à force d’entraînement. « Le futur qui vient n'est absolument pas écrit, déclare Violette Bouveret. L'entreprise et l'entrepreneur ont un rôle clé à jouer à condition d'être pionniers, de mettre à l’épreuve les normes et les conventions, de quelque part bousculer le statu quo et de dépasser sa peur en s'appuyant sur un réseau d'encouragements », conclut-elle.  

Felix Tardieu

Felix Tardieu

Rédacteur Web