Derrière l’économie circulaire, la question de souveraineté : l’exemple de la filière automobile

Au-delà de ses bienfaits pour l’environnement, l’économie circulaire pourrait avoir un rôle à jouer pour développer notre indépendance en ressources. Big média s’est notamment intéressé à la filière automobile avec Florence Bailleul et Olivier Gaudeau, respectivement directrice générale et directeur des affaires publiques et projets filière recyclage automobile d’Indra Recycling Automobile, et avec le témoignage d’Emmanuelle Ledoux, directrice générale de l’Institut National de l’Economie Circulaire (INEC).

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Véhicule - Indra Recycling Automobile (Pruniers en Sologne 25012024)
Véhicule - Indra Recycling Automobile (Pruniers en Sologne)

Réduire sa dépendance en ressources grâce à celles que l’on récupère par circularité serait-il possible ? C’est en tout cas un des enjeux de l’économie circulaire, un modèle économique que l’Agence de la transition écologique (ADEME) découpe en sept piliers d’action : la consommation responsable, l’allongement de la durée d’usage, l’approvisionnement durable, l’écologie industrielle et territoriale, l’économie de la fonctionnalité, l’écoconception et le recyclage. L’Institut National de l’Economie Circulaire (INEC) en donne une définition simple : « elle consiste à produire des biens et des services de manière durable en limitant l’extraction, la consommation et le gaspillage des ressources et la production des déchets ». 

Dans ces déchets se cachent en effet des sources non-négligeables de matériaux dont nous manquons parfois. « On observe actuellement un énorme impensé des transitions énergétique et écologique, qui est clairement celui du besoin en ressources », pointe Emmanuelle Ledoux, directrice générale de l’INEC. Elle prend l’exemple de l’électrification, principale tendance actuelle du combat pour les enjeux socio-environnementaux. « C'est très bien pour lutter contre le changement climatique. Sauf que pour réussir à électrifier, il faut du lithium, du cobalt et des réseaux avec beaucoup de cuivre. Ces ressources-là, on n'en dispose pas de façon suffisante pour être en capacité d’entretenir sur la durée la transition que l'on est en train de mettre en œuvre », déplore-t-elle. En ce sens, certaines entreprises se remontent les manches pour trouver ces ressources dans les produits que nous avons déjà sous la main. 

Garder ses déchets pour pallier le manque de ressources 

C’est le cas d’Indra Automobile Recycling, qui se spécialise dans le traitement et le recyclage des véhicules hors d’usage – ou VHU comme les appellent les professionnels du milieu. L’entreprise créée à Saint-Priest dans le Rhône est experte dans le recyclage automobile depuis près de quarante ans. « On anime aujourd’hui un réseau de 350 centres de VHU en France qui gèrent jusqu’à 400 000 véhicules par an », explique Olivier Gaudeau, directeur des affaires publiques et projets filière recyclage automobile de l’entreprise. Certains matériaux que l’on peut trouver dans les voitures sont si précieux que les centres affiliés se les font parfois piller. « Les pots catalytiques que l’on récupère au moment du processus de dépollution renferment des métaux rares qui ont un cours élevé sur le marché, comme le rhodium, le platine ou le palladium », énumère l’expert. 

Les VHU font ainsi partie de ces déchets que la France garde pour mieux les traiter. Une démarche possible grâce au savoir-faire d’entreprises comme Indra Recycling Automobile, mais qui n’est pourtant pas encore généralisée à l’ensemble de nos déchets. Aujourd’hui, l’Hexagone continue de se débarrasser de ces produits que nous n’utilisons plus et qui sont en apparence sans valeur : en 2020, nous avons ainsi exporté douze millions de tonnes de déchets industriels et ménagers. Cette même année, la Covid-19 nous a pourtant rappelé les conséquences de notre manque de ressources. « Les chaînes de production à l’arrêt parce que l’on ne recevait plus les composants nécessaires à la production, ça a été une sacrée claque en termes de compréhension de dépendance de notre modèle. C’est ce qui a accéléré les choses, parce que les réflexions autour d’une économie circulaire étaient déjà là », rappelle Emmanuelle Ledoux.

Les institutions encadrent l’économie circulaire 

Ces réflexions ont notamment abouti à la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) dont les mesures sont entrées en vigueur entre 2021 et 2024. Cette loi s’articule autour de cinq grands axes : sortir du plastique jetable, mieux informer les consommateurs, lutter contre le gaspillage et pour le réemploi solidaire, agir contre l’obsolescence programmée, et mieux produire. C’est elle qui a notamment remplacé les gobelets de votre entreprise pour des mugs, ou encore supprimé les pailles en plastique. 

La loi pousse également la voie de l’écoconception, essentielle dans le cadre de l’économie circulaire. Pour les experts, la fin de vie d’un produit doit se réfléchir bien en amont, avant même sa conception. Une vision partagée par l’Union européenne sur le secteur automobile notamment : « il est essentiel de rendre les nouveaux véhicules plus durables et plus circulaires pour remédier à nos dépendances, réduire l'incidence environnementale liée à l'extraction et à la transformation des matières premières utilisées dans les véhicules, ainsi que pour faciliter la réutilisation et le recyclage des véhicules arrivant en fin de vie ». La coopération entre acteurs de la filière devient alors essentielle. Indra Automobile Recycling voit de plus en plus d’acteurs se questionner sur l’amélioration de la recyclabilité des véhicules : « un certain nombre de constructeurs et d'équipementiers s’aperçoivent que c’est auprès de ceux qui démontent et recyclent tous les jours des véhicules qu’ils pourraient trouver les solutions pour mieux concevoir les voitures de demain », remarque Olivier Gaudeau d’Indra Automobile Recycling, détenu conjointement par Suez et Renault.

« Un bon nombre de fleurons mondiaux du recyclage sont français »

Avec sa loi AGEC, une des premières en Europe sur la thématique de l’économie circulaire, la France est suivie de près. Avant même sa mise en place, l’Hexagone était en effet réputé pour son expertise sur le sujet. « Bon nombre de fleurons mondiaux de l'industrie du recyclage sont français », souligne Emmanuelle Ledoux, directrice générale de l’INEC. Indra Automobile Recycling en témoigne également : « En France, la filière de la collecte, du retraitement et du recyclage automobile fait office de référence pour beaucoup dans le monde car elle est organisée depuis un certain temps. Cette structuration vient sous le fait d’une transcription de la directive européenne de 2000 dans le droit français en 2003 et en 2011, qui a élevé les pratiques de traitement des véhicules », indique Florence Bailleul, directrice générale de l’entreprise experte du recyclage automobile. Les institutions européennes, qui se soucient de plus en plus de l’avenir des véhicules hors d’usage, gardent elles aussi un œil sur la France et sa loi AGEC. L’Union européenne souhaite en effet s'assurer que ses véhicules restent à l’intérieur de ses frontières plutôt que de voir cette source de matières premières s’échapper. « En Allemagne, les véhicules en fin de vie sont très demandés à l'export, au point que les VHU disponibles là-bas sont deux fois moins importants qu'en France alors que leur parc automobile est plus important », constate Florence Bailleul. 

Le règlement proposé par la Commission européenne sur les VHU ne devrait ainsi pas seulement « contribuer à l'autonomie stratégique de l'UE en ce qui concerne les matières premières critiques » mais aussi créer plus de 22 000 emplois dans des PME spécialisées dans la gestion des déchets et rendre plus accessibles les pièces détachées d’occasion aux consommateurs. De quoi répondre aux besoins du marché, alors que « les pièces détachées d’occasion sont de plus en plus demandées », note Olivier Gaudeau, directeur des affaires publiques et projets filière recyclage automobile chez Indra Recycling Automobile. 

Echanger à l’international pour mieux innover sur l’économie circulaire

L’Union européenne n’est pas la seule à s’intéresser à ce que réalisent les Français. De nombreux homologues prennent contact avec Indra Automobile Recycling pour en savoir plus sur leur savoir-faire. Son site de Pruniers-en-Sologne a déjà accueilli des délégations venant de tous les continents. L’expertise de l’entreprise de recyclage automobile suit généralement ses clients assureurs et constructeurs dans leur développement à l’étranger, mais aussi des entreprises en quête de solutions de démantèlement et de dépollution des véhicules dans les pays où elles sont présentes. « Nous apportons une vision de l'ensemble du processus et c'est ce qui a également intéressé un certain nombre de gouvernements. C'est comme ça qu'Indra est rentré en communication avec le Maroc pour évaluer la façon et le cadre de mise en place d'une filière plus structurée pour répondre aux enjeux à l'échelle du pays », précise Florence Bailleul, la directrice générale. Indra distribue également en France les équipements et process de son partenaire autrichien SEDA, leader mondial de la dépollution et du démontage automobiles, avec lequel il échange régulièrement. « Nous leur apportons notre retour d’expérience pratiques du métier. Ainsi nous allions nos compétences et leur faisons bénéficier de notre savoir-faire pour les aider à améliorer leurs produits », poursuit Olivier Gaudeau. 

L’entreprise compte d’ailleurs sur ce partage de compétences pour faire progresser la filière à l’échelle européenne et mondiale et peut-être aboutir à des innovations. « Plus nous partageons les savoirs faire, plus vite nous faisons des progrès collectivement pour un écosystème plus vertueux », signale Florence Bailleul. Les échanges avec d’autres pays permettent même de s’exposer à des problématiques différentes, de se préparer à de nouvelles situations et à les déployer plus rapidement. « Le Japon est une île et fait donc face à des contraintes énormes. Le pays a par définition toujours fait énormément attention à traiter ses VHU sur site. Ils sont donc également très en avance », donne pour exemple la dirigeante d’Indra Recycling Automobile. 

La souveraineté, oui, mais à quel prix ?

Les interactions avec le reste du monde fleurissent pour partager nos avancées sur le recyclage des véhicules, certes, mais pas nécessairement sur tous les sujets. Pour Olivier Gaudeau, la question des batteries électriques reste par exemple limitée aux frontières européennes. Emmanuelle Ledoux, directrice générale de l’Institut National de l’Economie Circulaire (INEC) rappelle là encore notre dépendance aux ressources pour l’électrification, et notamment le cas des véhicules électriques qui inondent de plus en plus le marché : « La question de souveraineté est majeure sur les batteries, on reste encore très dépendant de la Chine. Les investissements français et européens pour bâtir la giga-factory de Dunkerque constituent une réponse face à cela ». Après l’inauguration en mai 2023 d’une première gigafactory à Douvrin dans le Nord-Pas-de-Calais, qui devrait équiper un demi-million de véhicules en batteries électriques d’ici 2030, de nouvelles sont déjà prévues en construction à proximité de Dunkerque pour recycler leurs métaux stratégiques dans ce qui devrait devenir « la vallée de la batterie ».  Pour parvenir à une plus grande indépendance en ressources, les autorités réfléchissent également à l’ouverture de mines en Bretagne, où a été découvert un important gisement de lithium … dans une zone écologique protégée. « C’est peut-être une question sur laquelle on pourrait se pencher, de savoir pour chaque ressource quel est le parcours idéal qui limiterait au maximum l'impact environnemental de son extraction », interroge Emmanuelle Ledoux de l’INEC.

Diminuer notre dépendance pourrait alors avoir un prix écologique et social : « Serions-nous prêts à rouvrir des mines sur nos territoires afin de soutenir la transition vers la voiture électrique plutôt que de délocaliser notre pollution dans les pays en voie de développement ? », questionnent justement Emmanuelle Ledoux et Grégory Richa dans leur livre « Pivoter vers une industrie circulaire : Construire un futur avec une nouvelle génération d’entreprises » (édition Dunod).

Sources : 
Déchets exportés par la France : une évolution contrastée, Vie publique (31 mars 2022)
Le devenir des déchets exportés à l'étranger par la France, Vie publique (15 février 2022)
La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire, Ministère de la Transition Ecologique et de la Cohésion des territoires (15 novembre 2023)
Questions et réponses : véhicules hors d'usage, Commission européenne (13 juillet 2023)
Gigafactory : inauguration de la première usine de batteries géante de France avec 2000 emplois à la clé, France 3 Hauts-de-France (30 mai 2023)
Industrie : une nouvelle giga-factory va naître à Dunkerque, Franceinfo (25 septembre 2023)
Lithium : l’État veut ouvrir des mines en Bretagne, Reporterre (17 mars 2022)

 

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