Commerce équitable : un lien entre TPE tricolores et associations du monde entier

Empruntant les codes du commerce équitable, certaines entreprises font le choix de soutenir des associations, ONG ou artisans locaux situés à des milliers de kilomètres. Elles les aident à grandir, à développer des projets en faveur des habitants et, en échange, elles bénéficient de savoir-faire uniques pour leurs produits. La démarche va bien au-delà du financement : ce sont des initiatives éthiques et responsables, qui conduisent à la création de relations de travail uniques. Illustration avec trois TPE françaises.  

N'Go Shoes soutient les artisanes vietnamiennes

Au nord-ouest de Dehli, en Inde, dans une usine de confection de sac à dos, plus de 150 femmes s’activent. Ici, pas question de travail à la chaîne, au coût humain important. Ces employées perçoivent un salaire trois fois supérieur à la moyenne locale grâce à l’action de l’ONG SSMI (Swami Sivananda Memorial Institute) qui leur propose un salaire décent, donc, et des conditions de travail qui le sont tout autant. Cette activité professionnelle, elles la doivent également à Hindbag, une TPE d’une dizaine de salariés des Bouches-du-Rhône qui a choisi de soutenir l’ONG. Tout a commencé avec un projet de fin d’études, celui de Pierre Monnier, le fondateur d’Hindbag. « Mon choix s’est porté sur le soutien à une ONG : ce genre de structures sont toujours pleines de bonne volonté, mais elles manquent de moyens. SSMI m’a été présentée au hasard, par un ami. Elle possédait un atelier de textile, ce qui convenait bien pour imaginer une production de tote bags BtoB. De fil en aiguille, le projet de fin d’études s’est transformé en entreprise et j’ai réorienté le business vers la production de sacs à dos en coton, pour une cible BtoC », partage Pierre Monnier.  Ainsi, courant 2015, le jeune diplômé lance Hindbag, une activité économique qui permet de financer l’ONG. L’entreprise représente ainsi 80 % des revenus de SSMI. Et plus son chiffre d’affaires augmente, plus la marge nette de l’ONG permet de développer de nouveaux projets. Le dernier en date ? L’ouverture d’une école à côté de l’usine pour favoriser l’accès à l’éducation. 

Des marques en France et des artisans du monde, comme base du commerce équitable 

Dans un atelier partenaire de PanafricaA l’instar d’Hindbag, d’autres TPE et PME tricolores ont choisi de se tourner vers des structures situées à des milliers de kilomètres, toujours dans une approche d’entraide. Et bien plus encore. Par exemple, N’Go Shoes utilise le savoir-faire dartisanes vietnamiennes pour confectionner leurs baskets avec des broderies uniques. En parallèle, elle reverse 2 % de son chiffre d’affaires à l’association Sao Bien en faveur de l’éducation et de la scolarisation dans les zones les plus reculées du pays. Quant à Panafrica, autre marque de sneakers, c’est tout un système qui s’est mis en place en Afrique de l’Ouest : production de tissu wax au Ghana et en Côte d’Ivoire, tissage au Burkina Faso et confection au Maroc puis en Côte d’Ivoire. « Nous avons lancé Panafrica en 2016 avec la vision de faire de la mode un levier de transition sociale et environnementale en Afrique. Pourquoi ? Car nous sommes des amoureux du continent africain, pour y avoir vécu et y avoir beaucoup voyagé », intervient Vulfran de Richoufftz, co-fondateur de Panafrica avec Hugues Didier. Au début de la création de la marque, les deux associés imaginent un programme , à chaque article vendu, un euro est reversé à une association pour financer, là aussi, l’accès à l’éducation. « Nous l’avons mis en place durant une année puis nous avons changé notre fusil d’épaule, poursuit Vulfran de Richoufftz. Nous nous sommes rendu compte que cela avait encore plus d’impact de soutenir des associations ou des coopératives qui étaient en lien direct avec notre cœur d'activité de confection de baskets éthiques.»  

Accompagner l'obtention de certifications 

Victoire Satto est fondatrice du media The Good Goods, qui milite pour une mode plus respectueuse de l’environnement et des hommes. Selon elle, une telle démarche s’approche du commerce équitable, dans le sens où elle favorise une rétribution juste qui permet aux structures locales, voire au pays, de générer leur propre expansion. « Avec ce qu'ils gagnent, ils créeront des écoles, des routes, des dispensaires de soins, etc. Il s’agit de collaborations commerciales qui assurent une certaine indépendance économique… à condition de ne pas être dans une simple relation de pays puissant sur petit producteur », définit-elle. Autrement dit, il en va de la responsabilité de ces TPE-PME d’assurer des bons de commandes réguliers pour ne pas pénaliser les structures qu’elles soutiennent. Quitte à revoir les process en cours. Ainsi, NGo Shoes prévoyait, au début de son activité, une commande annuelle auprès de ses coopératives vietnamiennes partenaires. Mais cette organisation laissait peu de marge de manœuvre en cas de pic d’activité. « Le but, c’est que nous nous plions à leur charge de travail, et non l’inverse, affirme Kevin Gougeon, co-fondateur de N’Go Shoes. Aussi, nous avons commencé à anticiper les stocks. Désormais, nous réalisons des commandes et des paiements mensuels, de manière à leur assurer un revenu régulier. Cela nous permet d’avoir plus de flexibilité sur les besoins de production. » 

Autre impératif pour ces entrepreneurs : fournir des éléments qui permettront à la structure de survivre au-delà du partenariat commercial, avec de nouveaux clients potentiels. Panafrica finance ainsi des métiers à tisser qui serviront à honorer de futures commandes. « Ce que nous versons à l’atelier de l’association burkinabaise Xoomba, ce n'est pas juste pour Panafrica. Cela sera utile à l'association pour démarcher d’autres clients. Il en est de même quand nous aidons l’un de nos producteurs de coton à obtenir la certification bio : cela le rendra plus fort dans son discours de prospection. L’objectif est d’éviter la dépendance. Chaque outil acheté, chaque système mis en place peut servir à la croissance et à la stabilisation des acteurs locaux », soutient Vulfran de Richoufftz 

Un impact sur l'environnement maitrisé 

Aussi, pourquoi ne pas être encore plus ambitieux, avec une certaine idée de transmission, loin des schémas commerciaux classiques ? « Un entrepreneur engagé peut aussi s'intéresser à l'éducation et à la passation des savoirs en les rendant plus formels. Par exemple, il peut partager des process qui limitent les pertes ou les déchets. C’est envisager différents types de modélisation de motifs sans dénaturer le savoir-faire des artisans. Cela peut être aussi d’investir pour la transformation des usines via des données de traçabilité, via des audits, et ce dans le cadre du devoir de vigilance, énumère Victoire Satto (The Good Goods). Et c’est, enfin, les appuyer dans leur transition énergétique… » C’est d’ailleurs le cas de Hindbag qui a financé le nouveau bâtiment de l’ONG SSMI, plus respectueux de l’environnement car conçu en matériaux durables et doté de panneaux solaires. Soit une autre façon de rétribuer, qui va au-delà du deal commercial. Chacun s’ouvre aux connaissances de l’autre, dans un souci d’entraide et de bonnes pratiques. « Le but, c'est de faire en sorte qu'on grandisse tous ensemble et que ce soit gagnant-gagnant pour tout le monde », confirme Kevin Gougeon. Ce dernier compte un salarié sur place, au Vietnam. « Nous voulons nous assurer de la réalité de nos propres yeux et être sûrs que nos partenaires peuvent avancer sur les audits ou certifications», poursuit le co-fondateur de N’Go Shoes. Et Vulfran de Richoufftz (Panafrica) de surenchérir : « Avec ce genre de partenariat, vous êtes dans une posture où il faut écouter, prendre son temps et apprendre à se connaître. Il ne faut pas non plus hésiter à tester, à se tromper et à réapprendre. Ainsi, vous créez une relation beaucoup plus humaine. »  

Travailler conjointement avec des structures locales d’artisanat, de petits acteurs économiques ou des associations, c’est donc faire le choix d’un partenariat différent mais fructueux à différents niveaux. Mais que répondre à ceux qui craignent une dérive de l’impact carbone ? Produire si loin pour soutenir l’émancipation de personnes en difficulté, c’est bien. Mais l’entreprise n’aggrave-t-elle pas son taux d’émissions de CO2 ? Pour Victoire Satto (The Good Goods), si la production est pensée dans sa globalité, les conséquences sur l’environnement restent maîtrisées. « Il y a une fausse croyance autour de l'écologie et de l'impact de la mode. En fait, le transport ne représente que 3 % des émissions globales d'une marque, y compris quand elle est mondialisée, explique-t-elle. Les marques qui produisent localement, tissent et font assembler en circuit court présentent un impact global moindre. » N’Go Shoes, par exemple, qui supervise l’ensemble de la réalisation de ses sneakers au Vietnam, veille désormais au choix des matières premières de ses baskets, qui, elles, représentent 80 % de ses émissions de CO2. Ethique et écologique ne peuvent être dissociées. 

 

Céline Tridon

Céline Tridon

Rédactrice en Chef