Economie de la mer

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Yvan Bourgnon, de skipper de haut niveau à acteur engagé pour le nettoyage des océans

Après avoir gagné avec son frère Laurent Bougnon la Transat Jacques Vabre en 1997, Yvan Bourgnon s'est engagé dans la protection des océans en fondant son association The SeaCleaners. Rencontre. 

Itw Yvan Bourgnon

« Si on ne met pas 3 000 milliards d’euros sur la table d’ici les 30 prochaines années, on ne va pas résoudre le problème », déclare Yvan Bourgnon à propos de l’environnement. Ce skipper franco-suisse parle en connaissance de cause. Après avoir navigué avec ses parents pendant 4 ans, réalisé le 1e tour du monde sur un catamaran non habitable sans GPS et gagné la Transat Jacques Vabre en double avec son frère, le skipper dresse un triste bilan de l’état des océans. Prenant le problème à bras le corps, il fonde l’association The SeaCleaners.  

Big média : Comment est arrivé votre amour pour la navigation, et pourquoi avoir choisi d’en faire votre métier ? 

Yvan Bourgnon : Je suis tombé dans la marmite quand j’étais petit, j’ai eu la chance d’avoir des parents qui m’ont emmené faire le tour du monde pendant quasiment 4 ans lorsque j’avais 8 ans. J’étais prédestiné à cet avenir-là et l’océan m’a très vite passionné. Après des études dans un tout autre domaine, j’ai fait le choix, plutôt inhabituel, de faire de la navigation mon métier. Certains décident dès petit d’en faire leur carrière, ils entament alors tout un cursus spécialisé avec des centres de formation etc. De mon côté, je me suis débrouillé seul. Je ne savais pas où j’allais, si j’allais avoir des résultats, trouver des sponsors... Ma grande force a été d’accepter d’avoir des hauts et des très bas. C’est un métier qui ne favorise pas la stabilité, même si certains arrivent à la trouver, pour moi ça n’a pas toujours été le cas.  

BM : Quand et pourquoi avez-vous fondé The SeaCleaners ?  

Y.B. : En 2014, j’ai navigué dans une eau polluée de plastiques le long de l’Indonésie, du Sri Lanka et des Maldives. J’étais révolté par tout ce que je voyais, d’être obligé de m’arrêter 40 fois par jour pour nettoyer mes gouvernails. Ces tristes images contrastaient avec mes souvenirs de ce même voyage que j’avais fait avec mes parents lorsque j’étais petit. J’ai réalisé que c’est nous qui avions fait tout ça. Je ne savais pas par quel bout prendre les choses, mais je savais que je voulais agir. C’est là que l’idée de fonder The SeaCleaners a vu le jour.  

BM : Vous étiez alors skipper reconnu et en activité, comment s’est passé votre reconversion vers l’associatif ?   

Y.B. : J’ai découvert un monde totalement nouveau. Mais j’ai réalisé que d’avoir l’expérience du terrain, de la mer, ça comptait, tout comme avoir des projets ambitieux, être teigneux. Toutes ces qualités nécessaires au métier de skipper que je pratique, je les ai gardées et les ai mises au service de mon association et de mon combat. Je n’ai pas arrêté de naviguer totalement. J’ai une super équipe qui me permet de continuer à exercer ma passion. Je sais que je peux me reposer sur eux. L’année dernière, je suis parti quasiment un mois en mer, et j’étais serein car je sais que la boutique tourne sans moi. Ils savent que ça fait partie de moi, que j’ai toujours besoin de naviguer.  

BM : Où en êtes-vous avec l’association The SeaCleaners ? 

Y.B. : C’était assez frustrant les premières années car comme pour toute création, il faut mettre les choses en place or j’avais envie d’être dans le concret, sur le terrain, de faire des opérations de collecte massives etc. Mais il faut le temps de se créer, de se structurer, de s’organiser. Aujourd’hui, nous sommes dans la phase 2. Nous prenons le temps de sensibiliser les entreprises et le grand public à l’environnement. Aussi, nous avons eu la chance de lancer l’an dernier le Mobula 8, un petit bateau polyvalent allant collecter les déchets, hydrocarbures et plastiques en eaux calmes. Un Mobula peut nettoyer une surface de 15 000 m², l’équivalent de 2 terrains de foot en une heure, et stocker à bord 10 m3 de déchets solides et 600 litres de déchets liquides. En revanche, le Mobula a l’inconvénient de ne pas pouvoir traiter le plastique à bord comme on peut le faire sur notre autre bateau-projet, le Manta. Le Mobula sera très actif dès cet été à Bali pour nettoyer les rivières et eaux côtières, et nous travaillons avec une association locale de gestion et de recyclage du plastique pour traiter ce que nous ramasserons. C’est une grande victoire. Tout ce que l’on fait depuis quatre, cinq ans, c’est dans ce but-là.  

BM : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le projet Manta ?  

Y.B. : C’est un projet de grande envergure, un bateau de travail le plus ‘vert’ possible capable de collecter les déchets flottants, de les trier et de les gérer à bord, grâce une usine embarquée, sur lequel nous avons investi près de 50 000 heures d’études. Aujourd’hui, nous savons que nous pouvons aller au bout de ce projet, il n’y a plus de freins techniques. Il faut désormais que l’on arrive à être efficaces sur la levée de fonds pour boucler le financement du premier Manta. La fin de la phase d’étude aura lieu cette année, en 2022. A la fin de cette phase, nous saurons quel chantier naval européen sera capable de construire le Manta. Il y aura par la suite deux ans de fabrication.  

BM : Comment récoltez-vous des fonds ?  

Y.B. : Comme pour aller chercher des sponsors en tant que skipper, nous démarchons des entreprises afin qu’elles participent à notre levée de fonds. Nous avons l’habitude de vendre des projets difficiles. En revanche, cette dernière année a été compliquée en termes de financement à cause de la crise liée au Covid-19. La levée de fonds prend du retard car nous ne rencontrons pas les acteurs, les décideurs. La philanthropie était une source de fonds que nous n’avions pas encore exploitée, or 95 % des ONG sont financées par de généreux donateurs. Nous avons lancé ce mode de financement depuis 3 mois et espérons que cela portera ses fruits. Il faut savoir que nos mécènes ne nous apportent pas que de l’argent, ils participent à nos projets de collecte et de sensibilisation. Sentir qu’ils ont envie de faire bouger les choses nous fait beaucoup de bien et nous motive. Nous comptons des entreprises très engagées, qui sont déjà acteurs de leur transition.  

BM : Comment se porte le marché du mécénat en France sur le développement durable ?  

Y.B. : Il représente environ 220 millions d’euros, c’est une goutte d’eau et quasiment ce que pourrait donner une seule entreprise dans le développement durable. Je pense qu’il faudra également légiférer sur le sujet car une multinationale, par exemple, gagne beaucoup plus à toucher des dividendes qu’à reverser à une association, il faut les comprendre. Mais il faut surtout les inciter à donner pour agir. Si l’on ne met pas 3 000 milliards d’euros sur la table d’ici les 30 prochaines années pour la protection et la réhabilitation de l’environnement, on ne va pas résoudre le problème. Il faut comprendre qu’en agissant maintenant, nous réalisons un investissement sur le long terme de millions et de millions de vies.