Qui se cache derrière le succès des Grands Buffets ?

Voilà près de quarante ans que Louis Privat, fondateur des Grands Buffets à Narbonne, fait pétiller les yeux et les papilles des mordus de cuisine française. A l’approche du déménagement de l’enseigne, retour sur la carrière d’un homme qui a fait de la générosité sa marque de fabrique.  

  

  • 08 décembre 2022
  • Temps de lecture: 6 - 7 min
gb

Pousser les portes des Grands Buffets, c'est embarquer pour un voyage sensoriel. Une épopée qui vous transporte, le temps d’un repas, dans un univers onirique à mi-chemin entre les pantagruéliques banquets du célèbre chef cuisinier Vatel et le fourmillement des bouillons parisiens du XXe siècle. Et si l’abondance semble y règner depuis toujours, c’est peut-être parce qu’elle est gravée dans l’ADN du propriétaire des lieux, Louis Privat. « Je ne suis pas cuisinier, mais aujourd'hui quand on parle de cette profession, c’est surtout à la notion d’artiste qu’on fait référence. Et ça, c’est une définition qui me parle. Un chef, par sa cuisine ou par le décor dans lequel il vous plonge, vous transporte dans un univers. Et c’est cette démarche qui m’anime depuis toujours et que j’ai voulu partager à travers mes restaurants », confie le restaurateur narbonnais.  

Derrière un regard bleu azur et des manières affables qui nous donnent l’impression de le connaitre depuis toujours, se cache un mordu de théâtre ! Il a tout juste 17 ans lorsqu’il s’enrôle au sein de la compagnie le Grenier de Toulouse, où il brûle les planches, soirs après soirs, en jouant le rôle principal de la pièce Fando et Lis (de Fernando Arrabal). Mais voilà, la vie d’artiste, pour un fils de médecin, ça fait un peu tâche. Sous les injonctions paternelles il se lance alors dans un double cursus - commerce international et expertise comptable – avec l’idée de faire carrière dans l’import-export. Pourtant, Louis Privat s’ennuie… pire, se morfond. « J’étais en stage chez un expert-comptable à Narbonne, et je ne ressentais aucun plaisir à être là », se souvient-il. Il faut dire qu’avec ses cheveux longs et sa boucle d’oreille, le jeune homme dénote. On est alors dans les années 70, et un vent de liberté souffle sur la société française. Adieu la compta, et bonjour la vie d’auteur. Avec sa cousine, Louis Privat se lance dans l’écriture de L’invit à vie, une ode à la vie rêvée des deux co-écrivains. A 18 ans, il commence à faire le tour des plateaux télé pour parler de son livre. C’est la vie de showbiz.   

Au secours d’une belle endormie 

Quelques années plus tard, le voilà rangé, marié et heureux père de famille, bref, Louis Privat, tout juste trentenaire, est prêt à entamer un nouveau chapitre de sa vie professionnelle. « Mon épouse et moi décidons de reprendre un restaurant de bord de mer situé à Leucate (une commune de Narbonne), afin de lui redonne son prestige d’antan ». Ce restaurant, c’est La Côte Rêvée, un bien joli nom qui cache pourtant un chantier de taille. Jusqu’alors, la nourriture industrielle y régnait en maitre et il n’était pas rare de trouver poissons surgelés et sauces en boite dans les plats servis. « Mon objectif était de recréer un ancrage local, car avant de plaire aux touristes, un restaurant doit d’abord convaincre les locaux. Ce sont eux les meilleurs prescripteurs », affirme Louis Privat. En quelques mois, l’établissement fait peau neuve et revêt dorures et velours, au plus grand plaisir des badauds qui s’y pressent. Pourtant, l’entrepreneur a comme un goût de trop peu. La restauration saisonnière n’est pas adaptée à sa carrure et à ses aspirations personnelles. « On sacrifie six mois de notre vie à travailler six jours sur sept sans pouvoir jamais rattraper la vie de famille qu’on laisse de côté et qui continue son petit bonhomme de chemin sans nous. », déplore le restaurateur.  

Ce qu’il veut c’est un projet pérenne, un restaurant ouvert toute l’année dans lequel ses équipes ne seraient pas seulement là le temps d’un été. Bille en tête, il candidate à un appel à projets lancé par la ville de Narbonne visant à développer une offre de restauration au sein d’un nouveau complexe municipal de sports et loisirs : « L’espace Liberté ». « J’étais convaincu que c’était un lieu à très fort rayonnement, alors j’ai proposé un concept unique pour un restaurateur indépendant : la formule buffet à volonté ». Dans son dossier, l’entrepreneur détaille méticuleusement tous les éléments qui permettront à son projet de se démarquer des autres, notamment grâce à une décoration intérieure unique. Mélangeant art, histoire et gastronomie, cette dernière est bien loin de l’univers de la cafétéria, initialement demandé dans l’appel à projets. Sans surprise, il rafle la mise au nez et à la barbe de ses concurrents dont la plupart étaient des grandes chaines de restauration. 

L’art du beau et du bon 

« A l’époque, aucun restaurateur indépendant n’avait trouvé un modèle économique stable pour proposer un buffet à volonté sans finir sur la paille. Les seuls pour qui cela avait fonctionné étaient des entreprises comme le Club Med ». Mais le projet de Louis Privat est loin du buffet classique. Au sein de la Cafétéria Liberté, vins et boissons sont commandés et apportés à table, tout comme l’addition. Les serveurs sont quant à eux en « grande tenue », avec tablier et serviette au bras. Des codes qui rompent drastiquement avec l’univers de la restauration libre-service. Pour autant, le dirigeant ne souhaite pas se détacher de l’image de la cafétéria. « L’avantage de proposer un établissement de ce type, c’est que les gens n’auraient pas peur de pousser notre porte. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque, et surtout en province, aller au restaurant était loin d’être une habitude comme c’est le cas aujourd’hui. L’appellation ‘restaurant’ rebutait alors que ‘cafeteria’ avait beaucoup plus de succès, car plus abordable économiquement », précise Louis Privat. Avec des produits classiques mais fait maison comme les carottes râpées ou la mousse au chocolat, l’établissement voit sa cote monter en flèche. Rapidement, l’entrepreneur comprend que ses clients sont en demande d’évolution quant à la formule proposée et ne rechigneraient pas à payer un peu plus cher pour avoir plus de choix. Et ça, il ne faut pas le dire deux fois à Louis Privat ! Déjà reconnu pour son offre généreuse, la Cafétéria Liberté étoffe ses buffets. Les deux mots d’ordre sont qualité et profusion. Au siècle de la « mal bouffe », Louis Privat réussit l’exploit de fédérer des clients, toutes classes sociales confondues, autour de plats mettant à l’honneur la cuisine et le savoir-faire français.  

« Avec un rayonnement grandissant, le nom de l’établissement n’était plus vraiment approprié », ajoute l’entrepreneur. En 2008, le restaurant est renommé Les Grands Buffets, et ce n’est pas le seul changement ! Les décors sont enrichis, tout comme l’offre qui inclue désormais le plat chaud. Le buffet, lui aussi, évolue et le temps des carottes râpées et de la mousse au chocolat semble bien loin. Maintenant, ce sont des huitres, du homard ou du foie gras que l’on retrouve sur les tables. « L’objectif de ce restaurant est de partager à travers les plats, comme la décoration, un bout de l’histoire de notre pays. C’est pour cette raison que nous proposons principalement des produits de fêtes ou des spécialités françaises plus méconnues de la jeune génération comme les rognons, les ris de veaux, le coq au sang et la crêpe Suzette par exemple ». Et c’est peut-être ça qui fait la force de Louis Privat : c’est un passeur d’histoire. Grâce à lui, on découvre tour à tour les splendeurs d’une salle à manger au temps de Louis XIV ou la géométrie rectiligne d’un mobilier de style art déco, le tout enrobé par les airs mélodieux de la célèbre Maria Callas, que les clients peuvent écouter chaque soir pendant 30 secondes. « Le public que nous accueillons n'écoute pas du Mozart tous les jours donc leur partager un bout du répertoire de l’une des plus grandes cantatrices qu’on n'est jamais connu, c’est une façon de les initier », affirme-t-il.  

Un homme de conviction et d’expansion !  

Aujourd’hui, près de 200 personnes œuvrent chaque jour pour faire tourner la machine. Un « conservatoire des métiers », comme se plait à l’appeler Louis Privat, dans lequel chaque expertise à son importance et surtout sa valeur. Une valeur qui a d’ailleurs un prix. Car si l’entrepreneur fait aujourd’hui la Une de la presse pour avoir augmenté ses employés suite à l’inflation, le geste est loin d’être un acte isolé. « Pure produit de mai 68 », Louis Privat ne s’est jamais vraiment reconnu dans l’image du chef d’entreprise, du « grand patron » trônant au sommet de la pyramide. « J’ai toujours considéré qu’un dirigeant devait être respectable, une qualité qui passe notamment par la façon dont il traite ses salariés », affirme-t-il. Et quand finalement il endosse la casquette de chef d’entreprise, la dimension sociale devient l’un des piliers de sa marque employeur. Dès ses débuts dans la restauration, il met en place un dispositif afin que tous ses employés puissent passer aux 35 heures. C’est aussi l’un des premiers de la profession à mettre en place une cellule psychologique contre le harcèlement et le surendettement. Enfin, l’entrepreneur s’est battu pour que ses équipes puissent bénéficier de trois jours de repos par semaine, ainsi que d’un contrat d’intéressement. « On a trop longtemps accepté une maltraitance économique de cette filière, tout ça pour proposer des prix toujours plus bas. J’ai voulu rompre avec cette spirale ! ». En ce sens, les Grands Buffets qui faisaient initialement une indexation des salaires tous les ans, le fera désormais tous les six mois. Un esprit d’équipe et d’entraide qui explique sûrement les nombreuses demandes d'embauche (près de 1 500 selon les dires de Louis Privat) que l’entreprise reçoit chaque année. Pas étonnant donc de constater que près de 84 % des collaborateurs des Grands Buffets ont décidé de suivre l’entreprise qui déménagera prochainement.  

En effet, en juillet dernier l’entrepreneur déclarait son intention de quitter « L’espace Liberté » devenu à son sens trop vétuste. Une annonce qui n’a pas échappé aux communes voisines qui se sont précipitées pour proposer un nouveau lieu de résidence aux Grands Buffets. Si pour le moment, aucune ville n’a encore été sélectionnée, le projet est déjà bien ficelé dans la tête du restaurateur. « Là, c’était le brouillon, maintenant place au chef d'œuvre ! », annonce-t-il fièrement. Pour ce nouveau bâtiment, Louis Privat voit grand ! Dorures rutilantes et hauteurs sous plafond étourdissantes, seront donc au menu, accompagnées de plusieurs nouveautés telles qu’une cuisine du XIXe siècle ou des ateliers de fabrication accessibles au public. Ce nouvel écrin permettra également au restaurant de rentrer une nouvelle fois dans l’histoire. Actuel détenteur du Guinness World records du plus grand plateau de fromage, avec 111 variétés proposées, Louis Privat compte bien remettre son titre en jeu… et le battre ! Mais loin de ne proposer qu’une « formule améliorée », l’objectif du dirigeant est avant tout de pousser les portes du restaurant afin d’attirer également une clientèle étrangère. « Nous sommes le restaurant français au plus gros chiffre d'affaires. Pour autant, notre but n’est pas de nous cantonner à une clientèle hexagonale, nous souhaitons avoir un rayonnement européen », conclu l’entrepreneur. Et nul doute que Louis Privat ne s’arrêtera pas là ! 

  

mélanie
Mélanie Bruxer Rédactrice web