Matthieu Guesné [Lhyfe] : « Lorsque vous lancez une innovation de rupture, la société doit être prête à accepter un tel changement »

Précurseur dans la production d’hydrogène vert, Lhyfe a récemment annoncé le coup d’envoi de son 3e site de production en Occitanie. Si l’entreprise a démontré l’impact positif qu’a son innovation sur la société, Matthieu Guesné, son fondateur, revient sur le chemin parcouru pour s’imposer sur un marché inexistant en 2017.

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Produire et généraliser un carburant durable à partir d’eau. Dit comme ça l’idée paraît folle, et pourtant c’est le pari pris par Matthieu Guesné, en 2017, en fondant Lhyfe. Pionnière dans la production d’hydrogène vert, l’entreprise a su convaincre, aussi bien des investisseurs que des acteurs publics, de soutenir son projet. Derrière cette idée ambitieuse, l’objectif est tout aussi audacieux : décarboner les secteurs du transport et de l’industrie.

En 2021, la startup sort de terre son premier site de production d’hydrogène renouvelable à Bouin, en Vendée. Lhyfe souhaite dupliquer ce modèle partout en France et dans le monde. L’entreprise a récemment annoncé le déploiement d’une deuxième unité de production en Bretagne et d’une troisième en Occitanie. Pour atteindre ses objectifs, la société est également entrée en bourse au sein du marché réglementé d’Euronext à Paris, la principale place boursière de la zone euro. Avec plus de 150 collaborateurs, elle est désormais implantée dans onze pays en Europe et compte 6 filiales à l’international.

Big média : En 2017, la production d’hydrogène vert était méconnue. Quelles sont les premières étapes pour se lancer sur un marché inexistant ?

Matthieu Guesné : C’est important de se fixer des ambitions sur le long terme tout en proposant une solution qui permettra de générer du chiffre d’affaires à court terme. Il faut réussir à concilier notre vision sur plusieurs années avec une solution applicable rapidement et capable de générer des revenus. Comme pour un marathon, il faut avancer un pas après l’autre pour y arriver. Il est donc capital de prioriser et de ne pas se disperser. Lhyfe a pour ambition de décarboner le secteur du transport et de l’industrie grâce à l’hydrogène vert. Pour y arriver, nous avons commencé par une unité de production à l’échelle locale, que nous allons désormais dupliquer à grande échelle. Un autre élément important lorsqu’on se lance sur un nouveau marché, c’est d’avoir foi en son projet et d’y croire à fond même quand on vous dit mille fois non. A l’origine, aucun plan étatique ne misait sur cette technologie, aujourd’hui, la majorité des grandes puissances mondiales ont adopté un plan hydrogène.

« Notre principale difficulté est de réussir à disrupter dans un système non-adapté au changement rapide »

BM : Comment avez-vous réussi à trouver des soutiens ?

MG : C’est un chemin de croix auquel tous les entrepreneurs sont confrontés lorsqu’ils démarrent. Que vous commenciez avec une TPE ou une grande entreprise il faut réussir à convaincre les premiers clients et un financeur de vous faire confiance. C’est une question de timing. Au moment où nous avons lancé Lhyfe, il y avait une prise de conscience qui se généralisait grâce aux accords de Paris et aux différents rapports du GIEC. L’écosystème d’investissement en France se développait également et s’ouvrait à de nouvelles technologies. Il y a vingt ans, cela aurait été plus difficile de créer un tel projet. Lorsque vous lancez une innovation de rupture, il faut que la société soit prête à accepter un tel changement, que ce soit pour la télé en couleur ou pour l’hydrogène.

BM : En tant que pionnier, quelles grandes difficultés avez-vous rencontré ?

MG : Nous avons toujours eu des ambitions très larges donc c’était compliqué de trouver les fonds. Mais notre principale difficulté est de réussir à disrupter dans un système non-adapté au changement rapide. En Europe, autoriser une innovation requiert d'abord la mise en place d'une réglementation. Nous devons donc avancer avec le temps politique, mais nous n’avons plus le temps. L’Union européenne a fixé la réduction des émissions de CO2 d'au moins 55 % d’ici 2030, c’est-à-dire dans sept ans. On est dans un laps de temps politique et réglementaire qui correspond à celui du siècle dernier alors que nos enjeux réclameraient d’être plutôt en mode startup à tous les niveaux y compris de la politique et de la réglementation.

BM : En 6 ans, Lhyfe s’est implantée dans onze pays en Europe et compte six filiales constituées à l’international. Comment avez-vous réussi à aller aussi vite malgré un temps politique plus long ?

MG : En ayant une démarche soutenable qui fait sens d’un point de vue écologique, nous sommes pratiquement sûrs de coller à la réglementation. On peut donc se permettre d’investir dans des projets d’avenir. Notre entrée en bourse en 2022 nous a également offert de la visibilité et permis de lever des fonds plus rapidement. Quand on a besoin d’aller vite, c’est un bon moyen d’y arriver. Mais il ne faut pas se tromper, le principal pour une entreprise reste l’équipe. Il faut donc avant toute chose, se concentrer sur la construction d’un effectif avec des talents qui sauront délivrer. C’est le principal challenge pour produire vite et bien.