La Croix Rouge : 160 ans d’humanisme

Créée en 1864, au lendemain de la bataille de Solférino, La Croix Rouge est devenue, au cours des siècles, le plus important regroupement d'organisations humanitaires au monde. Guerres, crises économiques et sociales, pandémies… elle a tout traversé sans jamais flancher. Retour sur une initiative individuelle qui s’est transformée en mouvement mondial.  

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croix rouge
© Archives nationales

13 décembre 2020 : après deux mois d’appel à projets, 150 candidatures reçues et près de deux mois de sélection, le programme 21, l'accélérateur d'innovation sociale de la Croix-Rouge française et de Nexem - organisation professionnelle des employeurs du secteur social, médico-social et sanitaire à but non lucratif - présente les huit projets lauréats de sa première promotion. Avec cette initiative, La Croix Rouge française démontre une nouvelle fois toute sa diversité, son ambition, son agilité et surtout, sa liberté. Des mots qui pourraient résumer à eux seuls l’histoire de l’association.  
Aujourd’hui, à la tête d’un réseau de 65 450 bénévoles et 16 703 salariés répartis dans près de 1 056 implantations locales, le mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge constitue la plus importante organisation humanitaire au monde. À elle seule, l’association regroupe plus de 97 millions de femmes et d’hommes dans 189 pays.  

Pourtant, à l’origine, il n’a fallu qu’une main tendue pour lancer un mouvement qui traversera les âges et les guerres, avec comme leitmotiv « le pouvoir de l'humanité ». 

Une étincelle d’humanisme en plein cœur de la barbarie 

Derrière cette main tendue se cache un homme : Henry Dunant. Ce Suisse de 31 ans est alors en voyage d’affaires dans le but de rencontrer Napoléon III, afin d’acheter des terres en Algérie pour sa société Moulins de Mons-Djemila. En 1859, il se rend en Lombardie, où l’Empereur et son armée mènent campagne aux cotés des Piémontais contre les Autrichiens qui occupent de grandes parties du nord de l'Italie.  
Lorsqu’Henry Dunant arrive sur le champ de bataille dans la soirée du 24 juin, le spectacle qui se dresse sous ses yeux le choque profondément. « Ici, c’est une lutte corps à corps, horrible, effroyable : Autrichiens et Alliés se foulent aux pieds, s’entretuent sur des cadavres sanglants, s’assomment à coups de crosse, se brisent le crâne, s’éventrent avec le sabre ou la baïonnette ; il n’y a plus de quartier, c’est une boucherie, un combat de bêtes féroces, furieuses et ivres de sang » relate-il dans son récit de guerre « Un souvenir de Solférino », écrit et publié en 1862.  
 
C’est un vrai déclic. Après trois jours et trois nuits à ensevelir les cadavres restés sur le champ de bataille, le Suisse décide de prendre en charge les soldats, de toutes nationalités confondues, grâce à l’aide des femmes des villages avoisinants. Dans une église de Castiglione delle Stiviere réhabilitée au pied levé en hôpital de fortune, l’urgence est d’abord aux soins, plus qu’à la chirurgie. « Il ne s’agit en effet ni d’amputations ni d’aucune autre opération, mais il faut donner à manger et avant tout à boire à des gens qui meurent de faim et de soif ; puis il faut panser leurs plaies ou laver ces corps sanglants, couverts de boue et de vermine […]. Bientôt un noyau de volontaires s’est formé, et les femmes lombardes courent à ceux qui crient le plus fort sans être toujours les plus à plaindre ; je m’emploie à organiser, aussi bien que possible, les 61 secours dans celui des quartiers qui paraît en être le plus dépourvu ». Henry Dunant se redécouvre, se réinvente et change de cap. Toutes les raisons qui avaient poussé l’homme d’affaire à se rendre à Solférino sont balayées pour laisser place à sa nouvelle vocation : aider son prochain.  

« Seuls ceux qui sont assez fous pour penser qu’ils peuvent changer le monde y parviennent. » Henry Dunant 

Sans en prendre conscience, Henry Dunant est en train de fonder les prémices de La Croix Rouge. De cette étincelle d’humanisme, en plein cœur de la barbarie, nait « Un souvenir de Solférino », qui expose sans détour le rôle que tout un chacun a à jouer dans l’accompagnement et le soin aux blessés de guerre, civils comme soldats. Il y propose notamment de constituer dans chaque pays des sociétés de secours neutres et indépendantes dont le but serait de donner des soins en temps de guerre aux blessés de tous les camps. « À une époque où l’on parle tant de progrès et de civilisation, et puisque malheureusement les guerres ne peuvent être toujours évitées, n’est-il pas urgent d’insister pour que l’on cherche, dans un esprit d’humanité et de vraie civilisation, à en prévenir ou tout au moins à en adoucir les horreurs ? »  

Dès 1862, le livre est envoyé à toutes les principales personnalités politiques et militaires européennes. Il remporte d’emblée un immense succès. L’année suivante, Henry Dunant, accompagné du juriste Gustave Moynier, du général Guillaume-Henry Dufour et des médecins Louis Appia et Théodore Maunoir, décide de créer le comité international de secours aux militaires blessés en campagne. Il est fondé sur sept piliers : l’humanité, l’impartialité, la neutralité, l’indépendance, le volontariat, l’unité et l’universalité. L’organisation sera renommée l’année suivante Comité International de la Croix Rouge (CICR).  

Courant octobre a lieu la première conférence menée par le Comité International à Genève présidé par les cinq hommes. Quatorze représentants d’Etats sont présents pour débattre des mesures concernant l’amélioration de l’aide aux soldats blessés. C’est à l’occasion de cette conférence que l’emblème de La Croix Rouge est choisi afin que tout un chacun puisse identifier distinctement les soldats et soignants de l’organisation. Si c’est un dessin de croix rouge qui prime dans la plupart des pays, il sera plus tard adapté en croissant rouge pour les pays islamiques. Bien qu'aucun des deux emblèmes n'ait d'association religieuse, La Croix Rouge décidera dans les années 2000 de créer l'emblème du cristal rouge pour les États souhaitant éviter toute perception religieuse. La France sera un des premiers pays à rejoindre le mouvement en fondant la « filiale » Croix Rouge française.   

Les femmes, au cœur de la machine de La Croix Rouge 

La Croix Rouge fait ses premières armes lors de la guerre de 1870 qui oppose la France à la Prusse. 400 comités de bénévoles sont créés sur l’ensemble du territoire français. Les bénévoles collectent des fonds, envoient secours et messages familiaux aux prisonniers de guerre, mettent à disposition des ambulances. Un travail qui sera majoritairement réalisé par des femmes, soucieuses de participer à « l’effort de guerre », tout comme leurs maris, leurs fils ou leurs pères. Face aux lacunes en matière de formations aux soins, ce sont elles qui encourageront la création de l’enseignement sanitaire et notamment des premières formations d’infirmières. A cette époque, ce sont majoritairement des femmes de la haute société qui gonflent les rangs de La Croix Rouge. Parmi elles, de grands noms tels que Madeleine Clemenceau Jacquemaire, la fille de Georges Clémenceau, la mère d’Antoine de Saint-Exupéry. Des femmes dont les maris et les frères leurs emboiteront bientôt le pas. Si l’on compte au sein de l’association tant de personnalités à la situation enviable, c’est notamment car se sont les seuls à pouvoir s’impliquer de façon journalière. Au début du XXe siècle, les Français des classes moyennes et ouvrières travaillent entre 10 et 12 heures par jour et n’ont donc pas le temps de s’investir dans une organisation telle que La Croix Rouge. Pourtant, peu à peu, l’organisation parvient à attirer la bourgeoisie, puis les classes moyennes.  

Si les actions sont menées par des femmes, l’organisation reste dirigée par des hommes qui, au lendemain de 1870, ne consentent pas donner vie aux idées de ces dernières. Cette situation mènera à une scission des bénévoles qui créeront leur propre association en 1879. L’Association des Dames Françaises, première société de femmes à porter secours aux blessés militaires en France, connaitra une seconde scission en 1882, qui donnera naissance à l’Union des Femmes de France. En 1940, la CICR, l’Association des Dames Françaises et l’Union des Femmes de France fusionneront enfin pour former la Croix-Rouge française telle que nous la connaissons aujourd’hui.  

Des bénévoles qui changent et des missions qui se diversifient  

C’est dans les heures sombres de la Seconde Guerre mondiale que La Croix Rouge parvient à démocratiser l’accès au bénévolat et offrir une plus grande parité femmes-hommes. La guerre a resserré les rangs et suscité un élan de solidarité national. La Croix Rouge développe massivement les formations de secourisme afin que tout un chacun soit en mesure d’apporter les premiers secours aux blessés et être à l’écoute des besoins de la population. Confection de colis et de lainages pour les prisonniers de guerre, secours aux victimes des bombardements, en passant par l’accueil des rapatriés des camps de concentration, chacun donne de son temps. A l'instar des infirmières pendant la guerre, les secouristes représentent maintenant l’essentiel des effectifs bénévoles. A mesure que l’organisation grandit, elle s’organise et des chefs d’équipes sont nommés. Dès 1956, la Croix Rouge s’entoure d’ouvriers, d’apprentis et d’employés qui se mêlent aux étudiants, médecins et ingénieurs. Elle s’engage également dans l’économie sociale de services à but non lucratif, une démarche qui n’est pas nouvelle pour l’association qui mène depuis longtemps déjà des actions de formations aux soins. Une mission qui lui permet alors de gérer près de 600 établissements et d’employer environ 18 000 salariés. 
Avec le temps, l’organisation voit aussi grandir l’engouement de la jeunesse qui souhaite apporter sa pierre à l’édifice. Il est loin le temps des élégantes aristocrates en tailleur cintré. En 1970, 25 % des bénévoles ont moins de 25 ans, et 50 % entre 25 et 37 ans.  

Pauvreté croissante, raréfaction des ressources, fracture numérique… Le XXIe siècle confronte La Croix Rouge à de nouveaux défis. A l’image d’Henry Dunant qui a tendu la main à des soldats sur le champ de bataille, l’organisme souhaite prendre sous son aile les entrepreneurs d’aujourd’hui et de demain au sein de 21, un nouveau « lieu ressources » imaginé en 2019. À la fois laboratoire d’idées, de conseil et d’expérimentation dans le champ social de l’association humanitaire, cette “la Station F du social" prend racine à Montrouge (Hauts-de-Seine). « Le rôle de 21 est de repérer les innovations, de les accompagner et de les tester auprès de nos experts métiers au sein de la maison Croix-Rouge », précise Axelle Lemaire, directrice générale du lieu dans une interview accordée au Monde. Grâce à des programmes d’intrapreneuriat destinés aux salariés et aux bénévoles de la Croix-Rouge française et d’entrepreneuriat ouverts aux startups, aux associations et aux acteurs privés, 21 a pour objectif de donner vie à des solutions « venant du terrain ». « Les acteurs de terrain, auxquels s’ajoutent des porteurs de projets extérieurs, sont les premiers à être confrontés à la réalité des problèmes, et donc à savoir imaginer des solutions pour répondre aux défis rencontrés. Le rôle de 21 est de repérer ces innovations, de les accompagner et de les tester auprès de nos experts métiers au sein de la maison Croix-Rouge et des cent vingt activités qu’elle porte au quotidien », analyse Axelle Lemaire. 

Tout comme Henry Dunant qui fut en son temps un « acteur de terrain », La Croix Rouge continue à faire naitre cet élan humaniste dans tous les pans de la société et notamment depuis quelques semaines, suite aux conséquences de la guerre en Ukraine.
Plus de 100 ans après que le fondateur de l’organisation a reçu le tout premier prix Nobel de la paix, il ne fait aucun doute que son œuvre et le dessein qu’il avait pour elle continueront à traverser les âges.  

 

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Mélanie Bruxer Rédactrice web