Tout comprendre à la pénurie de semi-conducteurs qui touche l’économie mondiale

La crise sanitaire et la reprise de l’activité mondiale ont eu un effet sur la consommation de semi-conducteurs qui a explosé. Cette augmentation de la demande a engendré une pénurie qui devrait durer jusqu’à, au moins, fin 2022. Mathilde Aubry, professeure associée en économie à l’EM Normandie nous explique la situation en détail. 

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Bpifrance : Cette pénurie des semi-conducteurs provient-elle seulement de la crise sanitaire ? 

Mathilde Aubry : C’est plus profond que ça. Elle est la conséquence d’une augmentation structurelle de la demande. On retrouve les semi-conducteurs dans de plus en plus de secteurs. Cette pénurie suit aussi une logique de cycles réguliers. Depuis l’essor des semi-conducteurs, on connaît des phases où les capacités de productions sont trop importantes par rapport à la demande, et des phases où à l’inverse, les capacités de productions sont trop faibles. La crise sanitaire et les confinements ont accentué ces cycles. La demande a explosé d’un seul coup, tandis que l’offre a diminué avec des fermetures d’usines et des annulations de commandes auprès des fournisseurs dû à l’incertitude mondiale.  

B : Avant cette pénurie, on entendait peu parler de semi-conducteur. Si vous deviez définir ce que c’est simplement, vous diriez quoi ? 

MA : C’est un matériau en capacité de conduire l’électricité ou de ne pas le conduire. Il permet de transmettre des informations et de l’énergie. Dès l’instant où vous imaginez qu’il y a de l’électronique quelque part, ça veut dire qu’il y a des semi-conducteurs. 

B : Les acteurs du marché des semi-conducteurs espèrent un retour à la normale au second semestre 2022. Comment expliquer ces délais ? 

MA : Ça s’explique pour une raison simple. Quand on observe le début de la vie d’un semi-conducteur, c’est-à-dire tout ce qui est conception, recherche et développement (R&D) on est dans le monde du gigantesque et du très cher. Pour construire une usine, il y a besoin d’investissements très lourds qui sont souvent très dépendants de subventions publiques et de l’aide des Etats. Tout ça prend donc beaucoup de temps. A l’inverse, quand on observe le bout de la chaine de production des semi-conducteurs, les produits sont introduits dans nos ordinateurs, nos smartphones, etc. qui ont des durées de vie très courtes par rapport à leur confection qui a demandé plus de temps. 

B : Quelle a été la position de l’Europe ces dernières années ? 

MA : En Europe, il y a eu un désintérêt politique depuis une dizaine d’années qui a fait perdre beaucoup de compétences dans le domaine. Aujourd’hui, on ne produit plus de semi-conducteurs alors que les spécialistes disaient qu’il fallait garder une production en Europe. Si aujourd’hui les Etats Unis, Taiwan et la Corée du sud dominent le marché, c’est parce qu’il y a des volontés politiques très fortes où les entreprises sont très peu taxées, sont subventionnées et bénéficient de crédit-impôt-recherche.  

B : L’Europe a annoncé son ambition de représenter au moins 20 % de la production mondiale en valeur d’ici 2030. En ce sens, la France a annoncé investir 6 milliards d’euros pour doubler sa production de semi-conducteurs. Selon vous, ces mesures vont-elles dans le bon sens ? 

MA : Oui, c’est un bon début. On a beaucoup de retard à rattraper quand on voit les investissements aux Etats-Unis et en Asie. L’Europe conçoit, recherche et développe. Il lui manque le maillon de la production. C’est donc une bonne chose, mais il faut savoir vers quoi aller. Les semi-conducteurs représentent une grosse diversité de produits, il faut avant tout répondre aux besoins européens. Il y a des secteurs centraux pour la souveraineté européenne comme la défense ou l’e-santé et des secteurs où le « vieux continent » doit apporter une réflexion comme l’environnement par exemple. Ces investissements doivent aussi permettre d’éviter des prochaines pénuries. Cette cyclicité va continuer il faut donc être capable de l’anticiper.  

B : Combien de temps durent ces cycles ?  

MA : On estime en moyenne qu’ils durent entre deux et quatre ans. Les semi-conducteurs correspondent à l’un des secteurs les plus mondialisés et font écho aux cycles macroéconomiques. Le PIB mondial des Etats et le marché des semi-conducteurs évoluent en parallèle. En général, quand le secteur des semi-conducteurs va bien, ça veut dire que l’économie mondiale va bien. Cette pénurie signifie que la demande est repartie. C’est plutôt quelque chose de positif qui va porter la croissance mondiale.  

B : Il faudrait donc voir cette pénurie comme quelque chose de positif ?  

MA : Cette crise n’est pas une mauvaise chose, elle est signe d’une reprise de l’activité. Pour les fabricants de semi-conducteurs, c’est génial, ils ont des prix qui augmentent et par conséquent des plus grandes rentrées d’argent qui vont leur permettre d’innover en investissant en R&D. Les conséquences négatives se font surtout ressentir pour les consommateurs qui voient le prix des produits augmenter.